PLUME DE POÉSIES
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 Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 8

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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE  8 Empty
MessageSujet: Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 8   Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE  8 Icon_minitimeLun 7 Mai - 14:52

LIVRE 8




Durant qu'ainsi, par tout, la sage providence
Dispose toute chose au salut de la France,
Charles entré dans Rheims, d'un cours victorieux,
Se dispose luy-mesme à l'onction des cieux.
De quartier en quartier, la trompette guerriere,
Par son ordre, aux soldats commande la priere;
Le camp prie à l'instant, et vers le roy des roys
Tourne, plein de ferveur, et l'esprit et la voix.



Un pieux mouvement, excité dans leurs ames,
Pour un temps, amortit leurs belliqueuses flammes;
Du seul amour du ciel, ils bruslent desormais,
Et ne respirent plus, que douceur et que paix.
Au centre de la ville, entre six avenües,
S'esleve un sacré temple, à la hauteur des nües,
Et poussant ses clochers jusqu'au milieu des airs,
Y provoque la foudre, et brave les eclairs.
L'edifice est immense, et de structure antique;
Du dedans, du dehors, l'ornement est rustique,
Et l'ornement rustique, avec l'antiquité,
De l'edifice auguste accroist la majesté.
Pour front d'un corps si grand, vers sa plus grande place,
S'offrent trois grands portaux, sur une longue face,
Tous trois artistement, par trois cizeaux divers,
De figures sans nombre, ouvragés et couverts.
Des entrailles d'un mont la masse composée,
Par l'habile architecte, en croix fut divisée,
Et son sublime comble, en arcade ployé,
Sur cent piliers massifs, eut son faix appuyé.
D'un jour fait de cent jours, la demeure divine
De son vaste dedans tous les coins illumine,
Et descouvre, aux regards devots et curieux,
Mille vivans portraits des saints hostes des cieux.
À la droite, à la gauche, et d'un egal espace,
Regne le long des murs une voute plus basse,
Sous qui sont tout-autour mille autels eclairés,
De l'un et l'autre sexe à-l'envy reverés.



Mais l'autel venerable, où, pour regir la France,
Viennent les nouveaux roys confirmer leur puissance,
Superbe et magnifique, au fond du sacré lieu,
Sur vingt degrés, s'esleve, à l'honneur du vray Dieu.
Un grand dais suspendu de la voute maistresse,
Couvre du saint autel la brillante richesse,
Magnifique et superbe à l'egal de l'autel;
Terrestre firmament du monarque immortel.
Là pend, de l'un des murs, la banniere ancienne,
Accordée à Clovis avec la foy chrestienne;
Où, sur un fonds d'azur, estincellent encor,
Comme autant de soleils, mille fleurs-de-lys d'or.
Sous une clef d'argent, là, se tient renfermée,
De ces mesmes fleurons la couronne formée;
Où, de pierres d'elite, un thresor precieux,
En mesme temps, et blesse, et rejoüit les yeux.
On y voit resplendir la royale tunique,
L'ample manteau royal, le gros anneau mystique,
Enfin, le pesant sceptre, et l'equitable main,
Qui fait le prince juste, et rend son coeur humain.
Pour sacrer roy françois, le roy de l'Angleterre,
Betford sous Orleans croyant finir la guerre,
Avoit de Saint-Denis, entre mille joyaux,
Fait transporter à Rheims ces ornemens royaux,
Mais, par un beau retour, la juste providence,
De l'abysme des maux ayant tiré la France,
Charles, executeur des celestes decrets,
Vint, pour son propre sacre, employer ces apprests.



Il ne manquoit plus rien au divin tabernacle,
Fors le divin crystal, l'ampoulle de miracle,
Qu'en forme de colombe un esprit plein d'amour
Apporta, pour Clovis, du celeste sejour.
Au fond d'un antre obscur, dans le saint monastere
Du saint, que l'esprit saint en fit depositaire,
Sous vingt fidelles clefs, le saint vase est serré,
Et, pour l'onction seule, en peut estre tiré.
Au niveau de l'autel, sur des piles massives,
On dresse, en eschaffaut, un plancher de solives;
Où doit estre le prince, au son des chants pieux,
Par les mains du grand prestre, oint de l'huile des cieux.
Un tapis à fonds d'or, semé de roses blanches,
De l'eschaffaut uny cache les longues planches,
Et douze sieges d'or, comme un cercle tracé,
Tiennent, sur ce tapis, un grand throsne embrassé.
On prend tous les abords, et le tour de la place
Reluit de mainte pique, et de mainte cuirasse;
Remede necessaire aux efforts curieux,
Du peuple, au saint spectacle, accouru de cent lieux.
La clarté s'esteignoit, et la nuit vagabonde
De son voile ombrageux envelopoit le monde,
Elle rouloit sans bruit, et mille songes vains
S'envoloient de son char dans les coeurs des humains.
Alors, du vieux palais, Charles part en silence,
Et d'un pas mesuré, vers le temple, s'avance;
La guerriere l'y suit, et Clermont, et Dunois;
Sa cour, pour cette veille, est reduitte à ces trois.



Le prince se prosterne au pied du tabernacle,
Demande au roy des roys la fin de son miracle,
Et, dans cette esperance, attendant le soleil,
Ses offenses expie, et trompe le sommeil.
Aux plages d'orient l'aube enfin se descouvre,
Et le temple, aussi-tost, toutes ses portes ouvre;
Le passage en son sein est à peine accordé,
Que d'un torrent de peuple il se trouve inondé.
Et barriere, et soldats, soustiennent mal la foule,
Qui dans ce vaste lieu, se respand et se roule;
Le clergé, dans la nef, du grand prestre est suyvi;
La foule l'environne, et le presse à-l'envy.
À grands cris, à grands coups, les royales cohortes
Luy tracent un chemin, vers les superbes portes;
Mais le peuple, sans cesse, enfonce les soldats,
Et la pompe, en marchant, s'arreste à chaque pas.
Jusques sous le portail, serrée elle se coule,
Et voit venir, de loin, la merveilleuse ampoulle;
Ses pasles gardiens, de chacun respectés,
Celebrent, en venant, les supremes bontés.
De fils d'argent et d'or, une traisnante gaze,
Aux profanes regards cache le sacré vase;
Du corps religieux, en deux files rangé,
Va le chef apres tous, et du vase est chargé.
Du venerable abbé, le prelat venerable
Reçoit, à deux genoux, ce depost adorable,
Et, d'un pas grave et lent, vers le choeur, retourné,
Le pose sur l'autel, à l'autel incliné.



