LIVRE 5
De ce nouveau bonheur, la celeste heroine
Rend graces, pour la France, à la bonté divine,
Et par un corps choisy de mille combatans,
Des rempars de Gergeau s'assure en mesme temps;
Puis, despeschant au roy, sur la place conquise,
L'informe du progres de la sainte entreprise,
À Dieu seul l'attribuë, et finit, en pressant
Que l'armement promis soit, et prompt, et puissant.
À cet avis heureux, Charles comblé de joye,
Par tout, ordre sur ordre, à ses peuples envoye,
Et dans ses mandemens, pour les mieux emouvoir,
Se sert de la priere, autant que du pouvoir.
À cette fois enfin, des trouppes enrollées,
Les costaux sont couverts, et les routes foulées;
Chacune au rendés-vous en bataille paroist,
Et le camp d'heure en heure, et se forme, et s'accroist.
Chinon voit, sous ses tours, mille tentes superbes,
Couvrir des prés fauchés les renaissantes herbes,
Et voit mille drappeaux, sur la rive plantés,
À l'envy des guidons, par les airs agités.
À cet aymable aspect, le belliqueux monarque
De son ravissement donne plus d'une marque,
Son ame sur son front fait lire son plaisir,
Et monstre du combat un genereux desir.
Tel est un jeune amant, qui, long-temps miserable,
Esprouve enfin le sort à ses voeux favorable,
Et qui de son hymen, resolu par les cieux,
Voit les riches apprests exposés à ses yeux;
Dans une pleine mer d'inexprimable joye,
Son coeur espanoüy nage, pasme, et se noye,
Et, dans les mouvemens du visage et du corps,
Laisse, sans se contraindre, eclater ses transports.
À l'egal de leur roy, tous bruslent pour la guerre,
Tous menacent de mort le tyran de leur terre,
Et leur entretien seul est du celeste bras,
Par qui l'orgueil rebelle est desja mis à bas.
Tous fondent leur espoir sur le bras de la sainte;
Le superbe Amaury seul en a de la crainte;
Il redoute sa force, et de ses hauts exploits
N'est pas moins alarmé, que s'il estoit anglois.
Amaury, par le sort, qui du monde se joüe,
À la faveur royale elevé de la boüe,
Bien qu'il fust sans merite, et sans extraction,
Ne souffrit point de borne à son ambition.
Tout ce que de françois il restoit à la France,
Son heur prodigieux le mit sous sa puissance;
Il maistrisa son maistre, et bannit de la cour
Tout ce qu'il jugea propre à gaigner son amour.
Par mille vains soupçons, dont il chargea les princes,
De fameux exilés il remplit les provinces,
Et, d'entre tous les grands, ne laissa, pres de luy,
Que ceux dont sa grandeur sceut faire son appuy.
Il ayma mieux regner, dans une cour deserte,
Que d'estre incessamment en crainte de sa perte,
Et, prefera de vivre accablé de travaux,
À voir au gouvernail pretendre ses rivaux.
Tout luy sembla contraire, et tout luy fit ombrage,
De tout sexe il eut peur, il eut peur de tout âge,
Ne se creut jamais bien, dans son poste, affermy,
Et qui put estre aymé, devint son ennemy.
Agnes le ressentit, cette belle Agnes mesme,
Qui voyoit à ses pieds le françois diademe,
Que Charles adoroit, et pour qui seulement
Il ne desdaignoit pas la qualité d'amant.
Sous couleur de soustraire une si chere teste,
Aux succes incertains de l'angloise tempeste,
Il l'esloigna du prince, et tout seul desormais
Posseda le timon, et le regit en paix.
Mais lors que sa faveur l'elevoit sur la nüe,
Au besoin de l'estat la fille survenüe,
Par sa haute promesse, et ses faits plus-qu'humains,
Arracha le timon à de si viles mains.
Il en conceut d'abord une aspre jalousie,
Qui depuis s'accroissant jusqu'à la frenaisie,
Luy fit faire, en secret, plus d'un puissant effort,
Pour derober aux lys ce celeste support.
De son art toutesfois la force redoutable,
Trouvant à ses assauts la sainte inebranslable,
Troublé de jugement, et privé de repos,
Il tire à-part son pere, et luy tient ce propos.
Le destin envieux ma rüine a jurée;
Mon bonheur luy paroist de trop longue durée;
Mon credit l'importune, et son courroux ardent
Prepare à mon honneur un mortel accident.
J'ay tout dit, j'ay tout fait, contre cette pucelle;
Rien ne m'a profité, Charles n'ayme plus qu'elle;
Elle occupe le throsne; elle est reyne du roy;
La fortune la cherche, et s'escarte de moy.
Dans ce fatal revers, quel conseil dois-je suyvre?
Dois-je, en perdant mon grade, à ma gloire survivre?
Ou, noyant ma douleur, dans les flots de mon sang,
Me monstrer, par ma mort, digne du premier rang?
Gillon, l'oracle seul qu'il consulte en ses crimes,
Surpris de voir en luy ces pensers magnanimes,
L'interrompt par ces mots; non, non, cette valeur
Est un mauvais moyen, pour guerir ta douleur.
Ton salut, Amaury, depend de ta prudence;
Tu ne peux que par art surmonter la vaillance;
La finesse est ta force; il faut la pratiquer,
Et, par elle aujourd'huy, la guerriere attaquer.
Mais employe, à la perdre, un moins fol artifice,
Que celuy qu'autresfois t'inspira ton caprice,
Quand tu privas la cour de l'illustre beauté,
Qu'à tort tu crus fatale à ton authorité.
Il te falloit servir de ce charmant visage,
Pour ammolir du roy le trop masle courage,
Si de tous ses appas tu l'eusses combatu,
Il n'eust jamais fait luire un rayon de vertu.
Son coeur, vuide d'Agnes, par ta grossiere addresse,
A donné libre entrée à cette autre maistresse,
Qui le remplit tout d'elle, et dont l'orgueil brutal,
Dans sa pretension, n'admet point de rival.
Imprudent ennemy de ta propre fortune,
Sans trouble, avec Agnes, tu peux l'avoir commune,
Et dans l'aveuglement, dont tes yeux sont couverts,
Pour la vouloir entiere, entiere tu la perds.
Sois plus sage à ce coup. Mais par quelle sagesse
Peux-tu de ton pouvoir soustenir la foiblesse?
Ta conduitte insensée à ce point t'a reduit;
Ta desfaveur prochaine en est le juste fruit.
Je ne voy qu'un remede, au mal qui te possede,
Et la belle exilée, Agnes est ce remede;
En la restablissant, tu l'auras pour soustien
Et, par son interest, la mettras dans le tien.
Fais en donc ta ressource, et te ligue avec elle;
Fais luy, pour son salut, embrasser ta querelle;
Oppose fille à fille, en cette extremité,
Et fay, de la valeur, triompher la beauté.
Il luy tint ce discours, avec des yeux de flamme;
Le son en retentit au profond de son ame,
Et, dans ses facultés la force en imprimant,
À suyvre cet avis força son jugement.
L'esperance perdüe en son coeur se resveille;
Il despesche à l'instant, vers la jeune merveille;
L'ordre est qu'elle revienne, et Roger, entre tous,
Est choisy pour luy faire un message si doux.
De ces enfans d'honneur, que les grands des provinces
Laissent, comme en ostage, à la suitte des princes,
Le beau Roger fut l'un, par Agnes presenté,
Et parut bien son frere, à sa rare beauté.
