PLUME DE POÉSIES
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 Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.

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James
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MessageSujet: Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.   Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe. Icon_minitimeSam 21 Juil - 0:44

Vous sçavez que de tout tems j'ai souhaité avec ardeur de voir un de ces
esprits élémentaires connus parmi nous sous le nom de sylphes. J'ai toujours cru
que ce n'étoit point dans le fracas des villes qu'ils aimoient à se produire,
et, le pourrez-vous croire? Voilà l'idée qui m'entraînoit si souvent à la
campagne et me faisoit rejetter si fierement les conteurs de fleurettes: peut-
être, sans l'envie que j'avois d'être digne de l'amour d'un sylphe, aurois-je
succombé; car il y en a de jolis de ces conteurs-là. Je ne me repens point de ma
séverité, puisqu'elle m'a conduite à mon but.

C'est un songe, je ne vous donnerai mon avanture que sur ce pied-là, il faut
ménager votre incrédulité. Cependant, si c'étoit un songe, je me souviendrois de
m'être endormie avant que de l'avoir commencé, j'aurois senti mon reveil; et
puis quelle apparence qu'un songe eût autant de suite qu'il y en a dans ce que
je vais vous raconter? Comment aurois-je si bien retenu les discours du sylphe?
Il n'est pas naturel que j'aie pensé ce que vous allez entendre, toutes les
idées que vous y trouverez ne m'ont jamais été familieres. Oh! Assurément, je
n'ai pas rêvé.

Vous en croirez, au reste, ce qu'il vous plaira; quant à moi, je ne me servirai
pas de ces mots: il me sembloit, je croyois voir; je dirai: j'étois, je voyois.
Mais finissons ce préambule.

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MessageSujet: Re: Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.   Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe. Icon_minitimeSam 21 Juil - 0:45

J'étois, un des derniers jours de la semaine passée, retirée dans ma chambre;
la nuit étoit chaude, j'étois couchée d'une façon modeste pour quelqu'un qui se
croit seul, mais qui ne l'auroit pas été si j'eusse crû avoir des spectateurs.
Ennuyée d'une compagnie provinciale qui m'avoit obsedée toute la journée, je
cherchois quelque dédommagement dans un livre de morale, lorsque j'entendis
prononcer distinctement, quoi qu'à demi bas, et avec un soupir:"ô dieu! Que
d'appas! « ces paroles me surprirent et, quittant mon livre, je tâchai, malgré
la frayeur qui commençoit à me saisir, de prêter une oreille attentive.
N'entendant plus rien dans ma chambre, je crûs m'être trompée et m'imaginai que
mon esprit distrait m'avoit rendu présent ce que je venois de lire: cependant il
n'y avoit pas d'apparence qu'il dût se trouver avec de la morale; d'ailleurs,
dans ce moment, je ne rêvois à rien qui y pût convenir. J'étois encore plongée
dans ces réflexions lorsque j'entendis plus distinctement que la premiere fois:
» ô mortels! êtes-vous faits pour la posseder!"quelque flateuse que fût cette
exclamation, elle redoubla ma peur, et, rentrant précipitamment dans mon lit, je
me mis le drap sur la tête, demi morte et dans l'état affreux où peut se trouver
une femme peureuse.

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MessageSujet: Re: Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.   Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe. Icon_minitimeSam 21 Juil - 0:45

"Ah! Cruelle, s'écria-t'on alors, pourquoi vous dérober à ma vûe? Que craignez-
vous de quelqu'un qui vous adore et qui, malheureusement pour lui, est si
respectueux qu'il n'ose employer la violence pour vous voir? Répondez-moi, du
moins, ne mettez pas mon amour au désespoir. -hélas! Repris-je d'une voix
étouffée, que pourrois-je répondre dans l'état où une avanture si surprenante me
réduit? -mais que pouvez-vous craindre avec moi? Replique-t'on, je vous ai déja
dit que je vous adore. Rassurez-vous, je ne me montrerai pas, et quoique ma vûe
pût bannir la crainte de votre ame, je ne veux pas vous exposer encore à la
surprise qu'elle vous causeroit. « remise un peu par ces paroles, je releve
doucement mon drap: je vis qu'il ne s'agissoit que d'une déclaration d'amour, et
je me souvins que j'en avois soutenu plus d'une avec fierté. Je n'ai pas l'ame
foible, et je crus d'ailleurs n'avoir rien à douter d'une avanture qui
commençoit de cette sorte. Cependant on étoit amoureux, j'étois seule et dans un
état où j'avois tout à craindre de quelqu'un d'entreprenant et à qui je
supposois plus de force qu'à un homme. Cette réflexion m'inquieta, je vis tout
d'un coup le risque que je courois, et le vis avec d'autant plus de peur que je
ne trouvois pas de moyen de le prévenir. Voilà de ces fâcheuses occasions où la
vertu ne sauve de rien. J'imaginai aussi que c'étoit un esprit qui me parloit,
et d'abord je le jugeai impalpable; cependant cet esprit étoit sensible, il
m'aimoit: qu'est-ce qui l'auroit empêché de prendre un corps? Ces différentes
idées me tenoient dans une irrésolution qui ne finissoit pas, lorsque la voix
reprenant: » je sçais tout ce qui se passe dans votre ame, ma belle comtesse, je
serai respectueux: nous ne sommes entreprenans que quand nous sommes aimez. -
bon, dis-je en moi-même, je ne crois pas que je te mette jamais à portée de me
manquer de respect.

