L' hiver.
Desja l' hyver herissé de froidure
De ces beaux lieux la grace défigure.
L' or qui paroit les cheveux de Cerés
N' eclatte plus dans le sein des guerets,
Toute la terre auparavant si verte
D' un voile blanc a la face couverte ;
Le ciel n' a plus son visage riant,
L' astre du jour pleure en son orient,
Triste qu' il est que la nuit obscurcie
Dans peu d' espace à sa traitte accourcie,
Et que son feu jadis si precieux.
Cede à celuy du forgeron des dieux.
De leurs cachots tous les vents se départent,
Deçà delà les aquilons s' écartent,
Et d' un gosier dont le souffle est affreux
Luttent sans cesse et se font guerre entr' eux.
Si quelque pin sensible à cet outrage
À leur effort oppose son feüillage,
Pleins de fureur ces invisibles fleaux
Battent son tronc, deschirent ses rameaux ;
La terre en gronde, et les fleuves en tremblent,
Lors les zephirs et les oyseaux s' assemblent,
Et dans l' effroy qui les fait taire tous
Cherchent un lieu plus tranquille et plus doux.
À leur exemple, Alidor, je te prie,
Quittons ces champs et leur noire furie,
Jusques à tant qu' un air plus adoucy
Nous y rameine, et le printemps aussi.
Tandis beaux lieux qui fustes mes delices,
Plaisans tesmoins de mes gays exercices ;
Cheres forests dont les ombrages noirs
Me fournissoient de si doux promenoirs,
Petits ruisseaux qui ne vous pouviez taire
Dans le plaisir de me voir solitaire ;
Prez esclattans de diverses couleurs,
Qui pour moy seul faisiez naistre des fleurs ;
Voix qui du fonds de cette grotte obscure
Redis encor mon heureuse advanture,
Lors que Cloris dans ses chaudes ferveurs
Me prodigua ses plus cheres faveurs ;
Et vous ô dieux, vous nymphes bocageres,
Chastes bergers, innocentes bergeres,
Prestez l' oreille à mes tristes adieux,
Je reverray quelque jour ces beaux lieux ;
Je vous le jure, et pour preuve eternelle
Que je fais voeu de vous estre fidelle,
Quoy que Paris en devienne jaloux,
Je laisse icy mon coeur avecque vous.