À une fontaine.
Ode.
Agreable fontaine,
Dont l' eau farde le teint des fleurs de cette plaine,
Mon destin me contraint de m' éloigner de toy ;
Tu ne me verras plus sur les bords de ton onde,
Loin des troubles du monde,
Resver à la beauté qui triomphe de moy.
Quand la rage inhumaine
Du chien qui brusle tout des feux de son haleine,
Fera préferer l' ombre à la clarté du jour ;
Il faudra que mon corps languisse dans sa flâme,
Tout ainsi que mon ame
Languit depuis long-temps dans la flâme d' amour.
La trouppe des neuf muses,
Qui m' ont dessus tes bords leurs sciences infuses,
Ne m' y raviront plus de leurs doctes leçons ;
Et la fille de l' air qui dans ces bois soûpire
L' excés de son martyre,
N' y repetera plus mes divines chansons.
Adieu donc claire source,
Tant que tu traisneras les replis de ta course,
Souvien-toy de Dafnis qui te cherissoit tant ;
Et s' il advient qu' un jour la nymphe que j' admire
Dans tes ondes se mire,
Pren garde que son feu ne les seiche à l' instant.
Ainsi tousjours, belle onde,
Ces riches diamans dont ta source est féconde
Esclattent à l' envy des celestes flambeaux ;
Que rien ne puisse nuire à ton onde eternelle ;
Ainsi tousjours soit-elle
Les delices des yeux, et la reyne des eaux.