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MessageSujet: Re: Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.   Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe. Icon_minitimeSam 21 Juil - 0:45

-N'en répondez pas, dit la voix, nous sommes des amans un peu dangereux, nous
sçavons tout ce qui se passe dans le coeur d'une femme; elle ne sçauroit former
de désirs que nous ne satisfassions, nous entrons dans tous ses caprices, nous
vieillissons ses rivales et nous augmentons ses charmes, nous connoissons toutes
ses foiblesses, et quand elle pousse un soupir d'amour, que la nature dans un
moment de distraction se trouve la plus forte, nous le saisissons; en un mot, la
plus legere idée de tentation devient, par nos soins, tentation violente et
bientôt satisfaite. Avouez que si les hommes avoient notre science, il n'y
auroit pas une femme qui leur échappât. Ajoutez à cela que notre invisibilité
est, contre les maris jaloux ou les meres ridicules, d'une ressource
merveilleuse: point de précautions pour prévenir les leurs, point d'yeux
surveillans qu'on ne trompe avec ce secret. Mais, de grace, ajouta-t'il, cessez
de vous cacher à mes yeux; cette complaisance ne vous engage à rien, puisque
vous ne me verrez que quand vous le voudrez et que vos sentimens pour moi
dépendent uniquement de vous. « à ces mots, je me montrai, et l'esprit, car c'en
étoit un, fit à ma vûe un cri qui pensa me faire rentrer sous le drap; je me
rassurai pourtant. » ah! S'écria-t'il en me voyant, que de beautez! Quel dommage
qu'elles fussent destinées à un vil mortel; il est impossible qu'elles
m'échappent.

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MessageSujet: Re: Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.   Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe. Icon_minitimeSam 21 Juil - 0:46

-Quoi! Vous croyez, lui dis-je, que je ne vous échapperai pas? -oui, sans
doute, je le crois. -je trouve, repris-je, bien de la présomption dans cette
idée. -vous vous trompez, il y en a beaucoup moins que de connoissance de votre
coeur. Toutes les femmes ont la même façon de penser, les mêmes mouvemens, les
mêmes desirs, la même vanité et, à peu de choses près, les mêmes réflexions, et
ces réflexions toujours foibles quand il s'agit de combattre le penchant. -mais
la vertu, lui dis-je, croyez-vous qu'elle soit inutile? Elle ne devroit pas
l'être, reprit-il, et cependant j'imagine que vous lui donnez peu d'exercice. -
C'est trop mal penser de nous, repris-je, de nous croire incapables de la
moindre réflexion.

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MessageSujet: Re: Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.   Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe. Icon_minitimeSam 21 Juil - 0:46

-Non, répondit-il, je crois que vous réfléchissez, mais que votre coeur, plus
vif et plus prompt, échappe à la réflexion et vous détermine plûtôt pour le
sentiment que pour la raison. Ce n'est pas que vous ne pensiez assez bien pour
connoître ce qu'il faut éviter: il s'éleve des combats dans votre coeur, vous
les soutenez pendant quelque tems, et vous succombez enfin, avec cette
consolation que, si votre coeur s'étoit trouvé moins fort que vous, vous auriez
remporté la victoire. -croyez-vous donc, repris-je, que nous ne puissions jamais
vaincre notre penchant? Sommes-nous si cruellement esclaves de nos passions que
rien ne puisse les réprimer? -Cet article seroit, répondit-il, d'une trop longue
discussion. Je crois qu'il n'est pas impossible de trouver des femmes
vertueuses, mais, autant que j'en ai pû juger par votre commerce, la vertu n'est
pas ce qui vous amuse le plus: vous sçavez qu'il en faut avoir, et il me semble
que vous ne cedez à cette necessité qu'à regret. Une chose qui me paroît
autoriser mon sentiment est la tristesse et la mauvaise humeur qui regnent sur
le visage d'une femme vertueuse, d'une prude, de ces personnes qui se sont
faites de la vertu par orgueil, pour avoir le plaisir d'insulter aux foiblesses
de leur sexe. Il est des tems où elles payent ce plaisir bien cherement et
qu'elles voudroient pouvoir y renoncer.