Il revere humblement la sagesse infinie,
Puis, se leve, et s'appreste à la ceremonie;
On l'habille soudain, et ses pompeux habits
Sont de perles brodés, et couverts de rubis.
D'un air majestüeux, vers le prince, il s'avance,
Et dit, toy, qui n'es roy que d'un coin de la France,
Charles, voicy le temps, par le seigneur, eleu,
Pour te l'asservir toute, et t'y rendre absolu.
Le ciel, en ce moment, sur toy s'enflamme et s'ouvre;
La cour des bien-heureux de ses clartés te couvre,
Et Dieu mesme, en sa gloire, au milieu de ses saints,
Descend du paradis, pour t'oindre par mes mains.
Admire ton bonheur, et pense à cette grace,
Qui comble la mesure, et toute autre surpasse;
Pense à quoy ce bienfait t'oblige desormais,
Et soustiens dignement la grandeur de ce faix.
Sois pere de ton peuple, embrasse sa defense;
Redonne à tes estats le calme, et l'abondance;
Ayme, et crains le tres-haut, et promets saintement,
D'honnorer ses autels, jusques au monument.
À la fin de ces mots, il luy monstre le livre,
Qui prescrit aux mortels la regle de bien vivre,
Et sur le texte saint prend le serment du roy,
Qu'il defendra l'eglise, et mourra dans sa loy.
Il jure, la main haute, et jurant s'agenoüille;
Alors, de ses habits, en haste, on le despoüille;
Ses pairs, ses chambellans, sont tous à l'environ;
L'un luy met la botine, et l'autre l'esperon.



Le grand prestre, au costé, luy met l'espée ardente,
Que jamais l'ennemy ne vit sans espouvante,
Et, du riche fourreau soudain la degageant,
Il luy remplit la main de sa garde d'argent.
Hors du brillant fourreau, la redoutable lame
Jette, en ce lieu de paix, une guerriere flamme;
Le prince, pour un temps, en supporte le poids;
Puis en remet la charge au valeureux Dunois.
Au sommet de la teste, au bas de la poitrine,
Le grand prestre oint le prince, avec l'huile divine;
Il l'oint à chaque espaule; il l'oint à chaque bras;
L'huile coule, et pourtant ne s'en amoindrit pas.
Charles sanctifié, par le celeste cresme,
S'eleve, tout à coup, au dessus de luy-mesme;
Par luy, de cent defaux il se voit affranchy,
Et par luy de cent dons il se trouve enrichy.
Il sent joindre à sa force une force nouvelle;
Pour la gloire des cieux, il sent croistre son zele,
Et n'estant plus qu'amour, qu'esperance, et que foy,
Il se sent desormais digne du nom de roy.
La royale tunique à l'instant se desploye;
L'or et l'argent meslés y brillent sur la soye;
Rieux en revest le prince, et sur ce vestement
Fait du manteau royal eclater l'ornement.
Le grand prestre à la droitte, en signe de puissance,
S'en vient luy mettre, apres, le sceptre de la France;
À l'autre il met la main, symbole d'equité,
Et, dans l'un de ses doigts, l'anneau de fermeté.



À tous les ornemens, qu'il luy met, ou luy donne,
De saintes oraisons sa sainte voix raisonne,
Et, dans le livre saint, qu'on presente à ses yeux,
Il lit, à chaque fois, les mots mysterieux.
Mais la couronne encor ne couvroit point sa teste;
À la luy mettre, enfin, le grand prestre s'appreste;
Ses douze pairs alors, vers luy dressant leurs pas,
Pour la supporter mieux, haussent leurs douze bras.
Sur le prince françois, qui n'est plus que lumiere,
Le grand prestre incliné renforce sa priere,
Et demande, pour luy, tous les dons qu'autresfois
Le berger roy-prophete obtint du roy des roys.
À peine, en sa faveur, les prieres s'achevent,
Qu'en foule tous les pairs, sur le throsne, l'elevent;
Il y sied d'un air grave, et ses pairs, tour-à-tour,
Par leurs sousmissions, luy monstrent leur amour.
Le ciel, par cent eclairs, ces saints actes avoüe;
Le monarque, en son coeur, l'en benit et l'en loüe,
Et l'on entend le peuple, avec ravissement,
En loüer et benir le roy du firmament.
Chaque pair, aux costés de la chaire royale,
Sur des sieges plus bas, ses richesses estale;
Les gardes, sur leurs pieds, sont derriere, et dessous,
Et la seule Pucelle est devant, à genoux.
Au nom du roy sacré, sur l'autel de justice,
Le grand prestre au seigneur offre le sacrifice,
Par qui le genre humain, de ses taches lavé,
Fut jadis, par les cieux, à l'abysme enlevé.



L'ordre veut que le roy, pour l'offerte, descende;
Il descend, et luy-mesme est l'offrant, et l'offrande;
La trouppe de ses pairs est esparse à-l'entour,
Et porte sa couronne, à l'aller, au retour.
On consacre l'hostie aux pecheurs salutaire;
Le prince participe au terrible mystere,
Et, le saint sacrifice heureusement finy,
Chacun, par le grand prestre, est en suitte beny.
Là cessent les saints chants, et la sainte allegresse
S'accroist en tous les coeurs, par une ample largesse;
Le peuple, par cent cris poussés confusement,
Fait voir à quel exces va son ravissement.
Le grand globe de feu, qui roule la lumiere,
Touchoit le plus haut point de sa longue carriere,
Et, de sa vive ardeur offensant les regards,
Separoit l'hemisphere, en deux egales parts.
On quitte, alors, le temple, et l'innombrable foule,
Par tous les trois portaux, avec peine s'ecoule;
Ils sortent tous enfin, et, d'aise transportés,
Vont publier le sacre aux climats escartés.
Charles rentre au palais, et, d'un parler affable,
Invite tous ses grands à l'honneur de sa table;
Du splendide festin le luxe est delicat,
Et l'exquise abondance y regne avec eclat.
D'abord, et par respect, la royale presence
Les fait tous contenir, dans un profond silence,
Puis, le vin commençant d'eschauffer les esprits,
La liberté s'y mesle, et les jeux et les ris.



