IX
Olivier, pourquoi donc es-tu triste ce soir?
Près de la lampe, après être venu t'asseoir,
Pourquoi n'est-elle pas encore commencée,
La page où chaque nuit tu fixes ta pensée,
Comme on couche une fleur aux feuillets d'un herbier?
Dans ce livre de loch que tu tiens, Olivier,
Comme un navigateur qui va vers les surprises,
Tu n'as, jusqu'à présent, inscrit que bonnes brises,
Mer tranquille et berceuse, astres clairs, et ciel pur.
Le voyage était doux, et tu te croyais sûr
D'avoir bien mis le cap sur la terre inconnue
D'où, comme pour fêter déjà ta bienvenue,
Les beaux oiseaux de pourpre et d'or des chauds climats
Venaient en voltigeant se poser sur les mâts.
Qu'est-ce donc qui t'attriste et qui te décourage?
Les cris des goélands ont-ils prédit l'orage?
Est-ce que l'horizon se couvre et s'assombrit?
Et quel pressentiment naît donc dans ton esprit,
Que l'orage s'émeut et que le vent se lève
Pour t'empêcher d'atteindre au pays de ton rêve?
... Les raisins étaient mûrs déjà sur le coteau,
Et les feuilles tombaient dans le parc du château.
Par une après-midi pacifique et sereine,
Comme le mois d'octobre en a pour la Touraine,
Ils avaient décidé de monter à cheval.
L'automne déployait son beau ciel triomphal
Et son dernier soleil aux chaleurs mensongères.
De grands vols tournoyants d'hirondelles légères
Pour le prochain départ s'assemblaient dans l'azur;
Et les feuillages d'or montaient parmi l'air pur
Balancés par le vent aux haleines moins douces.
Qu'il fait bon de courir dans les bruyères rousses
Au trot de chasse, avec du vent dans les cheveux,
De sentir son cheval frapper, d'un pied nerveux,
L'élastique terrain sous les hautes futaies,
De sauter les fossés et de franchir les haies,
Et puis, après un long galop aventureux,
De revenir, au pas, par quelque sentier creux,
Laissant flotter la bride et respirer sa bête,
Qui souffle bruyamment en secouant la tête,
Tandis qu'en lui flattant le col avec la main,
On laisse ses regards errer sur le chemin!
Ce plaisir, Olivier l'avait plus que personne.
Car, près de lui, Suzanne, en sa noire amazone,
Ses cheveux blonds massés sous un feutre élégant,
Maintenait par la ferme étreinte de son gant,
Au trot doux et berceur, sa jument alezane.
- Loin, derrière eux, suivait le père de Suzanne.
Ils allaient donc, tout seuls, effarant les oiseaux;
Et leurs bêtes parfois, rapprochant leurs naseaux,
Semblaient se confier des choses à l'oreille.
Ils s'enfonçaient ainsi dans la forêt vermeille
Que le soleil au loin zébrait de bandes d'or,
Dévorant au galop la route; ou bien encor,
Leurs montures ayant de l'herbe jusqu'au ventre,
Ils fouillaient les taillis d'où partent, quand on entre,
Vifs et la queue en l'air, les lapins gris et blancs.
Leurs chevaux écrasaient les faînes et les glands
Et les grands champignons dans les feuilles tombées.
Il leur fallait souvent passer, têtes courbées,
Sous un rameau trop bas qui voulait, familier,
Décoiffer l'amazone ou bien le cavalier;
Puis, quand était franchi -ce pas très difficile,
Ils riaient, éveillant un vieil écho docile
Qui riait, à son tour, sous les chênes, là-bas.