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MessageSujet: Re: Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.   Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe. Icon_minitimeSam 21 Juil - 0:46

Mais comment faire? C'est une vertu affichée qu'il faut soutenir, elles en
gemissent en secret; toujours tentées, elles se feroient bientôt un délice de la
tentation qui les tourmente si elles pouvoient être sûres que leurs foiblesses
fussent ignorées. Leurs crieries perpetuelles contre les plaisirs prouvent moins
la haine qu'elles leur portent que le regret qu'elles ont de s'en être privées
par une vanité mal entenduë; ajoutez à cela qu'il est rare qu'une jolie femme
soit prude, ou qu'une prude soit jolie femme, ce qui la condamne à se tenir
justement à cette vertu que personne n'ose attaquer et qui est sans cesse
chagrine du repos dans lequel on la laisse languir. -mais pensez-vous, lui dis-
je, que toutes les femmes soient prudes? -les hommes, répondit-il, seroient bien
malheureux s'il n'y avoit que des femmes de ce caractere. -cependant, repris-je,
ils veulent que nous soyons vertueuses.

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MessageSujet: Re: Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.   Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe. Icon_minitimeSam 21 Juil - 0:46

-C'est, dit-il, un rafinement de goût chez eux de devoir à leurs séductions
l'anéantissement d'une chose qui leur a tant couté à établir dans votre ame, et
qui vous sied bien, quoique vous en disiez. Non cette vertu farouche qui n'en
est que la grimace, mais celle que j'imagine, et que je ne puis vous peindre
parce que je n'en ai point encore trouvé de cette sorte. -qu'est-ce donc, lui
demandai-je, que les hommes appellent vertu? -la résistance que vous opposez à
leurs desirs, et qui naît de votre attention sur vos devoirs. -et quels sont-
ils, repris-je, ces devoirs? -Ils étoient immenses, repliqua-t'il; mais comme
vous les abregez chaque jour, je crois qu'il ne vous en restera plus à observer;
aujourd'hui, ils ne consistent plus que dans la bienseance, encore n'est-elle
pas exactement suivie. -ce dérangement durera-t'il longtems? Lui demandai-je. -
tant, répondit-il, que les femmes croiront la vertu idéale et le plaisir réel,
et je ne vois pas d'apparence qu'elles changent de façon de penser. D'ailleurs,
il n'y a point de femme qui n'ait quelque foible, et ce foible, quelque bien
déguisé qu'il soit, n'échappe jamais à la recherche opiniâtre de l'amant. La
voluptueuse se rend au plaisir des sens; la délicate, au charme de sentir son
coeur occupé; la curieuse, au désir de s'instruire; il en couteroit trop à
l'indolente pour refuser; la vaine perdroit trop si ses appas étoient ignorés,
elle veut lire dans la fureur des desirs d'un amant l'impression qu'elle peut
faire sur les hommes; l'avare cede au vil amour des presens; l'ambitieuse, aux
conquêtes éclatantes, et la coquête à l'habitude de se rendre. -Vous êtes bien
sçavant, lui dis-je. -C'est, répondit-il, que j'ai voyagé de bonne heure. Mais
ne commencez-vous pas à vous endormir? Cette grande envie de philosopher ne sied
pas dans cette rencontre, et je suis sûr qu'actuellement vous me prenez pour un
sylphe des plus novices: qui sçait si mal profiter des momens aussi doux que
ceux que je passe auprès de vous ne merite pas qu'on les lui donne. Un sylphe
amoureux parler morale! En bonne foi me pardonnerez-vous d'avoir si mal employé
mon tems? -je ne sçais pas, repris-je, quel autre usage vous en voudriez faire.

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MessageSujet: Re: Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe.   Prosper Jolyot De Crébillon. (1674-1762) Le Sylphe. Icon_minitimeSam 21 Juil - 0:46

Vous m'avez piquée, et je serai bien aise de vous prouver qu'il y a de la
vertu. -c'est-à-dire, répondit-il en riant, que vous n'en aurez que par
contradiction.