Le monarque le souffre, et mesme le commande;
La joye, en nul festin, ne fut jamais si grande,
Et, d'entre leurs plaisirs, aussi doux qu'innocens,
Les moins delicieux sont les plaisirs des sens.
Ils en ont de plus chers, en tournant leur pensée,
Sur leur gloire presente, et leur honte passée;
Mais, quand leurs entretiens font le bruit le plus grand,
Survient un autre bruit, qui leurs ames surprend,
De l'un de ces partis, qu'aux quartiers des rebelles
La sainte, d'heure en heure, envoyoit aux nouvelles,
Le chef vient l'avertir que l'orgueilleux Betford,
Contre elle, du combat veut retenter le sort;
Que, pour remettre aux champs une nombreuse armée,
Il avoit de son fils la promesse semée,
De ce fils destiné, par les celestes loix,
À sousmettre les lys aux leopards anglois;
Qu'à cet appast si doux, les bandes dispersées
S'estoient, sous les drappeaux, de cent lieux ramassées,
Et que ce nouveau camp, roulant de hauts desseins,
Pour les executer, s'acheminoit vers Rheims.
Le credule Betford, pour amour souveraine,
Eut des celestes feux la science incertaine,
Et, de ces premiers corps faisant ses seuls objets,
Uniquement, par eux, regla tous ses projets.
Leurs flamboyans rayons semblerent, à sa veüe,
Percer de l'avenir la tenebreuse nüe,
Servir de voix au sort, et marquer justement
L'inevitable point de chaque evenement.



Des maisons du soleil, il creut que la naissance,
Tiroit une benigne, ou maligne influence,
Et que, tels qu'en ce point regnoient les ascendans,
Tels, ou bons, ou mauvais, estoient les accidens.
Il creut que ces beaux feux, comme on les voyoit luire,
Ou pouvoient s'entr'ayder, ou pouvoient s'entre-nuire,
Et creut, sur toute chose, apres plus d'un essay,
Qu'ils ne predisoient rien que de seur et de vray.
Soit hazard, soit raison, les aspects des estoiles,
Pour luy, des temps futurs avoient tiré les voiles,
Et cet art decevant, d'ombres envelopé,
Par elles, jusqu'alors, ne l'avoit point trompé.
En tout, l'evenement respondit au presage;
Et c'est ce qui l'afflige, et qui le decourage;
Ayant veu, chaque fois, d'un trespas avancé,
Par l'eclat de ces feux, son cher fils menacé.
Des astres dominans les parlantes figures,
Au throsne des françois portent ses aventures;
Mais, en divers egards, leurs pronostics divers
Le font, d'un point si haut, trebucher à-l'envers.
Betford veut de son fils, la gloire et l'avantage,
Betford craint de son fils, la honte et le dommage,
Par ces deux mouvemens, il sent troubler son coeur;
Le desir, toutesfois, cede enfin à la peur.
Il ayme mieux son fils sans grandeur que sans vie;
Il l'esloigne des lieux, où l'honneur le convie,
Et pense faire assés, publiant que le sort,
Pour les derniers besoins, reservoit son effort.



Mais ayant veu depuis, sous celuy de la sainte,
L'Angleterre abbatüe, et sa vigueur esteinte,
Voyant que, par nul ordre, il n'a pû l'emouvoir
À relever sa cheute, et monstrer son pouvoir;
L'amour de son pays, l'amour de la vengeance,
Luy firent dans la peur trouver de l'assurance;
Pour son fils desormais, il veut esperer mieux,
Et de nouveau, pour luy, veut consulter les cieux.
Sur un mont elevé, tranquille et solitaire,
Dans la paix d'une nuit, non moins que le jour, claire,
Des astres conjurés les flambeaux regardant,
Il revoit de son fils le mortel accident.
Regardant les flambeaux des astres favorables,
Il revoit de son fils les grandeurs admirables,
Et son coeur, agité de crainte et de desir,
Est d'abord incertain, et ne sçait que choisir.
Enfin, le pressant mal de l'angloise couronne
Fait que, plus qu'à demy, la crainte l'abandonne;
Ce danger le rassure, et luy fait concevoir,
Pour son fils bien-aymé, moins de peur que d'espoir.
Il le mande à la haste, et soudain, pour la guerre,
S'emeut toute l'Irlande, et toute l'Angleterre;
Pour la guerre, soudain tous les rempars normands
S'emeuvent à-l'envy, jusques aux fondemens.
Ce fils, quoy que loin d'eux, à la mort les remeine.
Le monarque françois ne l'entend pas sans peine;
Il rougit de colere, et plein d'emotion,
Se leve de la table, et court à l'action.



Tous, changeant de couleur à la grande nouvelle,
Bruslent au feu du prince, au feu de la Pucelle;
Ils demandent Betford, demandent le combat,
Et la chaleur des chefs passe jusqu'au soldat.
Ouy, nous le combattrons, dit la fille celeste;
Mais du sacre avant tout, achevons ce qui reste;
Dans dix jours seulement l'anglois se fera voir,
Cependant, qu'on s'appreste à le bien recevoir.
Charles, qui plus qu'aucun la bataille desire,
Dans sa chambre aussi-tost, à grands pas, se retire;
La guerriere le suit, et Clermont et Dunois;
Vers eux il se retourne, et leur dit à tous trois.
Quel est donques ce fils, ce foudre de vaillance,
Qui du triste Betford ranime l'esperance,
Et qui par son nom seul, fait que ses estandards
Osent tenter encor les belliqueux hazards?
Est-ce un nom veritable, ou si c'est une feinte?
Les cieux pour cet anglois laisseroient-ils leur sainte?
Les cieux, qui par son bras ont le lys soustenu,
Voudroient-ils l'arracher par ce bras inconnu?
Mes voix, respond la fille, ont d'une nüe obscure,
À mes foibles regards couvert cette aventure;
Mais, pouvant l'un et l'autre estre victorieux,
Celuy des deux vaincra, qui craindra plus les cieux.
Ce discours ambigu ne calme point son trouble;
Loin d'estre rassuré, sa crainte se redouble;
Du bonheur de sa cause il commence à douter,
Et songeant à ces voix les en veut consulter.



Il tourne sa pensée à ces divins oracles,
Guides de la Pucelle, aydes de ses miracles,
Qui, dans tous ses besoins humblement implorés,
Ont tousjours ses esprits en leur ombre eclairés.
Cent fois il souhaita de les pouvoir entendre,
Jusqu'alors, toutesfois, il n'osa le pretendre;
En ce moment il l'ose, et fervent et pieux,
Pour ce dessein, s'addresse à la fille des cieux.
Et Clermont, et Dunois, à sa requeste ardente,
Joignent aussi la leur humble, vive et pressante;
Elle cede à leur zele, et promet d'obtenir
Qu'ils puissent, par ses voix, apprendre l'avenir.
Marculphe a, dans son temple, une grotte profonde,
Defendüe aux regards des profanes du monde,
Une sombre retraitte, où l'homme-saint, jadis,
Vit cent fois, à ses yeux, s'ouvrir le paradis.
Par la terrestre masse, et l'horreur de son ventre,
Apres mille destours, on arrive à cet antre,
Et, dans ce long chemin, l'air sans cesse agité
N'admet pas seulement un rayon de clarté.
Haute et large est la grotte, et de toute sa voute
Sort, et distille en pleurs, l'eau claire goutte à goutte,
Qui, par le froid du lieu gelée en descendant,
Y laisse de crystal plus d'un feston pendant.
De l'eau mesme qui sort, et que le froid congele,
Se tapisse, par tout, la paroy naturelle,
Et l'autel, qui d'un roc est au fond erigé,
De semblables crystaux, est, par tout, ombragé.