À la chasse penible, à la guerre mortelle,
Il assista son roy valeureux et fidelle,
Et de sa grace encor demeura possesseur,
Lors que la jalousie en eut banny sa soeur.
Le favory l'appelle, et, sans peine, l'engage
À partir, et porter l'agreable message;
Il part, descend au fleuve, et saute en un bateau;
L'onde s'enorgueillit, d'un si riche fardeau.
Le bateau fuit la plage, et prend le fil de l'onde,
La rame ayde son cours, et le vent le seconde;
Un trait est moins leger; Chinon baisse, decroist,
S'esloigne, se blanchit, s'efface, et disparoist.
Roger, de temps en temps, voit, sur les deux rivages,
Aller chemin contraire, et chasteaux et villages,
Il voit, de plus en plus, le flot se desployer,
Puis, dans un lit plus ample, il le voit se noyer.
La Loire le reçoit, et reçoit la chalouppe;
Le vent frais continüe à luy souffler en pouppe;
Une heure, ou moins encor, luy fait gaigner Saumur,
Et razer en glissant le pied de son beau mur.
Jour et nuit elle coule, et nul temps ne l'arreste;
Nuit et jour son voyage est exempt de tempeste;
De Sé viennent les ponts; elle y dresse son cours,
Les passe, puis, d'Angers voit et laisse les tours.
Enfin, au premier feu de la plus vive estoille,
Non loin de Chantonceaux, elle baisse la voile,
L'aviron luy suffit, et, par son seul effort,
Avant la nuit venüe, elle surgit au port.
Ainsi, du haut d'un mont, l'oeil reconnoist à peine
Une perdrix cachée aux sillons de la plaine,
Qu'aussi-tost, pour la prendre, un vigoureux lanier
Quitte, d'un brusque vol, le poin du fauconnier.
Du sommet de la roche, en roidissant son aisle,
Par les liquides airs il s'eslance vers elle,
Et s'abat sur son corps, d'un si pront mouvement,
Qu'il confond l'arrivée avec le partement.
Où, vers les champs bretons, la Loire moins pressée,
N'a plus que le terrain, pour bride et pour chaussée,
Et, se donnant par force un lit plus spacieux,
Va grossir l'ocean de flots audacieux;
Non loin de son rivage, une basse colline
Porte un vaste palais, qui la plaine domine,
Qui domine le fleuve, et, comme roy de l'air,
Tousjours, aux environs, le voit tranquille et clair.
Tout rit, et ciel, et terre, à ce rare edifice,
Ce que peut la nature unie à l'artifice,
L'assiette, le dessein, la structure, à souhait,
Concourent à le rendre un ouvrage parfait.
La forme en est quarrée, et son altiere masse
De quatre pavillons les estoilles menace;
D'un fossé large et creux, il est environné,
Et, pour estre estendu, n'en est pas moins orné.
De jaspe et de porphyre, une solide escaille
Revest par le dehors son espaisse muraille,
Le portail est de marbre, et son cintre pesant
Pose sur dix piliers de metal reluysant.
Entre chacun des jours, deux colonnes d'albastre
Font de la cour pompeuse un noble amphitheatre,
Et cent bustes de bronze, en cent niches d'azur,
Entre chaque colonne, embellissent le mur.
L'escalier est profond, et sa douce montée
De precieux cailloux est peinte et parquetée;
Il est haut, et son faix, d'un et d'autre costé,
Par vingt geans d'airain, sur la teste est porté.
Le plafond eclatant de la superbe sale,
Semble avoir appauvry la rive orientale,
Tant l'art imitateur a, dans ses ornemens,
Semé de faux rubis, et de faux diamans.
Une suitte sans fin de pieces magnifiques,
Où, parmy les tableaux, eclatent les antiques,
Et l'or debat du prix aveque le crystal,
Fait les riches dedans de ce palais royal.
À l'oeil, pour loin qu'autour ses regards il promeine,
Paroist plus d'un parterre, et plus d'une fontaine;
Ce ne sont que canaux, que bosquets, et que prés,
Semés d'antres moussus, au repos consacrés.
Ce lieu comprend, tout seul, ce que l'humaine envie
Peut concevoir de propre au bonheur de la vie,
Dissipe tous les soins, et repaist tous les sens,
D'objets delicieux, de plaisirs innocens.
Des princes angevins il fut le doux asyle,
Quand le sort leur osta l'une et l'autre Sicile,
Et, dans un si funeste et si triste malheur,
Put consoler leur cheute, et flater leur douleur.
Avant leur regne esteint, sur le bord de la Loire,
Robert le construisit, pour tesmoin de sa gloire,
Et, de tous ses estats la richesse y portant,
Ainsi qu'un autre ciel, le rendit eclatant.
Au milieu des partis, cet espace de terre
Estoit seul respecté du demon de la guerre,
Sans que l'estranger mesme eust entrepris jamais
D'en violer l'enclos, ni d'en troubler la paix.
En un desert si beau, la belle confinée
Seule, en pleurs et souspirs, passoit chaque journée,
Sans qu'il pust de son sein, par aucun agrément,
Bannir le desplaisir de son bannissement.
Roger, touchant le port, de sa barque se lance,
Et vers le beau palais rapidement s'avance;
Il y cherche sa soeur, mais en vain toutesfois;
Par les jardins elle erre, elle erre par les bois.
Peu loin du haut palais, vers où l'herbe fleurie
Peint de mille couleurs une vaste prairie,
D'un insensible trait, s'esleve un tertre bas,
Sur qui Flore et Zephyre estalent leurs appas.
À travers la prairie, et dans le sein de l'herbe,
D'arbres droits et branchus, une route superbe
Du palais y conduit, et, de son berceau vert,
Contre le chaud du jour, forme un chemin couvert.
Où la route finit, le tertre se presente,
Et convie à monter, par sa facile pente;
Le pied en est humide, et trempe en un fossé,
Qui le tient, tout autour, comme une isle, embrassé.
Au milieu de sa coste, une vive fontaine,
À travers les cailloux, s'espanche dans la plaine,
Et, de mille ruisseaux la plaine entrecoupant,
Y nourrit la verdure, et s'y pert en rampant.
Par un jeu tout nouveau de l'artiste nature,
Dix roches, d'une affreuse et bizarre figure,
Sement le tour du tertre, et leur difformité
Par un contraire effet, en cause la beauté.
Mais les deux grands rochers, dont se forme sa creste,
Aux cieux plus fierement dressent leur chauve teste,
Et, par le bel exces de leur enormité,
Dominent sur le tertre, aveque majesté.
Tous deux, comme à-l'envy, par leurs pointes cornües,
Provoquent au combat, et les vents et les nües,
Et monstrent, dans leur tour, et leur sein tenebreux
Cent grottes, cent vallons, et cent abysmes creux.
Du plus haut au plus bas, en touffes differentes,
Par tout, d'entre les rocs, sortent de vieilles plantes,
Qui pendant les chaleurs, sous leur feüillage espais,
Et conservent l'ombrage, et maintiennent le frais.
Ce lieu, sur tous les lieux du royal hermitage,
Au jugement d'Agnes remporte l'avantage;
Il la retient les jours, il la retient les nuits,
Et luy fait quelquesfois supporter ses ennuis.
Roger impatient, vers l'aymable colline,
Pour rencontrer la belle, à grands pas s'achemine,
Et, l'ayant aperceüe, au pied de ces grands bois,
De tout loin qu'il la voit, luy crie à haute voix.
Repren, ma chere soeur, ta premiere allegresse;
Ta destinée enfin demeure la maistresse;
Amaury s'humilie, et consent qu'à la cour
Tu faces, à sa honte, un triomphant retour.
