XI
VERS le tomber du jour, ils revenaient au pas.
Devant eux, encadré par le berceau des branches,
Un somptueux soleil couchant, plein d'avalanches
De rubis, s'écroulait sur des montagnes d'or.
Ils se taisaient, devant ce sublime décor
Où le regard se perd et le rêve se noie,
Quand Suzanne poussa soudain un cri de joie.
Elle avait aperçu, sur le bord du sentier,
Là, tout près de sa main, un buisson d'églantier
Qui, dupe d'un automne aux si belles journées,
Se couvrait de nouveau de ses fleurs étonnées.
Ravie, elle poussa son cheval vers les fleurs
Dont le couchant vermeil avivait les couleurs,
Et voulut les cueillir, en restant sur sa selle.
« Olivier, tenez-moi ma cravache, » dit-elle,
Et d'un geste rapide elle la lui tendit.
Quand ce geste fut fait et que ce mot fut dit,
Olivier frissonna jusqu'au fond de son âme;
Car il crut devant lui revoir cette autre femme,
Cette duchesse auprès de laquelle autrefois
Il avait chevauché de même, par les bois,
Juste en cette saison où naît le chrysanthème.
Le geste était pareil, la voix était la même;
Le soleil se couchait comme en ce moment-ci.
L'autre amazone avait voulu cueillir aussi
Une tardive fleur sur un églantier rose.
Sur sa selle elle avait pris cette même pose
Pour tendre sa badine, et, d'un ton cavalier,
Dit ces mots :
« Tenez-moi ma cravache, Olivier. »
Oh! qui dira combien est prompte la pensée?
Dans la minute où fut la phrase prononcée
Et le mouvement fait, dans ce rapide éclair,
Olivier revécut quatre longs mois d'hiver,
Les premiers rendez-vous, l'orgueil de la conquête,
Puis le tourment d'aimer une froide coquette
Qui traite son amant comme on traite un laquais,
Froisse les billets doux et jette les bouquets,
Et tour à tour prodigue à l'homme qu'elle enlace
Le baiser qui le brûle et le mot qui le glace.
Il revit à la fois, mais dans un jour très net,
La noble rue avec le chemin qu'il prenait,
Le perron de l'hôtel et l'étroit boudoir mauve,
Où la duchesse, dans un demi-jour d'alcôve,
Fumait du tabac russe et relisait Faublas.
Il revécut les bals, les dîners, les galas,
Avec les noms fameux criés dans l'antichambre,
Puis la vie au château, les grands feux en décembre
Dans le salon orné de bergers d'éventails,
La forêt et la chasse à courre. Cent détails
Eurent en un moment le pouvoir d'apparaître,
Tout, jusqu'au fier blason qui timbrait chaque lettre,
Cyniquement écrite en mots licencieux,
Et qu'on signait pourtant du grand nom des aïeux.
Ceci dura le temps que brûle une étincelle.
Il avait devant lui la jeune fille en selle,
Les yeux baissés, groupant son bouquet comme il sied
Tandis que sa jument grattait le sol du pied.
Toutes les visions s'étaient évanouies.
Suzanne, souriant aux fleurs épanouies,
Lui dit, sans voir son front et ses yeux mécontents :
« Voyez donc, Olivier! C'est un second printemps,
Puisque Octobre permet qu'un églantier renaisse. »
Olivier répondit :
« On n'a qu'une jeunesse,
Suzanne... Mais il faut rentrer; le jour finit. »
Le père de Suzanne alors les rejoignit;
Et les trois cavaliers regagnèrent la plaine.
Ils ne se parlaient plus. - La nature était pleine
De l'immense regret du soleil disparu.
Du côté du couchant un nuage accouru
A peine en conservait une lueur d'opale.
Un grand frisson courut sur la verdure pâle;
Le funèbre horizon devint couleur de fer;
Et déjà l'on sentait au loin venir l'hiver,
Comme un homme attardé dont les pas s'accélèrent.
A gauche d'Olivier, des corbeaux s'envolèrent.
Et, pendant ce retour lent et silencieux,
Muet, il confondit, en promenant ses yeux
Sur le mélancolique et sombre paysage,
OLIVIER 167
Son mauvais souvenir et ce mauvais présage;
Et, rythmés par les pas des chevaux sur le sol,
Ces vers, dans son esprit, prirent aussi leur vol.