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 Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Ma Mère Et La Maladie.

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Inaya
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Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)  Ma Mère Et La Maladie. Empty
MessageSujet: Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Ma Mère Et La Maladie.   Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954)  Ma Mère Et La Maladie. Icon_minitimeSam 23 Juin - 15:23

Ma Mère Et La Maladie.

-Quelle heure est-il? Déjà onze heures! Tu vois! Il va venir. Donne-moi l’eau de
Cologne, et la serviette-éponge. Donne-moi aussi le petit flacon de violette. Et
quand je dis de violette. . . Il n’y a plus de vraie odeur de violette. Ils la
font avec de l’iris. Et encore, la font-ils avec de l’iris? Mais tu t’en moques,
toi, Minet-Chéri, tu n’aimes pas l’essence de violette. Qu’ont donc nos filles,
à ne plus aimer l’essence de violette?

« Autrefois, une femme vraiment distinguée ne se parfumait qu’à la violette. Ce
parfum dont tu t’inondes n’est pas une odeur convenable. Il te sert à donner le
change. Oui, oui, à donner le change! Tes cheveux courts, le bleu que tu mets à
tes yeux, ces excentricités que tu te permets sur la scène, tout ça, c’est comme
ton parfum, pour donner le change; mais oui, pour que les gens croient que tu es
une personne originale et affranchie de tous les préjugés. . . Pauvre Minet-
Chéri! Moi, je ne donne pas dans le panneau. . . Défais mes deux misérables
petites nattes, je les ai bien serrées hier soir pour être ondulée ce matin.
Sais-tu à quoi je ressemble? À un poète sans talent, âgé et dans le besoin. On a
bien du mal à conserver les caractéristiques d’un sexe, passé un certain âge.
Deux choses me désolent, dans ma déchéance: ne plus pouvoir laver moi-même ma
petite casserole bleue à bouillir le lait, et regarder ma main sur le drap. Tu
comprendras plus tard que jusqu’à la tombe on oublie, à tout instant, la
vieillesse.

« La maladie même ne vous contraint pas à cette mémoire-là. Je me dis, à chaque
heure: « J’ai mal dans le dos. J’ai mal affreusement à la nuque. Je n’ai pas
faim. La digitale m’enivre et me donne la nausée! Je vais mourir, ce soir,
demain, n’importe. . . » Mais je ne pense pas toujours au changement que m’a
apporté l’âge. Et c’est en regardant ma main que je mesure ce changement. Je
suis tout étonnée de ne pas trouver, sous mes yeux, ma petite main de vingt ans.
. . Chut! Tais-toi un peu que j’écoute, on chante. . . Ah! c’est l’enterrement
de la vieille madame Loeuvrier. Quelle chance, on l’enterre enfin! Mais non, je
ne suis pas féroce! Je dis « quelle chance! » parce qu’elle n’embêtera plus sa
pauvre idiote de fille, qui a cinquante-cinq ans et qui n’a jamais osé se marier
par peur de sa mère. Ah! les parents! Je dis « quelle chance! » quelle chance
qu’il y ait une vieille dame de moins dur la terre. . .

« Non, décidément, je ne m’habitue pas à la vieillesse, pas plus à la mienne
qu’à celle des autres. Et comme j’ai soixante et onze ans, il vaut mieux que j’y
renonce, je ne m’y habituerai jamais. Sois gentille, Minet-Chéri, pousse mon lit
près de la fenêtre, que je voie passer la vieille Mme Loeuvrier. J’adore voir
passer les enterrements, on y apprend toujours quelque chose. Que de monde!
C’est à cause du beau temps. Ça leur fait une jolie promenade. S’il pleuvait,
elle aurait eu trois chats pour l’accompagner, et M. Miroux ne mouillerait pas
cette belle chape noir et argent. Et tant de fleurs! ah! les vandales! tout le
rosier soufre du jardin Loeuvrier y a péri. Pour une si vieille dame, ce
massacre de jeunes fleurs. . .

« Et regarde, regarde la grande idiote de fille, j’en étais sûre, elle pleure
toutes les larmes de son corps. Mais oui, c’est logique: elle a perdu son
bourreau, son tourment, le toxique quotidien dont la privation va peut-être la
tuer. Derrière elle, c’est ce que j’appelle les gueules d’héritiers. Oh! ces
figures! Il y a des jours où je me félicite de ne pas vous laisser un sou.
L’idée que je pourrais être suivie jusqu’à ma demeure dernière par un gars roux
comme celui-là, le neveu, tu vois, celui qui ne va plus penser qu’à la mort de
la fille. . . brrr!. . .

« Vous autres, au moins, je vous connais, vous me regretterez. À qui écriras-tu
deux fois par semaine, mon pauvre Minet-Chéri? Et toi, ce n’est rien encore, tu
t’es évadée, tu as fait ton nid loin de moi. Mais ton frère aîné, quand il sera
forcé de passer raide devant ma petite maison en rentrant de ses tournées, qu’il
n’y trouvera plus son verre de sirop de groseille et la rose qu’il emporte entre
ses dents? Oui, oui, tu m’aimes, mais tu es une fille, une bête femelle, ma
pareille et ma rivale. Lui, j’ai toujours été sans rivale dans son coeur. Suis-
je bien coiffée? Non, pas de bonnet, rien que ma pointe de dentelle espagnole,
il va venir. Toute cette foule noire a levé la poussière, je respire mal.

« Il est près de midi, n’est-ce pas? Si on ne l’a pas détourné en route, ton
frère doit être à moins d’une lieue d’ici. Ouvre à la chatte, elle sait aussi
que midi approche. Tous les jours, elle a peur, après sa promenade matinale, de
me retrouver guérie. Dormir sur mon lit, la nuit et le jour, quelle vie de
Cocagne pour elle!. . . Ton frère devait aller ce matin à Arnedon, à
Coulefeuilles, et revenir par Saint-André. Je n’oublie jamais ses itinéraires.
Je le suis, tu comprends. À Arnedon, il soigne le petit de la belle Arthémise.
Ces enfants de filles, ils souffrent du corset de leurs mères, qui cachent et
écrasent leur petit sous un busc. Hélas, ce n’est pourtant pas un si outrageant
spectacle, qu’une belle fille impénitente avec son ventre tout chargé. . .

« Écoute, écoute. . . C’est la voiture en haut de la côte! Minet-Chéri, ne dis
pas à ton frère que j’ai eu trois crises cette nuit. D’abord, je te le défends.
Et si tu ne le lui dis pas, je te donnerai le bracelet avec les trois
turquoises. . . Tu m’ennuies, avec tes raisons. Il s’agit bien d’honnêteté!
D’abord, je sais mieux que toi ce que c’est que l’honnêteté. Mais, à mon âge, il
n’y a plus qu’une vertu: ne pas faire de peine. Vite, le second oreiller dans
mon dos, que je me tienne droite à son entrée. Les deux roses, là, dans le
verre. . . Ça ne sent pas la vieille femme enfermée, ici? Je suis rouge? Il va
me trouver moins bien qu’hier, je n’aurais pas dû parler si longtemps, c’est
vrai. . . Tire un peu la persienne, et puis écoute, Minet-Chéri, prête-moi ta
houppe à poudre. . .






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