De ton astre crüel l'inflüence adoucie,
Permet qu'à sa faveur ton rival t'associe;
Il t'y veut pour compagne, et t'invite, par moy,
À venir avec luy reposseder ton roy.
Agnes, que son exil, dans la melancolie,
Profondement alors tenoit ensevelie,
Respond nonchalamment; ah! Que dis-tu Roger?
Contre ses interests voudroit-il m'obliger?
Il repart; l'interest de sa propre puissance,
À te faire cette offre, engage sa prudence;
Il le fait pour luy-mesme, et met, dans ton secours,
Ce qui reste d'espoir à ses malheureux jours.
Le pitoyable ciel, pour finir ta misere,
A fait naistre un beau monstre, une illustre bergere,
Dont l'effort heroique, en relevant l'estat,
De l'autheur de tes maux le grand colosse abat.
Charles, sur elle seule, aujourd'huy se repose;
Il veut que, de l'armée, elle seule dispose;
Par ses mouvemens seuls, tout le conseil agit,
Et la France, par elle, aujourd'huy se regit.
Amaury, dont la cheute est, par elle, evidente,
Met en toy son recours, en toy met son attente,
Et veut que la beauté combatant la valeur,
Luy serve à reprimer le cours de son malheur.
Sur le point du naufrage, à son ayde, il implore
Le visage divin que l'univers adore;
À son ayde il t'implore, et te veut bien devoir
Tout ce qu'à l'avenir il aura de pouvoir.
Tandis qu'à ta grandeur le sort est favorable,
Abandonne ce lieu, pour toy si miserable,
Quitte cette prison, viens regner à la cour,
Et viens y rallumer le flambeau de l'amour.
Par ton propre ennemy puissamment secondée,
Tu reprendras la place autresfois possedée,
Destruiras la guerriere, et pres du jeune roy
Ne verras rien de grand, qui ne soit moins que toy.
De transport elle baise, elle embrasse son frere,
Desormais, de son sort, toutes choses espere,
Vers le riche sejour, tourne à l'instant ses pas.
Et sent, avec plaisir, resveiller ses appas.
Elle ordonne, en marchant, que sa galere aymée,
De voile, et d'avirons, soit prontement armée,
Et que chacun des siens, le sommeil bannissant,
Soit prest à s'embarquer, au soleil renaissant.
Dans sa chambre elle passe, et là, pleine de joye,
Des vestemens pompeux l'abondance desploye,
Et pour accompagner ses precieux habits,
Tire des diamans, des perles, des rubis.
Sa main en trouve plus, que son coeur n'en desire,
Le nombre l'embarasse, et sa peine est d'elire;
Elle en pare à la fin, avec addresse et choix,
Sa simarre, son col, sa coiffure et ses doigts.
La nuit se passe toute, en ce bel exercice,
Sans que, sous ses pavots, Agnes s'appesantisse,
Mais attendant le jour, qui tarde à revenir,
Elle veut que Roger la vienne entretenir.
Elle se fait conter l'envoy de la guerriere,
De son avenement l'admirable maniere,
Les forts qu'elle a conquis, les chefs qu'elle a dontés,
Et sur tout, ses attraits, sa grace, et ses beautés.
Roger l'instruit de tout, et, loüant la pucelle,
En beauté toutesfois, la fait bien moindre qu'elle;
Elle, qui se connoist, le croit facilement,
Et s'en ose promettre un bon evenement.
Seule enfin il la laisse, et voit, sur le rivage,
La nombreuse famille, et le riche equipage;
L'embarquement se fait, et sous le grand fardeau
La galere s'enfonce, et se met à fleur d'eau.
Agnes demeure seule, en sa chambre dorée,
Qui de brillans miroirs tout-autour est parée,
Et, de quelque costé qu'elle tourne les yeux,
Y voit l'objet de tous le plus delicieux.
En la plus haute part d'un visage celeste,
Les glaces luy font voir un front grand et modeste,
Sur qui, vers chaque temple, à boüillons separés,
Tombent les riches flots de ses cheveux dorés.
Sous luy, roulent deux cieux, d'où mille ardentes flammes,
Mille foudres, sans bruit, se lancent dans les ames;
Deux yeux estincelans, qui, pour estre serains,
N'en font pas moins trembler les plus hardis humains.
Là, forgent les amours les redoutables armes,
Dont les coups, pour du sang, ne tirent que des larmes,
De là volent les dards, de là volent les traits,
Avec qui les esprits n'ont, ni trefve, ni paix.
Au dessous se fait voir en chaque joüe eclose,
Sur un fond de lys blanc, une vermeille rose,
Qui, de son rouge centre espandüe en largeur,
Vers les extremités fait paslir sa rougeur.
Plus bas s'offre, et s'avance une bouche enfantine,
Qu'une double fossette aux deux angles termine,
Et dont le petit tour, fait d'un coral riant,
Couvre un double filet de perles d'orient.
On voit que la nature, achevant son ouvrage,
D'un exquis artifice arondit ce visage,
À ses plus petits traits donne un air delicat,
Et mesle, en tout son teint, la fraischeur à l'eclat.
On voit que, sous son col, un double demy-globe
Se hausse par mesure, et sousleve sa robe;
L'un, et l'autre d'un blanc si pur et si parfait,
Qu'il ternit la blancheur de la neige et du lait.
On voit, hors des deux bouts de ses deux courtes manches,
Sortir, à descouvert, deux mains longues et blanches,
Dont les doigts inegaux, mais tous ronds et menus,
Imitent l'embonpoint des bras longs et charnus.
S'observant toute entiere, Agnes se trouve grande,
De la juste grandeur que son sexe demande,
Et dans sa taille noble, et sa libre action,
Elle ne voit que gloire, et que perfection.
Elle juge qu'en tout, toute autre elle surpasse,
Mais remarque, sur tout, l'inexprimable grace,
Qui, dans ce bel amas, ses beaux rayons semant,
En rend beau l'assemblage, et le lustre charmant.
À ces dons naturels enfin joignant l'estude,
Elle adoucit, par art, tout ce qu'ils ont de rude,
Et mettant, en leur jour, tout ce qu'ils ont d'appas,
Se tire hors du rang des beautés d'icy bas.
Telle ou moins radieuse, est l'aurore vermeille,
Quand au sortir des flots le monde elle resveille,
Et, mirant ses attraits dans les saphyrs des cieux,
Range sa chevelure, et compose ses yeux.
La belle, à tant d'eclat, elle mesme s'admire,
Et de son propre amour est atteinte, et souspire;
Elle se croit deesse, et, des humbles mortels,
S'appreste à recevoir l'encens et les autels.
Agnes, dit-elle alors, contemplant son image,
Enfin ton ennemy t'est venu rendre hommage;
Tu le vois à tes pieds, tu le vois plein d'ennuy,
Qui recourt à ton ayde, et brigue ton appuy.
À quel plus grand honneur aurois-tu sceu pretendre?
La gloire de ton nom plus loin ne peut s'estendre;
Desormais que sous toy s'abbaisse la fierté,
Sous qui le monde a veu succomber ta beauté.
Menage, heureuse Agnes, cet instant favorable,
Qui peut changer en mieux ton estat miserable;
Du gré de ton rival, va de luy te venger;
De ton prince, avec luy, va l'amour partager.
Va partager son sceptre, avec ton adversaire;
Mais ne te joins à luy que pour mieux le desfaire,
Ne songe, en le sauvant, qu'à le faire perir,
Et te garde d'aymer, qui n'a pu te cherir.