À costé de l'autel, sur l'inegale terre,
Est en long estendüe une couche de pierre,
Où le vieux penitent, d'un cilice vestu,
Venoit rendre la force à son corps abatu.
C'est dans cette demeure, affreuse et sousterraine,
Que des princes sacrés la pieuse neuvaine
Leur donne, de guerir les peuples affligés,
D'un mal dont, sans remede, ils se sentent rongés.
La fille prend ce lieu, pour charmer leurs oreilles,
Par l'estonnant recit des futures merveilles;
Quand, apres leurs neuf jours en oraison passés,
Le ciel croira leurs voeux dignes d'estre exaucés.
Aux portes, cependant, mille maux incurables
Attendent du toucher les effets admirables;
Glorieux privilege, entre les autres roys,
Accordé seulement aux monarques françois.
Au moite sein de l'air, une ombre espaisse et vaine,
Naist la derniere nuit de la sainte neuvaine;
Les yeux du firmament, par tout, en sont couverts,
Et cessent de veiller le dormant univers.
Les trois princes, remplis d'une flamme devote,
Passent, avec la sainte, au plus creux de la grotte;
Le silence y reside, et l'autel mal paré
D'une lampe fumeuse est à peine eclairé.
Tous trois sont à genoux, et, bruslant d'un saint zele,
Meslent leurs saints souspirs à ceux de la Pucelle,
Et demandent ensemble à la bonté des cieux,
Que le sombre avenir se descouvre à leurs yeux;



Lors qu'on voit tout à coup, au fort de leur priere,
Eclater, parmy l'antre, une vive lumiere;
Ils esperent alors contenter leur desir,
Et, par leur esperance, avancent leur plaisir.
Mais l'ombre, à cet eclat, n'est pas esvanoüie,
Qu'un merveilleux concert de musique inoüie,
D'instrumens inconnus, et de nouveaux accens,
Vient separer leurs coeurs du commerce des sens.
Au dessus de l'autel la lumiere espandüe,
Se recourbe en theatre, et demeure fendüe;
Cent bien-heureux esprits, dans ce renfoncement,
Chantent, et sont les voix d'un concert si charmant.
De ces celestes airs la touchante harmonie,
Par un plus haut cantique, ayant esté finie,
Une voix seule reste, et cette seule voix
Parle, d'un ton puissant, au nom du roy des roys.
Dieu, dit la voix fatale, innocente guerriere,
Par sa misericorde, exauce ta priere,
Et sans voile aujourd'huy, te veut de ses decrets
Exposer les profonds et tenebreux secrets.
Il t'en veut eclaircir, et s'en explique mesme,
Par la voix d'un prophete orné du diademe;
Joüis de ses faveurs, et desormais entens
Quels seront tes destins dans la suitte des temps.
Sur les murs de Paris, ta main victorieuse,
Plantera de ton roy l'enseigne glorieuse,
Et Roüen te verra, par une sainte mort,
Achever, et de vaincre, et de perdre Betford.



Le ciel est ta patrie, et, par grace, à la terre
Te preste seulement, pour finir cette guerre;
Par l'anglois, tu mourras, mais, rendant les abois,
Ta mort sera ta vie, et la mort de l'anglois.
Dieu, qui ne t'envoya que pour sauver la France,
Fera de ta prison naistre sa delivrance,
Et, pour te couronner, apres tant de combats,
Par un heureux malheur, hastera ton trespas.
Des cieux, dit-elle alors, la volonté soit faitte;
La mort est le seul bien, que mon ame souhaitte;
Le françois, par mon sang, de ses maux doit guerir,
Et, si je vis encor, ce n'est que pour mourir.
Charles, reprend la voix, celuy qui fait ta crainte
N'est, pour ton plus grand mal, que malice et que feinte;
Ce sera le plus fier de tous tes ennemis,
Et les cieux permettront que tu luy sois sousmis.
Mais tu terraceras ce monstre d'artifice,
Quand ton injuste coeur reprendra sa justice,
Et que l'aveuglement de ton sens criminel,
Fuira devant le jour du soleil eternel.
Aux terres de l'anglois tu porteras la guerre,
Et pousseras plus loin les bornes de ta terre,
Du nom de roy des lys rehaussant la hauteur,
Par ceux de conquerant et de restaurateur.
À ta posterité ta puissance invincible,
Laissera des françois le royaume paisible,
Et l'ibere jaloux verra tes heritiers
Accroistre tes estats, par des estats entiers.



Naples, Gennes, Milan, leurs justes heritages,
Affranchis de ses fers, leur rendront leurs hommages,
Et les mers et les monts, scenes de leur valeur,
Plus d'une fois, par eux, changeront de couleur.
Charles, Louys, François, rejettons de ta race,
D'un formidable cours marcheront sur ta trace,
Et rarement vaincus, souvent victorieux,
Tousjours egalement paroistront glorieux.
Là, pour quelques momens, la voix divine cesse,
Et le prince attentif, plein de merveille laisse;
Puis, d'un ton vigoureux, soudain elle reprend,
Et Clermont, par ces mots, réjoüit et surprend.
Et toy, brave Clermont, voy quel noble prodige
Produiront les rameaux de ta royale tige,
Et, par ce rare objet excitant ta vertu,
Tens le bras secourable à ce throsne abatu.
Le regne des valois, malheureux à ses princes,
Ayant fait un chaos, des françoises provinces,
Un bourbon de ton sang, par force et par douceur,
Du sceptre contesté se rendra possesseur.
Ce grand prince, que grand, des cette heure, j'appelle,
Verra Paris en vain devenu son rebelle,
Ses estats vainement, par l'Espagne, envahis,
Et voysins et sujets, tyrans de son pays;
Tous, du combat douteux luy cederont la palme,
À son empire emeu sa main rendra le calme,
Et, sousmettant sa gloire au pied des saints autels,
Il sera dans l'Europe admiré des mortels.