Je ne doute cependant pas que vous n'en ayez, et si je ne vous ai pas dit là-
dessus tout ce que je pense, c'est qu'une aussi belle personne que vous offre
tant de choses à louer qu'on n'a pas auprès d'elle le tems de vanter celle-là. -
je ne vous pardonne pourtant pas de l'avoir oubliée, lui dis-je: vous m'aimez,
je vous en ferai bien repentir. -ma belle comtesse, répondit-il, on dit à une
belle qu'elle a des agrémens, parce qu'en le lui repetant souvent, c'est une
façon polie de l'exhorter à en faire usage; mais ira-t'on la faire souvenir de
sa vertu quand il est de notre intérêt qu'elle l'oublie? Au reste, point de
menaces, toutes ces finesses sont bonnes avec les hommes, mais songez que vous
ne pouvez me tromper. Cela est embarassant et je ne m'étonne pas de vous voir
rêver: un amant qui sçait tout ce qu'on pense, qui pénétre tout, avec lequel on
n'a aucune ressource, est quelque chose de bien incommode.

-En ce cas, répondis-je, je puis ne point essuyer cette fatigue: je ne vous
aimerai pas. -vous n'en ferez rien, dit-il. Pour éviter de m'aimer, il faudroit
que vous me disiez bien serieusement de cesser de vous voir; qui plus est, il
faudroit le vouloir, et c'est ce que vous ne voudrez pas. Curieuse comme vous
l'êtes, vous ne pourrez jamais vous empêcher de voir la fin de cette avanture.
Vous êtes précisément avec moi dans le cas où sont toutes les femmes dans les
commencemens d'une passion: elles sçavent que pour ne pas succomber il faudroit
fuïr; mais la passion plaît, elle échauffe le coeur, éteint les réflexions; la
séduction est continuelle, le retour sur soi-même momentané; le plaisir
redouble, la vertu disparoît, l'amant reste: comment fuïr? Et assurément vous ne
fuirez pas. -vous me paroissez un peu trop sûr de votre conquête, répondis-je;
je voudrois un amant plus respectueux et dont les desirs plus timides me
menageassent davantage.

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-C'est-à-dire, interrompit-il, que vous voudriez que je perdisse un tems qui
m'est précieux. Je ne suis point fait à cela. -les femmes, sans doute, ne vous y
ont point accoutumé. -non, assurément, reprit-il. -et vous avez plû par tout où
vous avez adressé vos voeux? -par tout, non, repliqua-t'il; j'ai été souvent
obligé de changer de forme pour me faire aimer. La premiere personne qui me plut
étoit une jeune innocente qui avoit encore peur des esprits. Je m'avisai de lui
parler la nuit, je pensai la faire mourir. J'eus beau lui dire que j'étois un
esprit aërien, que nous étions beaux, bien faits: l'énumeration que je lui fis
de nos bonnes qualitez ne la rendit que plus craintive, et si je n'avois pris la
figure de son maître de musique, j'étois perdu. Celle à laquelle je m'adressai
ensuite étoit une dame de grande condition, fort ignorante, qui ne comprit rien
non plus aux substances celestes, et qui ne voulut pas imaginer que je pûsse
être un corps solide. Cette idée me fit auprès d'elle un tort considérable. Ne
pouvant la vaincre malgré elle-même, je crus qu'en prenant la ressemblance d'un
fort aimable homme qui l'aimoit, je pourrois la ramener: je perdis mon tems.

Enfin, ne sçachant plus que faire, je me mis à son service et me travestis si
bien qu'elle ne m'auroit jamais pris pour un esprit élementaire; et, voyez la
bizarrerie! Je réussis. En Espagne, je trouvai une femme qui, après m'avoir vû,
ne voulut pas de moi et me prefera son amant. Je n'ai pas encore eu ce chagrin
en France. Le détail de mes avantures seroit trop long; je ne dois cependant pas
oublier une femme sçavante, dont les études avoient eu pour principal objet
l'astronomie et la physique. Je la vis et lui dis qui j'étois: je ne l'effrayai
pas mais, quoiqu'avec des efforts incroyables, je ne la persuadai point. «
Comment, disoit-elle, est-il possible, si vous êtes dans votre région matiere
corporelle, que notre air ne vous ait point étouffé en descendant parmi nous? Et
si votre être n'est qu'un composé de vapeurs fines qui ne peuvent résister aux
impressions de l'air et que le moindre vent peut dissoudre, à quoi pouvez-vous
être bon ici? » loin de refuter cet argument par des discours, je la priai de
m'admettre aux preuves. Elle y consentit, déterminée sans doute par le peu de
risque qu'elle crut y courir, ou, supposé qu'il y en eût, par le plaisir d'avoir
trouvé dans la physique élevée quelque chose d'extraordinaire que tout le monde
ne sçût pas. J'essayai donc de la convaincre; mais dans le tems que je devois
esperer qu'elle cédoit à la force de mes raisons. "ah dieu! Quel songe!"s'écria-
t'elle.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James
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