Le jaloux, à son ayde, aujourd'huy ne t'appelle,
Que pour vaincre, par toy, l'invincible pucelle;
Son danger luy fait seul ce remede embrasser;
La pucelle chassée, il te voudra chasser.
Chasse là de la cour, puis luy-mesme l'en chasse;
Pres du roy seulement songe à rentrer en grace;
Peu de temps suffira, pour rengager ce coeur,
Sous l'agreable joug de son premier vainqueur.
Mais il faut l'attaquer, avec toutes tes armes,
Monstrer tous tes appas, estaler tous tes charmes,
Et, desployant ta force et ta dexterité,
Pour la seconde fois, donter sa liberté.
Vienne apres, cette fille, effroy de l'Angleterre,
Pour t'oster ce captif, te declarer la guerre;
Malgré tout son pouvoir, ses cieux, ou ses enfers.
Tu retiendras ta prise, en tes aymables fers.
Roger entre à ce mot, et luy dit que l'aurore
Eclaircit desja l'ombre, et commence d'eclôre,
Qu'il est temps de partir, et que les matelots
N'attendent qu'apres elle à sillonner les flots.
Ma soeur, adjouste-t-il, de ta grandeur future
Confirme l'esperance avec ce bon augure;
Le vent frais, qui vers toy m'a si viste amené,
Pour seconder tes voeux, tout à coup s'est tourné.
Jusques dans ce desert, la fortune changée
Te vient faire raison de t'avoir outragée;
Elle vient au devant de ta rare beauté,
Pour luy servir de guide, au throsne souhaité.
Sors donc, brillant soleil, de cette nuit profonde,
Et reviens de ta flamme illuminer le monde.
Agnes dans le desir d'aller luire à la cour,
Abandonne à l'instant ce superbe sejour.
Elle court vers le port, par Roger soustenüe,
Et marque ses beaux pas dans l'arene menüe;
Le vaisseau la reçoit sur un pont preparé,
Et de l'humide bord est soudain separé.
Pour donner à sa course un chemin plus facile,
La Loire s'applanit, et semble estre immobile;
Le pilote, à la pouppe, alors se vient placer,
Et fait la voile au mast, sur l'antenne, hausser.
On ne voit plus aux cieux paroistre aucune estoille,
Un amoureux zephyre enfle la riche voile,
La chourme, en ses deux bords, suspend les avirons.
Et voit le fleuve calme, en tous les environs.
Contre le cours des flots, on ouvre la carriere;
L'eau boüillonne devant, et murmure derriere;
Le vent pousse, et l'endroit, où la proüe a passé,
Garde long-temps d'escume un blanc sillon tracé.
Gergeau voit, cependant, par Dunois et la sainte,
Avec tous leurs drappeaux, occuper son enceinte,
Et voit en tous ses toits, le camp victorieux,
Par les mains du sommeil, souffrir clôre ses yeux.
Mais, avant que le jour sorte du sein de l'onde,
Et rende la couleur à la face du monde,
Chacun, par la trompette, au depart excité,
Prend la route de Meun, d'un pas precipité.
On va, comme en volant, et le cours de l'armée
Laisse à peine sa trace en l'arene imprimee;
Orleans la revoit, et, sous ses hauts remparts,
En retient, pour un temps, les braves estandards.
Honteux de n'agir point en sa propre querelle,
Son citoyen s'anime à combattre pour elle,
Et mille, des moins vieux, sur sa place enrollés,
Volontaire recreüe, aux soldats sont meslés.
De ce nombre, en passant, ils accroissent leur nombre;
Sur ce temps vient la nuit, mais elle vient sans ombre;
La lune l'illumine avec ses plus beaux rais;
Ils reprennent leur marche, et joüissent du frais.
Vers Meun tire l'armée, et l'aube renaissante,
Luy fait voir de ses toits la cime blanchissante;
Les coureurs avancés y donnent brusquement,
Et franchissent, d'un saut, le bas retranchement.
De la teste du pont, au temps mesme, ils s'emparent;
Le defenseur se trouble, et ses esprits s'egarent;
Il craint, il fuit d'abord, et le poste ocupé
De peu de noble sang en demeure trempé.
Sans peine, la guerriere emporte le passage,
Gaigne, aveque les siens, l'opposite rivage,
Et, d'un pas de vainqueur, approche Baugency,
Devant que l'horizon soit par tout obscurcy.
Au bruit de ses tambours, l'anglois tremble et frissonne,
Abandonne le champ, la muraille abandonne,
Et, dans le seul chasteau sur la ville elevé,
Croit du foudre françois pouvoir estre sauvé.
Comme lors qu'un grand feu, que suscite en la plaine,
Du glaçant aquilon la vigoureuse haleine,
D'un vol impetüeux, aveque les moissons,
Enveloppe et destruit, les bourgs et les buissons;
Les peuples, qu'il surprend dans la vaste campagne,
Quitent de toutes parts, courent vers la montagne,
Y grimpent effrayés, et de l'embrasement
N'esperent s'affranchir, qu'au sommet seulement.
Du sourcilleux chasteau la ceinture terrible
Borde un roc escarpé, hautain, inaccessible,
Où meine un endroit seul, et de ce seul endroit
Droitte et roide est la coste, et le sentier estroit.
L'anglois, bien que sur luy tombe toute la France,
À l'abry de ce mur fait voir de l'assurance,
Et se figure encor, qu'il peut du conquerant,
Par cette forte digue, arrester le torrent.
Mais l'affreuse terreur, qui, contre la Pucelle,
Voit, dans cette esperance, obstiner le rebelle,
D'un si frivole espoir soufrit amerement,
Et, vers les champs bretons, vole soudainement.
Vers la nuit, la guerriere, arrive sous la place,
La somme vainement, vainement la menace,
Par tout, aux environs, va les gardes poser,
Puis au camp, sous leur foy, permet de reposer.
Voyant du monde enfin les tenebres chassées,
Elle esveille, en tous lieux, les trouppes delassées,
Les assemble, et leur dit; à vos vaillantes mains,
On ne peut opposer que des obstacles vains.
Il n'est rien de si grand, rien de si redoutable,
Où ne puisse aspirer vostre coeur indontable,
Et ce roc, qui si bas vous descouvre au dessous,
Va bien-tost esprouver ce que pesent vos coups.
Quoy qu'il soit defendu, par sa pente couppée,
Il va voir, sur sa cime, eclater vostre espée,
Et quoy qu'à la nature, en luy, se joigne l'art,
Il va voir, sous vos pieds, l'orgueil de son rempart.
Tous, d'un mesme transport, ces paroles entendent,
Tous l'attaque impossible, à haute voix, demandent;
L'heroine les loüe, et fait, des ce moment,
D'un ample cavalier jetter le fondement.
Par ses ordres, en rond, la figure s'en trace;
De gazon et de bois s'en compose la masse;
D'heure en heure il se hausse, et, dans moins de cinq jours,
De la superbe place il commande les tours.
Tout le camp à-l'envy s'occupe à cet ouvrage;
Son oblique chemin doucement se menage,
Et sans estre, en nul lieu, ni roide, ni glissant,
Chacun le monte à l'aise, à l'aise le descend.
Dans cinq jours on l'acheve, et desja, sur le faiste,
Le foudroyant metal fait bruire sa tempeste;
Desja les assiegés, qu'elle voit au dessous,
Malgré leur assurance, en redoutent les coups.
Vers le bas de la Loire, une guerriere bande
Sur ce temps se descouvre, impetueuse et grande;
Ses harnois sont polis, et batus du soleil,
Luy rendent un eclat, à son eclat pareil.