Mais ce qui, plus que tout, rehaussera sa gloire,
Et servira de comble à sa divine histoire,
Sera le vaillant roy, de qui le ferme bras
Doit estre, apres sa mort, l'appuy de ses estats.
L'honneur du grand Henry sera Louys Le Juste,
N'entens qu'avec respect ce nom trois fois auguste;
Clermont, de tes grandeurs c'est l'accomplissement,
C'est des peuples de Christ l'heur et l'estonnement.
Il sera, par le choix du monarque du monde,
Arbitre souverain de la terre et de l'onde,
Enfant de la justice, et de la pieté,
Pere de la patrie, et de la liberté.
Son regne semblera le regne des miracles,
Son heureuse valeur forcera tous obstacles,
Et, ni chés les françois, ni chés les estrangers,
Ne trouvera jamais d'invincibles dangers.
Par plus d'un vent mutin, sa jeunesse exercée,
Fera voir la revolte à ses pieds terracée,
Sousmettra tous les grands à son royal pouvoir,
Et rendra tous les coeurs amis de leur devoir.
En ses robustes ans, l'insolent heretique,
Attirera, sur luy, sa valeur heroique,
Et de mille remparts verra le vain orgueil,
Precipité, par elle, en un mesme cercüeil.
Pour dernier coup enfin, la superbe Rochelle,
Verra tomber, sous luy, sa muraille rebelle,
Et le secours anglois vainement imploré
Jonchera de ses morts les rivages de Ré.



L'Europe suspendüe, apres cette entreprise,
Fondera, sur luy seul, l'espoir de sa franchise,
En recherchera l'ayde, et verra ses estats
Garantis, ou vengés, par un si ferme bras.
Enfin, estant tout grand, estant tout magnanime,
Et rien ne pouvant plus accroistre son estime,
Pour fruit de ses vertus, et pour solide appuy,
Le ciel luy donnera deux fils dignes de luy;
Deux fils; mais, ô quels fils? Mais, ô quelle esperance,
Dans l'orage mortel qui troublera la France?
Quels gages assurés du supreme bonheur,
Qui doit à ses travaux egaler son honneur?
Tout ce que, de plus grand, on peut, ou croire, ou dire,
D'un roy vrayment guerrier, vrayment né pour l'empire;
De son eclat naissant les peuples ebloüis
Le diront, le croiront du dieu-donné Louys.
Du beau feu de son frere ils penseront le mesme,
Sans luy moins presager qu'un riche diademe,
Et, de ces deux soleils leurs beaux jours attendans,
Affermiront leurs coeurs, contre tous accidens.
Leurs rares qualités, leurs hautes aventures,
Seront tout l'ornement des histoires futures;
Leur sort est de passer le sort des conquerans,
Et d'affranchir Sion du joug de ses tyrans.
De ces jeunes heros ayant accreu sa race,
Dans le sejour des saints, il ira prendre place;
Pour laisser le champ libre aux faits prodigieux,
Qu'au regne du premier ont reservé les cieux.



Louys, ce roy nouveau, cet enfant de miracle,
Jamais à ses desseins ne trouvera d'obstacle,
Et des l'instant qu'au throsne on le verra monter,
Il fera de son sort la puissance eclater.
L'Ibere audacieux, de ses forces entieres,
Inondant à Rocroy les françoises frontieres,
Louys prendra son foudre, et, sur luy le dardant,
Le fera trebucher, sous son effort ardent.
Ce foudre, par son vol, ebranslera la Flandre,
Thionville par luy verra son mur en cendre,
Et le superbe Rhein, estonné de ses coups,
Respectera les lys, et coulera plus doux.
Par tant d'exploits fameux, en une seule année,
Louys ayant fait voir l'heur de sa destinée,
Contre un autre ennemy le bras il desployra,
Et vers le mesme Rhein ce foudre lancera.
Sous Fribourg, devant soy, sa tempeste enflammée,
Chassera des germains la triomphante armée,
Et, presque au mesme instant, d'un plus ardent effort,
Du grand bourg de Philippe ira forcer le fort.
À son bruit seulement, Vormes, Spire, Mayence,
Sousmettront leurs remparts aux drappeaux de la France,
Leur sousmettront les leurs cent murs moins renommés,
Dont le Rhein a ses bords enrichis et semés.
Louys vers la mesme onde, et vers la mesme terre,
Lancera derechef son belliqueux tonnerre,
Qui fracassant les monts, et destruisant les bois,
Tombera tout en feu, sur le camp bavarois.



Par la perte des goths, Norlingue diffamée,
Verra, par ce beau feu, purger sa renommée,
Et Veimar y verra son malheur adoucy,
Par le trespas sanglant du valeureux Mercy.
Par ce foudre guerrier, tousjours plus formidable,
Enfin se dontera Dunkerque l'indontable,
Et les flots, et les vents, en sa faveur armés,
Verront, pour elle, en vain leurs efforts consommés.
Contre l'honneur des lys, la vaincüe Iberie,
Pour relever le sien, ranimant sa furie,
Par son foudre allumé Louys la combattra,
Et par luy derechef à ses pieds la mettra.
Lens, et pris, et repris, verra, sous ses murailles,
Dans un combat donné, donner mille batailles,
Et verra ce tonnerre, enceint de tourbillons,
D'Iberes terracés couvrir ses gras sillons.
Tu seras, grand Condé, ce grand foudre de guerre,
Par qui le grand Louys asservira la terre,
Si l'infernal discord, jaloux de son bonheur,
Par ses confusions, ne t'en ravit l'honneur.
Et toy, brave Conty, qui dois, par ta vaillance,
Estre l'un des appuis du throsne de la France,
Tu ne brilleras pas, d'un feu moins radieux
Que celuy qu'on voit luire au front de tes ayeux.
Ton admirable sens, ton esprit admirable,
Aux peuples estonnés te rendront venerable,
Te feront croire un ange en terre descendu,
Pour redresser l'erreur de ton siecle perdu.



L'eclat de ta bonté solide et magnanime
Redoublera l'eclat de ton esprit sublime;
Tu tiendras ta parole, et feras voir en toy
Un exemple adorable, et d'honneur, et de foy.
Ton accüeil obligeant, et ton humeur egale,
Adjousteront du lustre à la race royale,
Et les profusions de ta puissante main
Te monstreront celeste, en te monstrant humain.
Avec mille vertus, dont l'usage est paisible,
En toy compatira le courage invincible;
Non moins que les heros tu l'auras elevé,
Et seras du vray prince un modelle achevé.
Les sieges, les combats, en ta genereuse ame,
Ne trouveront que trop de belliqueuse flamme,
Et ta propre raison, la sentant allumer,
N'aura pas peu de peine à la bien reprimer.
Quelle gloire, ô Clermont, quel heur, et quelle grace,
Par luy, du tout-puissant, n'obtiendra point ta race?
Quelle protection, quelle ayde, et quel appuy
Le merite affligé n'aura-t-il point de luy?
Mais, où du fort Gaston, laisse-je les conquestes?
Il mettra Graveline en butte à ses tempestes,
Et, ceint de bataillons, sous les feux et les dards,
Fera precipiter l'orgueil de ses remparts.
Sous la mesme valeur, la mesme destinée
Aura du grand Courtray la muraille obstinée,
Et l'innombrable Ibere, armé pour son secours,
Paroistra seulement, pour voir prendre ses tours.



