PLUME DE POÉSIES
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 Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 2

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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 2 Empty
MessageSujet: Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 2   Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 2 Icon_minitimeLun 7 Mai 2012 - 14:41

LIVRE 2




Cependant la nuit vole, et sous son aile obscure,
D'un paisible sommeil endormant la nature,
Dans les plaines des airs tient les vents en repos,
Et sur les champs salés fait reposer les flots.
À tout ce qui se meut, à tout ce qui respire,
Dans les prés, dans les bois, le repos elle inspire;
Elle suspend par tout les travaux et les bruits,
Et par tout dans les coeurs assoupit les ennuis.



Charles seul esveillé sort avant la lumiere,
Vers luy voit d'un pas grave avancer la guerriere,
Et vers elle à-l'envy d'un pas grave avançant,
Luy dit, qu'assisté d'elle il est assés puissant.
Mais elle luy respond; arme, ô valeureux prince,
Tout ce qu'on peut armer dans ta foible province;
Je vaincray bien l'anglois, mais non pas sans soldats,
Qui marchent sur ma trace, et secondent mon bras.
Va donc, et sans tarder, leve, en ce coin de terre,
Ce qui luy reste encor de propre pour la guerre;
Forme plustost un camp, d'enfans et de vieillards;
Dieu conduira leurs mains, et poussera leurs dards.
Soudain, de tous costés, l'ordre vole et revole;
Tout le pays s'esmeut, tout le peuple s'enrôle,
Et la ville et les champs enfantent des guerriers,
Qui dans cette entreprise esperent des lauriers.
L'ange du ciel s'y mesle, et dans chaque village,
Au sein des moins âgés, souffle un masle courage,
Remplit de feu les coeurs que l'âge a refroidis,
Rehausse leur bassesse, et les rend tous hardis.
De la trouppe rustique à la solde acourüe,
Les uns dans les guerets ont quité la charrüe,
Les autres dans les prés ont laissé le bestail,
Et nul d'eux ne veut plus que de noble travail.
Effet prodigieux! Merveille plus qu'humaine!
Il ne faut que six jours pour en couvrir la plaine;
Sous le mur de Chinon, six mille combatans,
De cent lieux, dans six jours, viennent en mesme temps.



L'amas en est confus, et la force impuissante;
En leurs bras toutesfois Charles met son attente,
Et ne sçauroit douter que leur vaillant effort,
Ne face en sa faveur changer l'ordre du sort.
À semblable remede, et dans semblable guerre,
La cité qui depuis fut le chef de la terre,
Avoit jadis recours, quand ses fragiles toits
Attendoient les assauts des terribles gaulois.
L'espouvantable avis du deluge celtique,
Armoit en un moment toute la republique;
Des jeunes, ni des vieux, nul n'estoit exempté;
Tout âge combatoit en cette extremité.
Tandis qu'ainsi se leve, et s'assemble l'armée,
La celeste guerriere au palais renfermée,
Avant que de tonner sur le rebelle anglois,
De sa fortune encor luy veut donner le choix.
Avant que de le perdre, elle veut qu'il entende
Ce que du roy des roys le decret luy commande;
Et veut, par la terreur du jugement divin,
L'induire à prevenir sa desastreuse fin.
Pour luy, quoy que tyran, sa charité s'allume;
Elle prend le papier; l'ange conduit sa plume,
Et, l'esprit du seigneur animant son esprit,
Dicte à sa forte main ce genereux escrit.
Estrangers, dont le fer dans le champ de la gloire,
A tant de fois sur nous moissonné la victoire,
Sousmettés vos lauriers à la fille des cieux,
Et craignés le destin des voeux ambitieux.



Les crimes des françois, sans egaux sur la terre,
Avoient depuis long temps provoqué le tonnerre,
Le conseil eternel conclut leur chastiment,
Et voulut que ces bras en fussent l'instrument.
N'en soyés point plus vains; ces hautes entreprises,
Ces bataillons desfaits, ces murailles conquises,
N'ont point pour fondement vostre fausse vertu,
Dieu, contre les françois, a par vous combatu.
Son ire est maintenant par leurs maux appaisée,
Et vous a desormais pour unique visée;
Vos crimes, à leur tour, ont sur vous attiré
De son glaive vengeur le tranchant aceré.
De l'abysme profond Dieu va tirer la France,
Pour punir de vos moeurs la dannable licence,
Et vous allés, par elle, estre precipités,
De ce sublime comble, où vous estes montés.
Mais, bien qu'un foudre ardent gronde sur vostre teste,
Vous pouvés toutesfois, conjurer la tempeste,
Adoucir du seigneur le flamboyant courroux,
Et suspendre l'arrest prononcé contre vous.
Ne vous obstinés plus sous la constante ville,
Qui rend, mesme aux abois, vostre effort inutile,
Et tirés vos drappeaux des murs infortunés,
Qu'à subir vostre joug leur sort a condannés.
Repassés, revolés, dans vostre isle barbare,
Qu'à jamais de nos bords l'ocean vous separe,
De cet heureux climat oubliés le plaisir,
Et perdant son aspect perdésen le desir.