L'effroyable terreur, turbulente et rapide,
Luy tient lieu, dans son cours, de trompette et de guide,
Fend les airs à sa teste, et d'un vol elancé,
La meine au boulevard, par la sainte, pressé.
Elle a pour chef Artus, ce breton magnanime,
Qui, sur cent nobles faits, bastissant son estime,
Au degré le plus haut, où montent les soldats,
À l'ombre des lauriers, avoit porté ses pas.
En cent occasions, sa force et sa conduitte
Aux trouppes des tyrans avoient donné la fuitte,
Avoient de leur bonheur arresté le progres,
Et mis l'honneur du prince, à couvert de leurs traits.
Mais la peste des cours, la noire jalousie
Contre tant de vertus armant sa frenaisie,
Le jeune roy par elle, et surpris, et gaigné,
L'avoit indignement de sa grace eloigné.
Et ce fatal exil, cette injure soufferte,
Aux maux de la couronne ayant la porte ouverte,
Le valeureux breton, par les siens, outragé,
Par son propre ennemy, se vit trop bien vengé.
Un coeur moins genereux eust aymé sa vengeance;
Le sien ne peut l'aymer, aux despens de la France;
Il la souhaita libre, et creut tousjours devoir
Pour elle, quoy qu'ingrate, employer son pouvoir.
Ainsi, lors qu'un amant, par son noble service,
A de ses envieux irrité la malice,
Et que sa dame foible, et sousmise à leur loy,
A d'un bannissement recompensé sa foy;
Si de quelque grand mal il la voit menacée,
Il sent renaistre en luy sa tendresse passée;
Toute injuste qu'elle est, il la cherit tousjours,
Et ne peut plus songer qu'à luy donner secours.
Enfin, avec cent voix, la vague renommée
Le vient entretenir de la bergere armée,
Et, luy contant au long ses valeureux exploits,
La luy fait croire née au salut des françois.
Au bruit d'une si rare et si haute merveille,
Le genereux Artus son courage resveille;
L'entreprise le charme; il y veut prendre part,
Ramasse sa puissance, et haste son depart.
Tout ce que la Bretagne a d'ames belliqueuses,
Suit du heros breton les enseignes fameuses,
Et, de ses bords tiré, par l'espoir des combats,
Vers la Loire, apres luy, precipite ses pas.
Ces invincibles coeurs, du fond de leur province,
Au secours de la France, accompagnent leur prince,
À ses commandemens ont leur vouloir sousmis,
Et bruslent d'affronter les drappeaux ennemis.
Aux rempars d'Orleans, par le milieu du Maine,
Infatigable et pront, leurs brigades il meine,
Et sur la Sarte apprend, que le sort est changé,
Et que Dunois assiege, au lieu d'estre assiegé.
Sous Vendosme il apprend, que de l'angloise armée,
Par la valeur françoise à-demy consumée,
Dans le fort Baugency, les restes ramassés,
Par le bras de la sainte, alloient estre forcés.
Il repute à malheur ces heureuses nouvelles,
Et, pour joindre Dunois, voudroit prendre des aisles;
Ah! Compagnons, dit-il, pressons, doublons nos pas,
Et que l'anglois par nous souffre quelque trespas.
Si nous ne nous hastons de luy porter la guerre,
Nous aurons vainement traversé tant de terre,
Et ce dernier rempart, qu'attaque le françois,
Sera, sans nous encore, asservy sous ses loix.
Le breton à ces mots, d'une course hastive,
Jusques aux murs de Blois, ce mesme jour, arrive,
Dans l'ombre suit sa course, et, trompant le sommeil,
Est desja loin de Blois, au lever du soleil.
À la fin Baugency luy descouvre sa roche;
Le françois le descouvre, et le voit qui s'approche;
Il le juge ennemy, suspend tous ses travaux,
Et le va reconnoistre, avec mille chevaux.
Il va, songe à combattre, et ses armes appreste;
Des escadrons serrés la sainte prend la teste;
Artus la voit venir, arreste ses soldats,
S'avance seul vers elle, et marche au petit pas.
Elle, à qui plaist du chef la guerriere asseurance,
Au petit pas, vers luy, seule marche et s'avance;
Il a la lance haute, elle l'a haute aussi,
Mais preste à la coucher, lors qu'il luy parle ainsi;
De grace, fay moy voir la vaillante Pucelle,
Qui remplit l'univers de sa gloire immortelle;
Des rivages bretons, je viens la visiter.
Tu la vois, respond-elle, et te peux contenter.
Il reprend; ô des cieux merveille incomparable,
Au malheureux Artus monstre toy favorable;
Reçoy le au rang des tiens, et, comme ton soldat,
Laisse luy, par ses faits, meriter de l'estat.
Ses perfides rivaux, par leur noir artifice,
Contre luy, de son prince ont surpris la justice;
Leur addresse maligne a pu le luy ravir,
Et la reduit, par force, à ne le plus servir.
Toy, qui lis dans les coeurs, ô sainte magnanime,
Voy si son infortune est l'effet de mon crime,
Si ses peuples, par moy, sont accablés de fers,
Et si je suis l'autheur des maux qu'ils ont soufferts.
Des lasches courtisans defens mon innocence,
Et sers toy de mon bras, pour le bien de la France;
J'implore ta bonté, j'implore ton pouvoir,
Fay que je vive et meure, en suyvant mon devoir.
Tu vois de mes vassaux la genereuse elite;
Leur naissance est illustre, illustre leur merite;
Tout cede à leurs efforts, et le superbe anglois
Est desja, sous leurs coups, tombé plus d'une fois.
Je t'offre cette bande, et je m'offre avec elle,
À ta rare valeur, joins sa force et mon zele,
Aux dangers les plus grands, esprouve nostre foy,
Et croy que nous mourrons, ou vaincrons avec toy.
Elle respond alors; quelle lointaine plage
Du genereux Artus ignore le courage?
Quel climat si barbare, et si peu frequenté,
N'a pas sceu sa constance, et sa fidelité?
Ouy, je reçoy ton offre, et je tiens mesme à gloire
De remporter, par toy, le prix de ma victoire;
Je renforce mon camp de tes braves guerriers,
Et veux bien, comme à toy, leur devoir mes lauriers.
Ton monarque sçaura, combien ton assistance
Aura de son pays hasté la delivrance,
Et sans plus escouter, ni jaloux, ni flateur,
Cherira desormais un si grand serviteur.
À l'accueil obligeant de la fille divine,
Sur l'arçon, devant elle, humblement il s'incline;
Elle tourne, et l'emmeine; il suit d'aise ravy,
Et des siens, vers le mur, en bon ordre, est suyvi.
L'assiegé qui le voit, et qui voit la Pucelle
Enfler ses escadrons d'une trouppe nouvelle,
Glacé par la terreur, et du françois poussé,
Se sent de sa vertu, tout à coup, delaissé.
Comme quand, par le trait d'une volante foudre,
Un superbe palais vient d'estre mis en poudre;
Sans que l'art, dont le prince a creu le secourir,
Ait produit autre effet, que l'y faire perir;
Si par l'effort du vent, au prochain edifice,
L'espouvantable feu se respand, et se glisse;
Son tremblant possesseur, ne pouvant l'amortir,
Pour ne s'y perdre pas, se resout d'en sortir.
Ainsi quand Baugency, voit fondre sur sa teste,
Du foudroyé Gergeau la mortelle tempeste,
Son brave defenseur n'ose plus resister,
Et, pour n'y perir pas, resout de le quitter.