Mardik enfin pressé, par la mesme vaillance,
Quoy que vingt bataillons veillent à sa defense,
Quoy qu'il ait, pour fossés, les abysmes des eaux,
Verra pourtant captifs, ses murs et ses drappeaux.
Par ces bras vigoureux, si chers à la victoire,
Anne, du jeune Auguste, et la mere, et la gloire,
À qui du gouvernail le soin sera commis,
Estouffera bien-tost l'espoir des ennemis.
Pour respondre aux devoirs, et de reyne, et de mere,
Son grand coeur oublira son pays et son frere;
En faveur de l'amour, l'amour elle esteindra,
Et, pour le naturel, le naturel perdra.
Elle verra, par tout, le fier lion d'Espagne,
De trouble et de frayeur, luy ceder la campagne;
Et le soldat françois, sous elle, ardent et pront,
De lauriers en tous lieux, s'ombragera le front.
Mais, loin de le vouloir despoüiller de sa terre,
Pour la paix seulement, elle fera la guerre,
Et ses camps valeureux ne combattront jamais,
Qu'afin de l'obliger à recevoir la paix.
Jamais tant de grandeur, jamais tant de sagesse,
N'a brillé dans les yeux d'aucune autre princesse;
Et la haute vertu, ni la douce bonté,
En nulle autre, jamais n'ont si fort eclaté.
Aucun terrestre feu n'embrasera son ame;
Elle ne bruslera que d'une sainte flamme;
Dieu la remplira toute, et, dans son sein pieux,
Ne se plaira pas moins, qu'il se plaist dans les cieux.



La voix, apres ces mots, encore un coup s'arreste;
Et Dunois le dernier à l'entendre s'appreste;
Quand, d'un non moindre eclat, le discours reprenant,
Elle s'addresse au prince, et luy parle en tonnant.
Invincible guerrier, dont la masle constance
A pû faire aux anglois si longue resistance,
Et par qui la guerriere, abandonnant ses bois,
A pû venir à temps au secours des françois;
Aux belliqueux efforts de ta main esprouvée,
De la mort des tyrans la palme est reservée,
Et, plus que par aucun, Charles verra, par toy,
Le rebelle Paris rengagé sous sa loy.
Par toy, mais par toy seul, la Seine et la Garonne,
Feront rouler leurs flots sujets de sa couronne,
Et les champs d'Aquitaine, et les champs neustriens,
Seront, à l'avenir, contés entre ses biens.
La justice des cieux, qui, pesant ton merite,
Trouve, pour le payer, la terre trop petite,
Payra tes grands exploits, et tes avis prudens
D'une suitte sans fin d'illustres descendans.
Tu dois à ta patrie une race fatale,
Qui servira d'espée à la race royale,
Et qui de mesme source ayant tiré son sang,
Sur toute autre, apres elle, aura le premier rang.
Mais il faut me haster, et passer, sous silence,
Vingt princes redoutés, vingt appuys de la France;
Leurs faits sont trop nombreux, et, pour les desmesler,
J'aurois trop peu du temps qui me reste à parler.



La lumiere s'approche, et desja te rappelle
Aux exploits destinés à donter le rebelle;
Je laisse vingt heros, pour finir promptement,
Et ne veux t'informer que de deux seulement.
Quand la noire union, par son funeste orage,
Aura mis le royaume en peril de naufrage,
Et que les deux Henrys, dans ses flots engagés,
Se verront sur le point d'en estre submergés;
Un troisiesme Henry, ta vive ressemblance,
En viendra reprimer l'horrible violence,
Et, sous les tristes murs du fidelle Senlis,
Rendra l'espoir du calme à l'empire des lys.
Il est vray que sa mort, qui suyvra sa victoire,
Rompra fatalement le beau cours de sa gloire,
Et que l'estat, par luy deschargé de malheurs,
Au milieu de sa joye, en versera des pleurs.
Mais pour tarir les pleurs, qu'il luy fera respandre,
Il doit naistre un guerrier, de sa guerriere cendre,
Brave, dans le combat, sage, dans le conseil,
Et seul, dans la clemence, à soy-mesme pareil.
Resjoüy-toi, Dunois, par sa valeur supreme,
Il passera son pere, il te passera mesme;
Cet eloge est si grand, qu'on n'y peut adjouster;
C'est jusqu'où d'un mortel l'estime peut monter.
Au bonheur des françois la fortune contraire
Tiendra long-temps oysif un bras si necessaire;
Et, sans son juste objet, sa contrainte valeur,
Ne combattra, long-temps, que contre son malheur.



Enfin, lors que, par tout, et la France, et l'Espagne
D'escadrons opposés couvriront la campagne,
Et qu'entre ces partis l'univers agité,
Craindra pour la justice, et pour la liberté;
De ce dernier Henry la redoutable espée,
Contre l'usurpateur par Louys occupée,
D'un cours perpetüel de faits miraculeux,
Egalera les faits des siecles fabuleux.
Qu'il attaque une ville, on donne une bataille,
Rien ne l'arrestera, ni drappeau, ni muraille;
L'espagnol, en cent lieux, sa force esprouvera,
En cent lieux, sous ses coups, l'allemand tombera.
La Conté, la Lorraine, objets de ses victoires,
Du nombre de leurs maux enfleront vos histoires,
Et les deux bords du Rhein ne deviendront françois,
Que par les estandards aguerris sous ses loix.
L'Italie implorant le secours de ses armes,
Il ira de ses mains en essuyer les larmes,
En soustenir la cheute, en affermir le coeur,
Et servir de barriere à l'effort du vainqueur.
Mais, pour sauver le Rhein de la peur du servage,
Il laissera du Po le tranquille rivage,
Et viendra reparer la perte du heros,
De qui la Germanie attendoit son repos.
Au milieu d'un desert, dans une aride terre,
Il forcera vingt murs, et maintiendra la guerre,
Puis, serré de deux camps, de deux fleuves serré,
Il tirera son bien de son mal assuré.



