Les beautez de Claudine. 1652.
Elegie IV.
Dans ce vivant tableau de vos perfections
Contemplez le portrait de mes affections ;
Et voyant, ma Claudine, à quel poinct je vous aime,
Agréez les transports de mon amour extresme.
Qui ne seroit ravy de l' or de ces cheveux
Qui sont de mon soleil les rayons lumineux,
Qui de ma liberté sont les chaisnes visibles
Qui portent mes amours sur leurs ondes paisibles,
Et qui sont en effet dans leurs crespes unis
Uniques en beauté, comme en nombre infinis ?
Qui n' aimeroit ce front, où d' une belle audace
L' honneur, la majesté, se disputent la place ?
Où regnent l' un et l' autre, où d' un decret fatal
Ils possedent ensemble un throsne de crystal ;
Où d' un trait aussi doux que la glace en est pure,
Amour grave les loix que prescrit la nature,
Lors que pour conserver quelque brasier secret
Elle dit qu' en bruslant, il faut estre discret.
Qui ne seroit charmé de ces nobles planettes
Dont les traits sont si vifs, et les flâmes si nettes,
De ces deux beaux soleils du ciel de la beauté
Qui respandent la joye avecque la clarté,
De ces anges muets dont j' entends le langage,
De ces visibles dieux à qui je rends hommage,
Et qui par leurs esclairs me forcent d' advoüer
Qu' on ne les peut assez ny craindre, ny loüer ?
Qui ne seroit épris de ces levres jumelles
Qui versent le parfum de deux roses nouvelles,
Et qui pour confirmer leurs fidelles amours
Se cajollent sans cesse, et se baisent tousjours ?
Qui ne prononcent rien que de sacrez oracles
Dont la nature accroist le nombre des miracles,
Et qui par des discours qu' un bel art fait fleurir
Ressuscitent les coeurs, que les yeux font mourir ?
Mais dieux ! Qui n' aimeroit d' une ardeur idolastre
Cette plaine de lait, ces collines d' albastre,
Cette neige qui brusle et qui fond les amans,
Ces globes animez d' eternels mouvemens,
Qui s' approchent de nous aussi-tost qu' ils soûpirent,
Qui de peur d' estre pris aussi-tost se retirent ;
Qui se monstrant aux yeux, et se cachant aux mains.
Font naistre cent desirs, et mourir cent desseins ?
Subtile trame d' or, vive table d' yvoire,
Thresors estincelans de lumiere et de gloire ;
Throsne, où la grace mesme establit son sejour,
Verger qui produisez les doux fruits de l' amour,
En un mot, beaux cheveux, beau front, et belle bouche,
Beaux yeux, et vous beau sein, si jamais je vous touche,
Si je puis quelque jour, pour contenter mes voeux,
Voir autour de mes bras un cercle de vos noeuds,
Lire sur ce crystal ma fortune supresme,
Et ces mots enflâmez, Cerilas je vous aime,
Obtenir pour mes vers un propice regard,
Consulter dans ces bois vostre oracle à l' escart,
Et baiser à souhait vos pommes savoureuses,
Les delices du goust des ames amoureuses ;
Ô que j' enviray peu cette riche toison
Dont amour fit le prix des travaux de Jason !
J' effaceray l' honneur du beau berger de Troye
Qu' Helene fit nager dans un fleuve de joye ;
Et laissant Atalante exalter son thresor,
J' iray dans un beau sein cueillir des pommes d' or.
Ainsi dit Cerilas, et son puissant langage
Sceut si bien de Claudine amollir le courage,
Que l' amour à la fin, pour ces deux nobles coeurs,
Eut moins dans ses vergers d' espines que de fleurs.