La nuit survient obscure, et du bras de la sainte,
Dans l'esprit des anglois vient redoubler la crainte;
Et la froide terreur, ses glaces y semant,
Leur fait de leur salut juger sinistrement.
Elle n'offre à leurs yeux que des objets funebres,
Et la lumiere à peine a banny les tenebres,
Que, dans le desespoir d'un assés pront secours,
Ils se monstrent, sans dards, au sommet de leurs tours.
À ce signal de paix, l'attaque est suspendüe;
La place capitule, et soudain est rendüe;
Douze enseignes d'elite, et cinq forts estandards,
Sous la foy du traité, sortent de ses remparts.
Les demons, dont la rage a formé tant d'obstacles,
Cedent à ce torrent de visibles miracles,
Et, trop foibles contre eux, veulent, pour quelque temps,
Cesser de traverser les françois combatans.
Jamais aucun dessein n'eut un cours si rapide;
D'un commun sentiment, c'est le ciel qui le guide;
Le doigt de Dieu s'y voit, et, dans tout son progres,
Paroist l'executeur des souverains decrets.
Les vaincus à Jenville obtiennent qu'on les rende;
Un grand corps est choisy; Saintrailles le commande;
Il va pour leur escorte, et, dans Meun repassant,
Voit, contre luy, l'anglois en bataille avançant.
Le peril de Gergeau, sensible à l'Angleterre,
Avoit porté ses chefs à retenter la guerre,
Et Talbot, avant tous, redevenu puissant,
Raccouroit vers la Loire, en ce besoin pressant.
Mais, dans sa pronte marche, en ayant sceu la prise,
Bien que ce mal le touche, il feint qu'il le mesprise,
Et, sans laisser troubler son ferme jugement,
Tourne vers Baugency, d'un soudain mouvement.
La vehemente peur de ce nouveau dommage,
Dans son valeureux sein, renforce son courage,
Il anime ses gens, et ses gens animés
Renforcent leur courage, et marchent enflammés.
Talbot de Meun s'approche, et, hors de sa muraille,
Apperçoit les françois, qui viennent en bataille;
Puis voit un corps serré, de neuf fois cent soldats,
Se detacher du leur, et venir à grands pas.
À l'aspect de ce corps, le coeur remply de joye,
Pour les siens, il le juge une facile proye,
Commande, contre luy, douze gros escadrons;
L'ordre n'est pas donné, qu'ils partent vifs et pronts.
Humford qui les regit, voit, et non sans merveille,
Que l'enseigne opposée à la sienne est pareille,
Puis à la contenance, à l'habit, à la voix,
Reconnoist que la trouppe est d'amis, et d'anglois.
Leur chef, en l'abordant, parle ensemble, et souspire;
Baugency, luy dit-il, n'est plus sous nostre empire;
Il nous vient d'eschaper, et le secours douteux
Nous a reduits à prendre un party si honteux.
Humford à cet avis, l'ame pleine de glace,
Va surprendre Talbot par cette autre disgrace;
Et le brave Talbot, du coup inopiné,
Bien qu'il le cele encore, a le coeur estonné.
Il se dit à soy-mesme; enfin si, sur la Loire,
Dunois s'est veu, par tout, suyvi de la victoire;
S'il a, sous Orleans, nostre lustre obscurcy;
S'il a forcé Gergeau, s'il a pris Baugency;
Que luy reste-t-il plus, qu'à voir nostre desfaitte?
Pour la seconde fois, songeons à la retraitte,
Cedons au plus puissant, reverons son bonheur,
Et laissons à sa gloire immoler nostre honneur.
Dans un ordre serré, pour chercher un asyle,
Aussi-tost sur ses pas, il tourne vers Jenville;
De temps en temps s'arreste, et monstre à l'ennemy,
Sur un front descouvert, un courage affermy.
Le cavalier françois le poursuit de furie,
Et, des le premier choq, rompt sa cavallerie;
Puis, en queüe, à la teste, aux costés, le chargeant,
Il le contraint de faire un cours moins diligent.
Ainsi quand, au milieu de l'abyssine plage,
Le tygre bondissant, affamé de carnage,
Se trouve tout à coup enceint et poursuyvi,
De negres, à sa mort, animés à-l'envy;
Bien que d'un pas leger, et d'une forte haleine,
Il s'esloigne, à la course, au travers de la plaine,
De moment en moment, par cent traits arresté,
Il s'affoiblit d'haleine, et de legereté.
Talbot va lentement, mais tousjours gaigne terre,
Sans laisser perdre l'ordre aux trouppes d'Angleterre;
Fascot est devant tous, apres tous est Humford;
L'un perce le françois, l'autre en soustient l'effort.
Long-temps, en cet estat de guerre et de voyage,
L'anglois marche et resiste, avec peu de dommage,
Et desja sous Patay, malgré tout, arrivé,
Voit les murs de Jenville, et s'estime sauvé;
Quand la sainte et Dunois, sur l'avis de Saintrailles,
Quittent de Baugency les conquises murailles,
Et, vers le fier Talbot, fendant le sein des airs,
Viennent environnés de foudres et d'eclairs.
À l'avis redoublé, qui les presse, et represse,
Ils rasent les sillons d'une egale vistesse;
Avec eux est Artus, avec eux ses soldats,
Et l'aride terrain resonne sous leurs pas.
Mais ils ont beau piquer, et beau lascher la bride;
Leur carriere est en vain vigoureuse et rapide,
Un bois sombre et touffu, rencontré sur leur cours,
Les egare d'abord, en ses confus destours.
Dans ces forts vainement plus d'un passage ils s'ouvrent;
Les anglois à leurs yeux, par ce voile, se couvrent;
La chasse est en defaut, et le boüillant Dunois
Se plaint, que son malheur luy derobe l'anglois;
Artus en paroist triste, et regarde la sainte;
Mais, allons, leur dit-elle, et sans doute, et sans plainte;
Talbot sera ma proye, il ne peut l'eviter;
Le ciel, en ma faveur, va sa trace esventer.
Et, sur ce mesme temps, en ce lieu mesme arrive
Un cerf, large de teste, et de taille excessive,
Qui d'un colier d'argent a le grand col armé,
Et l'argent, tout autour, de lys d'or est semé.
Ce cerf, depuis un siecle, en ces provinces erre,
Et joüit de la paix, au milieu de la guerre,
Par un heureux destin de gloire accompagné,
Respecté des veneurs, et des chiens espargné.
Pris jeune sous la biche, il eut pour sa maistresse
Du premier des valois la femme chasseresse,
Et de sa noble main flaté, paré, nourry,
Vescut, parmy sa cour, animal favory.
Là poussé d'un instinct, ou d'une connoissance,
Comme s'il eust preveu les succes de la France,
Par cent signes divers, mais signes evidens,
Il luy marqua tousjours ses futurs accidens.
Rendu mesme aux forests, et libre de servage,
De ce pressentiment il n'eut pas moins l'usage,
Et ne parut depuis, que pour luy presager,
Ou son proche bonheur, ou son proche danger.
La sainte le descouvre, et, voilà, leur dit-elle,
Qui va dans un moment nous monstrer le rebelle,
C'est le ciel, qui l'envoye; allons, et sur ses pas,
Portons à l'ennemy la honte et le trespas.
Le cerf, en ce moment, abandonne la place,
Et la fille et Dunois le suyvent à la trace,
Artus comme eux le suit, et tous trois, pleins d'ardeur,
Courent, en le suyvant, de pareille roideur.