Au temps que l'aspre froid glace et transit le monde,
Par l'endroit où du Rhein, le flot escume et gronde,
Dans les champs ennemis, en de fresles vaisseaux,
Il se fera passage au travers de ses eaux.
Par un coup si hardy, plus beau qu'une victoire,
Il y rencontrera son salut et sa gloire,
Puis ira relever, par sa masle vertu,
Des partisans des lys le courage abatu.
Pour exemple de force, à leur ame affoiblie
Il ira proposer l'heroine Amelie;
Dont l'esprit, jusqu'alors, balancé dans son choix,
Viendra de se ranger au party du françois.
Les invincibles goths, enfin, craignant la serre
De l'oyseau belliqueux qui porte le tonnerre,
Il ira, par son bras, s'en rendre protecteur,
Et des liberateurs sera liberateur.
Apres des faits si hauts, si pleins de belle audace,
Pour ranimer le tronc de sa mourante race,
Le ciel, par plus d'un prince, et sage, et valeureux,
Dans un second hymen, rendra son lit heureux.
Pour l'honneur de son sang, et l'heur de sa patrie,
Sortira du premier l'admirable Marie,
Le seul fruit precieux, que pour gage d'amour
Luy laissera Louyse, abandonnant le jour;
Louyse, qui des roys, autheurs de sa naissance,
Par cent rares vertus, ornera la puissance,
Et qui, du roy des roys adorant les grandeurs,
Consumera sa vie en ses saintes ardeurs.



Si jamais, dans un corps chery de la nature,
On a veu dignement loger une ame pure,
Un jugement solide, ut esprit consommé,
En Marie on verra tout ce bien renfermé.
Sans meslange d'orgueil, le genereux courage
Regnera, dans son sein, des le plus petit âge,
Et dans son noble coeur, des vices redouté,
À-l'envy regnera la constante bonté.
La severe pudeur, la douceur attirante,
La grave modestie, et l'humeur obligeante,
Jointes au zele ardent du culte des autels,
La mettront, des la terre, au rang des immortels.
Anne, sang des bourbons, aussi bien que Louyse,
Apres elle, à Henry ravira la franchise,
Et, cent perfections à ses yeux estalant,
Fera naistre, en son ame, un feu doux et bruslant.
Quoy que l'histoire conte, ou qu'invente la fable,
Elles ne diront rien qui luy soit comparable,
Et la riche nature, à former un beau corps,
N'a jamais tant mis d'art, tant versé de thresors.
C'est peu d'imaginer cette illustre merveille,
Comme le blond soleil, quand la terre il resveille;
Peu de la croire egale au soleil radieux,
Quand il luit, sans nuage, et du sommet des cieux.
Mais son corps, rayonnant d'une si belle flamme,
Ne sera qu'un crayon des beautés de son ame,
Et ses propres regards, quoy que de tout vainqueurs,
Bien moins que ses vertus asserviront les coeurs.



Ne me demande point, en combien de manieres
Elle fera briller ses diverses lumieres;
Elle luira par tout, et, jettant mille feux,
Remplira de clarté l'univers tenebreux.
Mais, ce qu'on y verra resplendir davantage
Sera le bon, le grand, l'heroique courage,
Ce royal sentiment si haut, si plein d'appas,
Qui, dans un noble sein, ne souffre rien de bas.
Ce sera cette aymable et sensible tendresse,
Qu'aux miseres d'autruy la raison interesse,
Cet humain mouvement, qui fait aux maux humains
Prester, avec plaisir, les secourables mains.
Ce sera la vertu facile et bienfaisante,
Qui va, par sa largesse, au delà de l'attente,
Qui cherche la disette, afin de l'alleger,
Et qui tient à bonheur qu'on se laisse obliger.
Ce sera la vertu, des vertus la plus forte,
Le feu qui sanctifie, et vers Dieu l'homme emporte,
Cet amour embrasé, qui, fuyant les bas lieux,
Ne tend, par ses desirs, qu'au royaume des cieux.
Ces dons accompagnés d'un sens incomparable,
D'un langage charmant, d'un air emerveillable,
D'un esprit angelique, et d'un corps tout parfait,
La rendront de Henry l'ambitieux souhait.
De leur commune ardeur, par le ciel, allumée,
Et, par leurs soins communs, nourrie et confirmée,
Eclôront deux phenix, deux princes, dont le sort
Ne brisera que tard à l'escueil de la mort.



Le premier m'apparoist, sous la forme d'un ange,
Et, par sa seule veüe, attire la loüange;
Tant les cieux liberaux, dans le feu de ses yeux,
D'abord font descouvrir de destins glorieux.
On lit, en tous les traits de son jeune visage,
Ce que fera son bras, en la fleur de son âge;
On y lit ses desseins, on y lit ses exploits,
On y lit les estats qu'il mettra sous ses loix.
Sur le front du dernier, la majesté gravée,
En luy, des le berceau, monstre une ame elevée,
Un air tout martial, à la victoire né,
Enfin un coeur semblable au coeur de son aisné.
Henry, de sa grandeur, en eux, verra des traces,
En eux, Anne verra des ombres de ses graces,
Et sur leurs jeunes fronts ils se plairont de voir,
De leurs honneurs futurs poindre et briller l'espoir.
En un port si tranquille, en un estat si ferme,
Les travaux de Henry pourroient trouver leur terme;
La raison le voudroit; mais de nouveaux besoins
Demanderont encor ses peines et ses soins.
Des princes transalpins la liberté mourante,
Le reverra, pour elle, armer sa main puissante,
Et, par son foudre ardent, lancé de trois costés,
Sousmettre aux fleurs-de-lys trois celebres cités.
Tortonne, qui des trois est la moins accessible,
Ne se laissera vaincre à son coeur invincible,
Qu'apres qu'elle aura veu, par cent assauts divers,
Ses terraces en poudre, et ses remparts ouverts.



Imprenable Tortonne, à ta fatale prise,
Milan mesme craindra de perdre la franchise,
Et de sa froide peur ne sera bien guery,
Que par le pront rappel du redouté Henry.
Son roy voudra son bras, pour nouvelle colonne,
Qui l'ayde à supporter le faix de sa couronne;
Et, parmy les piliers de l'empire françois,
Le verra fortement soustenir ce grand poids.
La terre lasse, enfin, de la tragique rage,
Par qui tous ses climats rougiront de carnage,
Pour obliger la paix à revenir des cieux,
Sur luy seul, en pleurant, tournera tous ses yeux.
Du Rhein, encore un coup, il franchira la rive,
Et, portant à la main la pacifique Olive,
Aux ennemis batus des orages du sort,
Offrira la bonace, et monstrera le port.
L'Europe le verra, trois entieres années,
S'esforcer d'adoucir leurs dures destinées,
Et, sans paroistre emeu de cent contraires flots,
Agir incessamment, pour les mettre en repos.
Pour lever tout ombrage à leurs ames guerrieres,
Son esprit jettera mille vives lumieres,
Et, sans cesse, ouvrira mille moyens divers,
Pour chasser le discord du confus univers.
Mais l'Ibere orgueilleux, irrité de ses pertes,
Refusera tousjours tant de graces offertes,
Et, flatant son depit, d'un espoir suborneur,
De la paix aux humains envira le bonheur.



