Ode.
En faveur des amours d' Alcidon et de Melisse.
Que l' amour est un puissant Dieu !
C' est à son immortelle essence,
Et qu' en tout temps, et qu' en tout lieu,
Nous devons rendre obeïssance.
Apres qu' il eut heureusement
Vouté sur le firmament,
Et marié la terre et l' onde,
Il fit éclatter son pouvoir,
Et ce Dieu nous fit bien sçavoir
Qu' il est le monarque du monde.
Si tost que le premier cotton
Sur le gay printemps de nostre aage,
Vient faire ombre à nostre menton,
Il nous surprend, il nous outrage.
Nous sentons nos jeunes esprits
De ses feux ardamment épris,
Nostre franchise est asservie ;
Et sans la douleur qu' il nous fait,
Nous ne sçaurions pas en effet
Si nous sommes encore en vie.
Mais quel estrange aveuglement
Me fait proferer ce blasphéme ?
Aurois-je un si bas sentiment
D' une divinité supréme ?
Amour, mon unique recours,
Ne pren pas garde à mes discours,
Puisqu' ils tiennent tant de la fable.
Un dieu par un ordre fatal
Grave nos devoirs en metal,
Et peint nos crimes sur le sable.
Sans toy tout homme est ignorant,
Ce n' est qu' une masse grossiere,
Qui ne peut rien tenter de grand,
Faute d' ardeur et de lumiere ;
Quand ton feu dans ses veines bout,
Il entreprend, il ose tout
Sous ton flambeau qui l' illumine ;
Et content de suivre ta loy,
Amour il paroist comme toy
D' une essence toute divine,
Par toy j' ay conceu tant de vers,
Et tant de chansons immortelles,
Qui portent par tout l' univers
Ma gloire et mon nom sur leurs aisles ;
Chacun me révere à Paris
Comme le chantre de Cloris,
Cloris, l' honneur de ton empire.
Aussi je dis sans vanité ;
Si rien ne l' égale en beauté,
Rien ne m' égale à la décrire.
C' est aussi par toy qu' Alcidon
De son front les estoilles passe,
Lors que Melice luy fait don
Des faveurs de sa bonne grace ;
Tu fais que ce fidele amant,
Ravy d' un plaisir si charmant,
Vante l' objet de son servage ;
Et si devant les envieux
Il semble dédaigner ses yeux,
Il les adore en son courage.
Tu sçais combien il a de fois
Dans les aimables solitudes
De ces rochers et de ces bois,
Souspiré ses inquietudes ;
Comme il a pleuré son ennuy
Dans ses chansons dignes de luy ;
Combien il a de fois encore
Gravé sur un tronc boccager ;
Melice chérit son berger,
Alcidon sa bergere adore.
Combien sur les rives des eaux
Que Marne rend tousjours fleuries,
Ou sous le frais des arbrisseaux,
Ou parmy l' émail des prairies,
Les as-tu veus de fois benir
Leur flâme qui ne doit finir
Qu' avec le terme de leur vie ?
Ils suivoient les pas de l' amour,
Et fuyoient le peuple et la cour
Pour fuir les traits de l' envie.
Puissiez-vous vivre ainsi long-temps,
Beau couple que le ciel assemble ;
Et ne soyez jamais contens
Qu' alors que vous serez ensemble ;
Dans l' excés d' un si doux plaisir,
N' ayez tous deux qu' un seul desir,
Qu' un mesme coeur, qu' une seule ame ;
Afin qu' on chante parmy nous,
Que l' amour est digne de vous,
Comme vous l' estes de sa flâme.
Cependant je jure les dieux,
Vangeurs de toute ame parjure,
Qu' alors que le flambeau des cieux
Nous ramenera la verdure,
Qu' il chassera les aquilons
Chez les scythes et les gelons ;
J' éleveray sur ce rivage,
Témoin de vos contentemens,
Un autel aux chastes amans,
Dont vous serez tous deux l' image.
Tousjours l' oeillet avec le thin,
La marguerite avec la rose,
Et la fleur qui s' ouvre au matin,
Et qu' on void au soir toute close,
Autour de ce lieu fleuriront,
Dont les nymphes augmenteront
Leurs belles graces naturelles ;
Et les faunes, et les sylvains,
En rempliront aussi leurs mains,
Pour parer le sein de leurs belles.
Alors le recit des beaux vers
Qu' Alcidon chanta pour Melice
À l' ombre des boccages verds,
Sera leur plus doux exercice ;
Et j' espere que leurs accens
Si pleins d' ardeur, si ravissans,
Eschaufferont si bien les ames ;
Que les siecles diront un jour,
Que mesme le flambeau d' amour
N' a jamais produit tant de flâmes.
Ô combien vous aurez d' honneur,
Rare autheur d' un si bel ouvrage !
Combien vous aurez de bonheur,
Rare objet d' un si grand courage !
Alcidon, digne d' estre aimé,
Vous ne pouviez estre animé
D' un sujet plus beau que cet ange ;
Melice, aussi ne pouviez-vous
Trouver un poëte plus doux,
Pour celebrer vostre loüange.