Mais la legere beste, en sa longue carriere,
Prend tousjours avantage, et les laisse derriere;
Sans ailes elle vole, et se perd devant eux;
Leurs pas encore un coup sont errans et douteux.
En vain chacun regarde, en vain chacun escoute,
De l'anglois derechef ils ignorent la route,
Et, d'un trouble nouveau, leur esprit ocupé
Le juge, par la fuitte, a leurs mains eschapé.
En cette incertitude, au plus fort de leur peine,
D'un endroit assés proche, où s'enfonce la plaine,
Mille effroyables cris, et confus, et perçans,
Par les routes de l'air, viennent frapper leurs sens.
Soudain, vers cet endroit, chacun tourne la bride,
Et redouble l'effort de sa course rapide;
L'anglois s'offre à leurs yeux, et fait voir que ce bruit
Est l'effet de l'estat, où le cerf l'a reduit.
Ils remarquent le cerf, qu'une fureur subite
Au travers de ses rangs, à grands sauts, precipite,
Remarquent qu'il les trouble, et devenu guerrier,
Semble avoir au françois envié ce laurier.
La Pucelle s'escrie; ô françois magnanimes,
Le ciel à vostre fer demande ces victimes;
Il veut voir, sous vos bras, tout leur sang ecouler,
C'est luy qui vous les offre, en estat d'immoler.
C'est luy qui, par ce cerf, attaque le rebelle,
Luy qui, par son exemple, à vaincre vous appelle;
Allés donc mettre fin à ses rebellions,
Et qu'un cerf aujourd'huy conduise des lions.
Ils piquent, et Talbot voit sa perte infaillible;
Mais, dans sa perte mesme, il veut estre invincible,
Il est desesperé, mais non pas abatu,
Et medite un trespas digne de sa vertu.
Tel est un grand lion, roy des monts de Cirene,
Lors que, de tout un peuple entouré sur l'arene,
Contre sa noble vie, il voit, de toutes parts,
Unis et conjurés, les espieux et les dards;
Reconnoissant, pour luy, la mort inevitable,
Il resout à la mort son courage indontable;
Il y va sans foiblesse, il y va sans effroy,
Et, la devant souffrir, la veut souffrir en roy.
Serrons nous, dit Talbot, et roidissant nos ames,
Resveillons, rallumons nos genereuses flammes;
Soustenons ce grand choq, et de coeur nous armant,
S'il nous fait succomber, succombons vaillamment.
À ne nous point flater, dans ce fatal orage,
Nostre salut depend de nostre seul courage;
Si nous resistons mal, il nous faudra perir;
Nous n'avons que le choix, de vaincre, ou de mourir.
Formons un bataillon, qui, par tout, face teste,
Et, par tout, du françois repousse la tempeste,
Ces escadrons volans, contre un si ferme corps,
Feront pour l'ebransler d'inutiles efforts.
En cette extremité ce remede est l'unique;
Homme donques contre homme, et pique contre pique,
Opposons nostre bois, de pointes herissé,
À ce bois que, vers nous, l'ennemy tient baissé.
Suyvant ce prudent ordre, ils forment leur bataille,
Composent de piquiers une espaisse muraille,
Attendent resolus un assaut furieux,
Et, par tout menacés, menacent en tous lieux.
La sainte à la victoire excite sa vaillance,
Serre les deux genoux, couche sa forte lance,
Dans le milieu du gros, pousse son grand coursier,
Et rompt plus d'une pique, en son chamfrain d'acier.
Par un si rude choq, il s'y fait ouverture,
Mais reçoit, dans le flanc, une large blessure,
Et, d'un sang escumeux respandant des torrens,
S'arreste, de foiblesse, entre les premiers rangs.
Sous le brave Dunois, et non loin de la sainte,
Trebuche le sien mort, d'une semblable atteinte;
Le prince s'en degage, et bien que desmonté
Attaque, et de l'anglois n'est pas moins redouté.
Le chasseur Balibauld, à qui dans son boscage
Jamais fort ni buisson n'a refusé passage,
Se pretend faire jour au bataillon serré,
Et donne, homme et cheval, dans le fer aceré.
Mais l'inflexible fer, sans se ployer qu'à peine,
Estend homme et cheval transpercés sur l'arene,
Et l'un, ainsi que l'autre, en rendant les abois,
Voit de combien le fer est plus dur que le bois.
Trois valeureux amis, Bins, Charlus, et Courances,
S'unissent pour l'attaque, et baissent leurs trois lances;
L'anglois, au triple effort, sent ebransler son front,
Et plein d'estonnement, et s'entame et se rompt.
Il est vray qu'aux françois, dure peu cette gloire;
De leurs mains aussi-tost s'envole la victoire,
Et, par le front anglois, rejoint et redressé,
Des trois, les deux sont pris, et l'autre est repoussé.
Artus, pendant ce temps, vers le front opposite,
Avec moins de vigueur, son barbe precipite,
Et, d'un projet rusé, par plus d'un feint assaut,
Taste s'il aura l'heur, d'en trouver le defaut.
Graville, à ses costés, Saintrailles et La Hire,
Chacun, d'ardeur pareille, à le trouver aspire;
Chacun tient à l'envy l'adversaire pressé,
Et chacun, de sa main, le croit voir terracé.
Cran s'avance plus qu'eux, plus qu'eux La Hunaudaye,
Et chacun en raporte une profonde playe;
Le sable, aux environs, en demeure abbreuvé;
Le breton, au combat, en va plus reservé.
Kermelec et Bremor, à qui cede, en addresse,
Tout ce que meine Artus de vaillante jeunesse,
S'ajustent pour l'attaque, et l'un d'eux biaisant
Fait, sur luy, de plusieurs tourner le fer luysant.
L'autre qui voit l'anglois ouvrir son ordonnance,
Dans l'espace accordé rapidement s'elance;
Mais, par ses compagnons, negligemment suyvi,
À la clarté du jour il est soudain ravy.
Karadreux, qui de pres sur la gauche le serre,
Joint, à son choq de foudre, une voix de tonnerre,
Mais, atteint au gosier, par l'un de ces longs bois,
Il perd, d'un mesme coup, et la vie, et la voix.
Talbot enveloppé de deux forces egales,
Jette Humford vers l'une, et vers l'autre Descalles,
Et, tenant le milieu, fournit de toutes parts
Le renfort necessaire à ses guerriers espars.
Fascot et Rameston, dans ses ordres, l'assistent,
Et tous deux aux françois, sous ses ordres, resistent,
Tous deux, par leur exemple, autant que par leur voix,
À resister, comme eux, excitent les anglois.
Là, chacun des partis tesmoigne sa puissance,
Là, le sort incertain se maintient en balance,
Et là, les assaillis, de desespoir vaillans,
Respondent, par leurs coups, aux coups des assaillans.
D'un et d'autre costé, sous les pointes meurtrieres,
Du sein des combatans le sang coule en rivieres,
D'un et d'autre costé, sous de mortels efforts,
On voit le champ couvert de blessés et de morts.
De ce progres si lent la guerriere s'irrite,
Veut vaincre, et sa valeur à la victoire excite,
Excite son cheval, par des cris violens;
Mais, sous elle, il trebuche, à ses derniers elans.
L'espée en une main, en l'autre la rondache,
De plus pres, au rebelle alors elle s'attache,
Le choque de pied ferme, et malgré tout enfin,
Au travers de ses rangs, s'ouvre un ample chemin.
Ainsi, quand une haute et massive chaussée,
Qui fut mise pour bride à l'onde courroucée,
A, des siecles entiers, resisté constamment
Au choq impetüeux du liquide element;
S'il avient que le flot, d'une horrible secoüsse,
De tout son poids enfin, vers la terre la pousse,
Elle cede par force, et laisse, à gros boüillons,
Derriere elle, inonder les fertiles sillons.
