SALONS ET LIEUX PUBLICS.
À LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. (9 mars 1914)
Je songe, penchée sur cette cuve, aux solfatares, près de Naples. Cela bout ici,
fermente à peine là ; il y a des zones inertes, que l'ébullition n'a pas
gagnées, qu'elle ne gagnera jamais. Un coin crépitant frémit, sursaute, comme
ces places de la solfatare, où le sable, bouillant à sec, danse en grains
irrités.
La lumière, tombant de très haut, ne fait grâce à aucun visage : marqués de deux
orbites d'ombre, pommettes et front osseux, ils sont entre eux ressemblants et
divers comme ils le seront plus tard sous la terre.
Le spectacle, émouvant, instructif, n'est pas solennel. « Non, meussieu! -Si,
meussieu! » C'est le ton de la laïque. Un ex-cheminot, à la tribune, ne manque
ni de fantaisie dans les images, ni de gauche violence dans l'expression, mais
dès que des rires l'assaillent, ou les invectives, il se colle contre le bureau
du président, à l'ombre de Deschanel, et boude, les mains au dos, comme si on
lui avait chipé ses billes.
Le son des rires est gras, insolent, point cordial. On entend, pendant un
discours, un bâillement meuglé, bruit grossier de chambrée ; celui-ci est énorme
et l'on s'attend à pis encore... Ma voisine, scandalisée, murmure : « Ce n'est
vraiment pas un endroit convenable pour les femmes. » Dieu sait pourtant si
elles s'y étouffent, s'y écrasent, poussent du coude, de la hanche, presque du
poing : elles s'élargissent, en poules couveuses, sur les banquettes...
L'hémicycle tout entier a retenti, avant l'ouverture de la séance, d'une
impitoyable voix féminine, caquet aigre, offensé, d'une habituée réclamant « sa
place » au premier rang...
Snobisme exceptionnel, d'ailleurs. La plupart de celles qui sont ici n'ont pas
besoin de feindre l'intérêt pour les débats parlementaires. Même si elles ne
suivent pas passionnément le mari, l'amant, l'ami ou le parent jeté sous leurs
yeux dans la cuve, elles obéissent à un goût sincère et tortueux pour les choses
de la politique, où on les voit si vite informées, lucides, familières, prêtes
d'avance à tous les mandats, à toutes les responsabilités, et à toutes les
inconséquences.