Que si jamais ce bien doit venir à la terre,
Si jamais se termine une si longue guerre,
Henry seul l'aura fait, et cet heureux destin
De son noble travail sera le fruit divin.
Ah! Que dis-je? Ah! Dunois, du profond des abysmes
Pendant ces justes voeux, et ces soins magnanimes,
S'eleve un tourbillon affreux et vehement,
Qui de ce grand projet sappe le fondement.
Des astres le plus doux, par ce subit orage,
Sent couvrir sa clarté d'un infernal ombrage,
Et, par un mouvement qu'on ne peut concevoir,
Sent, pour un si saint oeuvre, affoiblir son pouvoir.
On voit les champs des lys n'estre plus que d'espines;
On n'y voit plus que feux, que meurtres, que rapines;
L'horreur par tout y regne, et, par tout, les esprits,
Contre leur propre bien, de rage y sont espris.
La paix, qui dans son char brilloit sur leur frontiere,
De trouble, à ces objets, se recule en arriere,
Et ses rayons, en vain des peuples desirés,
Laissent, en s'esloignant, leurs coeurs desesperés.
De cet astre obscurcy les lumieres esteintes,
Remplissent les mortels de soupçons et de craintes,
Et, durant cette eclypse, il n'est calamité
Que n'attende chacun de sa malignité.
Mais les puissans rayons d'une royale estoile,
Enfin perçant la nüe, et dissipant son voile;
Ce bel astre obscurcy, par ses traits radieux,
Des mortels effrayés revient charmer les yeux.



Il revient appaiser l'orage de la France,
Du retour de la paix luy rendre l'esperance,
L'esperance, et rien plus; tant le ciel irrité,
Pour son peuple endurcy, garde de dureté.
Je suyvrois le recit de ses faits memorables,
En vertu sans egaux, en gloire incomparables;
Mais l'ordre du Seigneur me contraint de finir,
Et me les fait laisser au fond de l'avenir.
Là se taist la voix sainte, et le choeur angelique,
Ranime le concert de sa sainte musique;
De ces airs, de ces sons, les princes enchantés,
Jusqu'au troisiesme ciel, s'estiment emportés.
Dans un ravissement, qui tout autre surpasse,
Chacun songe aux grandeurs de son auguste race;
La Pucelle à sa mort songe, aveque plaisir,
Et, pour joüir de Dieu, l'avance du desir.
Enfin, tout à coup, cesse, et musique, et lumiere,
Et la grotte demeure en son horreur premiere;
La lampe y luit à peine, et sa foible clarté
À peine s'y defend, contre l'obscurité.
Les princes, abatus d'une si longue veille,
Quittent l'antre ombrageux, tout remplis de merveille;
La guerriere, apres eux, l'abandonne, en priant,
Et voit blanchir le ciel aux portes d'orient.
Le soleil, qui naguere estoit allé sous l'onde,
Y chercher le repos qu'il laissoit dans le monde,
Sembloit s'estre hasté de revoir l'horizon,
Pour eclairer des maux la sainte guerison.



La barriere du jour n'est pas si tost eclose,
Que la garde, en deux rangs, les malades dispose;
Ils ont tous le teint pasle, ils sont tous langoureux,
Et le tour du grand cloistre est trop petit, pour eux.
Charles vient, et s'appreste à forcer la nature;
Des incurables maux il entreprend la cure;
Mais, avant que la faire, au mystique festin,
Mange le pain celeste, et boit le sacré vin.
Du temple, alors en pompe, au cloistre il s'achemine,
Et porte en ses deux doigts la sainte medecine;
Puis avançant la main, qu'accompagne sa voix,
Sur le front, à chacun marque la sainte croix.
Il touche, et parle ensemble, et qu'il parle, ou qu'il touche,
L'esprit d'enhaut conduit, et sa main, et sa bouche;
Par sa bouche, et sa main, le mal est escarté,
Et soudain, en son lieu, succede la santé.
Du parler, du toucher, l'effet inconcevable,
Rend aux peuples gueris Charles plus venerable;
Il paroist à son camp, d'un plus royal aspect,
Et pour luy, desormais, tous ont plus de respect.
Tel apres qu'en sa course, illustre et vagabonde,
De cent monstres crüels il eut purgé le monde,
Et que de tant de maux les peuples affligés,
Par sa force heroique, en furent soulagés;
Le valeureux Hercule, aux peuples de la terre,
Parut un Jupiter armé de son tonnerre,
Fut reveré de tous, et ne vit plus de lieu,
Qui ne le reconnust digne du nom de dieu.



Le prince venerable, au sortir du saint cloistre,
D'antiques citoyens voit trois bandes paroistre;
Soissons, Laon, Saint-Quentin, au bruit de ses exploits,
Les despeschent vers luy, pour recevoir ses loix.
Tous ont, en sa faveur, quitté son adversaire;
Tous ont mesme harangue, et mesme offre à luy faire;
Pour le moins amuser, le plus âgé de tous,
Au nom de tous luy parle, et luy parle à genoux.
Grand monarque, dit-il, tes bruyantes merveilles,
D'un eclat agreable, ont frappé nos oreilles,
Et, nous eclaircissant de ton juste pouvoir,
Ont fait rentrer nos pas au chemin du devoir.
Pleins d'un cuysant regret de tant d'erreurs commises,
Nous venons, sous ton joug, remettre nos franchises;
Maintenant de Soissons, de Laon, de Saint-Quentin,
Tes seules volontés vont regler le destin.
Philippes, de cent maux menaçant nostre terre,
Nous sollicite, en vain, de te faire la guerre;
Les miracles du ciel, à tes voeux accordés,
Du droit de ton party nous ont persuadés.
Bien que cet inconstant, pour l'angloise querelle,
Arme la Picardie, et la Flandre avec elle;
Nous embrassons la tienne, et te venons offrir
Tout ce que de bons coeurs peuvent faire et souffrir.
De forces seulement ayde nostre courage,
Et fournis nous de bras, pour combattre l'orage;
Quand le fier bourguignon, transporté de courroux,
Avec mille estandards, viendra fondre sur nous.



Le prince les escoute, et, suyvant leur demande,
Soudain pour chaque ville une troupe commande,
Leur promet qu'en repos ils vivront sous sa loy,
Et d'un accüeil humain recompense leur foy.
À l'instant, par un choix aussi juste que sage,
Tanneguy va, vers Laon, recevoir son hommage,
Et Clermont et Dunois, vont, pour la mesme fin,
Le premier, vers Soissons, l'autre, vers Saint-Quentin.
Amaury seul demeure, et suit dans le silence,
Charles, qui, sans parler, vers le palais s'avance,
L'esprit non moins confus que le coeur affligé,
D'avoir appris, pour luy, le bourguignon changé.
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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 8
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