La sainte, en s'avançant, de sa trouppe suyvie,
Veut oster à Talbot la franchise, ou la vie;
Luy, qui se voit perdu, l'appercevant venir
Se veut perdre avec elle, et va la soustenir.
En ce danger fatal, d'une heroique rage,
Il se sent tout à coup enflammer le courage,
Envisage la sainte, et, puis qu'il faut mourir,
Au moins, en perissant, la veut faire perir.
D'un vehement effort il se darde vers elle,
Et reçoit de son fer une atteinte mortelle;
L'un à l'autre s'attache, et bras à bras s'estraint;
D'un sang noir et fumeux l'aride champ se teint.
Artus, dont jusqu'alors, l'addresse et la vaillance
N'avoient pû de l'anglois forcer la resistance,
La force en ce temps mesme, et, presque en un moment,
Au fond du bataillon passe triomphamment.
Dans ce cours glorieux il vient jusqu'à la place,
Où Talbot embrassé son ennemie embrasse,
Elle, voyant Artus, luy crie à haute voix;
Prince, j'ay dans mes mains le bonheur de l'anglois.
La victoire douteuse est desormais certaine,
Talbot n'agissant plus, nous l'obtiendrons sans peine.
Talbot à ce discours, d'un elans vigoureux,
S'esforce, quoy qu'en vain, de sortir de ses noeuds.
Il se rend, et la sainte à ses gardes le donne;
Le general captif, ce qui reste s'estonne,
Laisse choir, sur le champ, ses piques et ses dards,
Perd le soin des drappeaux, et fuit de toutes parts.
Humford, qui voit des siens la fortune destruitte,
Use de tout son art, pour arrester leur fuitte,
Se sert de la priere, et du commandement;
Mais l'effroy leur ravit, et coeur, et jugement.
Chacun, sans escouter reproche ni menace,
D'un desespoir commun, abandonne la place;
Descalles et Humford, dans ce confus debris,
Par le brave Dunois sont, et chargés, et pris.
Fascot moins malheureux, suyvi de quatre mille,
Evite les liens, et tire vers Jenville;
Mais ce mur, redoutant le courroux du vainqueur,
Se tient clos aux fuyards, et redouble leur peur.
Le dernier corps françois, d'une course hastive,
Dans le champ de bataille, en ce temps mesme, arrive,
Et, sur l'anglois espars, exerce, avec horreur,
Tout ce que la licence inspire à la fureur.
Tout, sans distinction, passe au fil de l'espée,
De sang, en mille endroits, la campagne est trempée;
On ne voit en tous lieux, que morts, ou que mourans,
Leur sort est inhumain, mais digne de tyrans.
Le diligent Fascot, et sa tremblante suitte,
Par des chemins cachés font une heureuse fuitte,
Saintrailles les poursuit, et les poursuit en vain;
Corbeil, fidelle et seur, les reçoit dans son sein.
Jenville arbore alors l'estandard de la France,
Et desormais aux lys veut rendre obeïssance;
La sainte, en son pouvoir ayant receu ses tours,
En belliqueuse pompe y termine son cours.
L'infortuné Talbot, à qui mille blessures
Seroient moins que les fers importunes et dures,
À pas tristes et lents, de gardes entouré,
Suit les pas des françois, morne et deseperé.
Comme lors qu'un grand ours repoussé de la plaine,
Dont ses dents ont cent fois ensanglanté l'arene,
Dans sa retraitte lente, apres cent maux soufferts,
Enfin, par le chasseur, est accablé de fers;
Bien qu'au travers des champs, avec plus d'une chaisne,
Son superbe vainqueur violemment le traisne,
Aux chaisnes il resiste, et, retenant ses pas,
Semble craindre la honte, et non pas le trespas.
Ce guerrier suit à peine, et, d'espace en espace,
La douleur de son coup l'arreste sur la place;
La douleur de sa prise altere sa raison,
Et luy fait preferer la mort à la prison.
Il marche toutesfois, et s'emporte de rage,
Contre l'injuste sort qui cause son servage,
Quand la nuit survenant, pleine d'obscurité,
Par un heur impreveu, luy rend la liberté.
Le brave Lyonnel, fils de ce brave pere,
Et le soustien naissant de la gloire estrangere,
Des britanniques bords naguere retourné,
Fut à ce grand exploit, par les cieux destiné.
Pour faire une levée, et nombreuse, et soudaine,
Talbot l'avoit laissé sur les bords de la Seine;
Le party de l'anglois, dans ses presens travaux,
Manquant egalement d'hommes et de chevaux.
Luy qu'un respect cruel force à l'obeissance,
N'obmet, pour cet amas, ny soin, ny diligence,
Le commence, l'acheve, et part, en mesme temps,
Suyvi d'un corps nombreux de nouveaux combatans.
Vers Gergeau, puis vers Meun, d'une course rapide,
S'avance, avec les siens, ce courage intrepide,
Et s'il craint quelque chose, en ce projet guerrier,
C'est que Talbot, sans luy, n'en cueille le laurier.
Il n'a point d'autre peur; mais, ô peur decevante!
Il voit l'evenement contraire à son attente;
Proche du haut Jenville, il voit, de toutes parts,
Les sillons estendus semés d'anglois fuyards.
L'un d'eux pasle et tremblant, l'instruit de leur desfaite;
La troupe s'en effraye, et songe à la retraitte;
Luy, de tout son pouvoir, tasche à la rassurer,
Et, contre les vainqueurs, va sans deliberer.
Allons, dit-il, amis, employer nos espées
Sur ces bandes, sans ordre, à la proye occupées;
Allons venger Talbot, et par nostre valeur,
De l'anglois desconfit reparer le malheur.
Quoy! Venir de si loin, pour ne rien entreprendre;
Assaillons l'assaillant, forçons-le à se deffendre,
Ou, s'il nous faut tomber, sous son puissant effort,
Rachetons nostre honneur, au prix de nostre mort.
Il part en finissant, et le jour qui s'efface,
Contribuë au succes de sa guerriere audace;
Ses soldats ranimés accompagnent ses pas,
Et mesme du françois esperent le trespas.
Et voilà qu'à ses mains la fortune presente
Des tristes prisonniers la troupe languissante;
Il en charge la garde, et, par cent rudes coups,
Signale, et satisfait son genereux courroux.
Sans peine il la dissipe, ou l'estend sur la terre;
Elle cede aux eclats de ce subit tonnerre;
Talbot, dans ce malheur, trouve sa liberté;
Son fils le reconnoist, et d'aise est transporté.
Il l'embrasse, et pour luy desormais apprehende;
Desormais son ardeur est moins vive et moins grande,
Et desormais il croit, le voyant delivré,
Que c'est avoir vaincu, que l'avoir recouvré.
Jaloux de ce thresor, maintenant il ne pense
Qu'à le mettre à l'abry des armes de la France,
Ordonne la retraitte, et pour sa seureté,
Ne voit pas, sans plaisir, croistre l'obscurité.
Loin des chemins batus, de boscage en boscage,
Vers Paris il s'avance, et haste son voyage;
Talbot du sang qu'il perd, baigne tout son cheval;
Lyonnel le soustient, et console son mal.
De cet evenement la guerriere informée,
Apres eux aussitost, met la fleur de l'armée;
Trente escadrons espars les cherchent en tous lieux;
Mais l'ombre de la nuit les derobe à leurs yeux.