Que si vous resistés, d'une audace farouche,
Je vous l'annonce, anglois, Dieu parle par ma bouche,
Dans ce point, où vostre heur est le plus eclatant,
La cheute vous menace, et la mort vous attend.
Le bras du souverain destruira vos armées,
Ostera vostre joug aux terres opprimées,
Affranchira les murs asservis sous vos loix,
Et brisera le sceptre en la main de vos roys.
Apres avoir perdu vos fameuses conquestes,
Vous souffrirés encor de nouvelles tempestes,
Vous perdrés la Guienne, et les peuples normands
Cesseront d'obeir à vos commandemens.
Jusqu'icy le françois, par nulle autre victoire,
N'a porté son merite à si haut point de gloire,
Ni l'anglois n'est tombé, par nul autre malheur,
Dans un gouffre si bas de honte et de douleur.
Elle acheve l'escrit, le signe, le cachette,
Et le commet au soin d'un courageux trompette,
Avec ordre qu'il aille, et le rende à Betford,
En plein jour, devant tous, au milieu de son fort.
Il part à l'instant mesme, et la laisse en priere;
La pucelle à genoux passe la nuit entiere,
Et dans ce saint estat, parmy de saints ennuis,
Passe les jours fuyvans, et les suyvantes nuits.
Par des souspirs devots, et de pieuses larmes,
Elle demande aux cieux, qu'ils benissent ses armes,
Et voit l'aube six fois reblanchir l'horison,
Sans estre moins fervente en son humble oraison.



Enfin hors des remparts vers Charles retournée,
Elle trouve du camp la milice ordonnée,
Et confirme en l'esprit de ces nouveaux soldats,
Et l'espoir du triomphe, et l'amour des combats.
Aux flammes de ses yeux, à sa parole ardente,
Se redouble le feu de leur valeur naissante;
Ils bruslent de marcher, et du retardement,
Escadrons, bataillons, murmurent hautement.
Ainsi quand un essaim de mouches belliqueuses,
En bataille rangé, hors de ses ruches creuses,
Par son inquietude, et son fremissement,
Fait paroistre du choq un desir vehement;
Si du monarque ailé la vaillance animée
Le fait placer au front de la volante armée,
L'impatience croist, et faute de donner,
Avec plus de rumeur, on l'entend bourdonner.
De l'arbitre des jours la lumiere eclatante
Au dos des moissonneurs n'estoit plus si cuisante,
Des monts et des forests l'ombre s'agrandissoit,
Et des champs alterés la soif amoindrissoit.
On apperçoit alors, le long du bord humide,
Accourir un guerrier, d'une course rapide,
Chacun le reconnoist pour le fort Godefroy,
D'Orleans craint la perte, et se glace d'effroy.
De tant de braves chefs qu'enfermoient ses murailles,
Godefroy n'eut d'egal que le fameux Saintrailles,
De ses superbes tours fut le second appuy,
Et vit le grand Dunois seul au dessus de luy.



Charles, ainsi que tous, et le voit, et s'estonne,
Son esprit s'en esmeut, et son corps en frissonne;
Cette haste le trouble, il n'en peut bien juger,
Et doute qu'Orleans n'ait receu l'estranger.
Plus le guerrier est pres, plus viste est sa carriere,
Plus s'esleve sous luy l'ondoyante poussiere;
Mais, joignant le monarque, il arreste son cours,
Se prosterne à ses pieds, et luy tient ce discours.
Jusqu'icy ton Dunois, par sa valeur divine,
A de tes boulevards suspendu la rüine,
Et Betford jusqu'icy, malgré tous ses efforts,
À les vouloir forcer n'a gaigné que des morts.
Pour les mettre à couvert d'un indigne servage,
Il ne manque à Dunois, ni vigueur, ni courage,
Le pain luy manque seul, et sans l'horrible faim,
Tout le pouvoir anglois les presseroit en vain.
Que si ce monstre affreux le contraint de les rendre,
Il a les flambeaux prests, pour les reduire en cendre,
Pour les sauver ainsi de la captivité,
Si le joug autrement ne peut estre evité.
Tes murs n'esprouveront la rigueur de son zele,
Que pour n'esprouver pas la rigueur du rebelle;
Par moy, de son projet il te fait avertir;
Je luy dois ta response, et l'attens pour partir.
Le monarque l'embrasse, et le levant de terre,
Si ton roy, luy dit-il, fait encore la guerre,
S'il se peut dire encor maistre de ses estats,
Apres le grand Dunois, il le doit à ton bras.



Je n'ay pas ignoré sa tragique pensée,
Je sçay de quels malheurs ma ville est menacée,
Et pour les assister dans leurs pressans besoins,
Tu peux voir, sur ces bords, les effets de mes soins.
Mais un autre secours leur rendra la franchise,
Un secours, dont l'effort toute force mesprise,
Un ange valeureux, qui du ciel envoyé,
Pour foudroyer l'anglois, a le bras desployé.
En achevant ce mot, il monstre la pucelle,
Dont, en ce mesme instant, le regard estincelle;
L'esprit saint la saisit, et son coeur embrasant,
Rend son air plus auguste, et son front plus luysant.
Sa veüe un temps est fixe, et sa bouche en silence;
En fin elle le rompt aveque violence,
Addresse sa parole au monarque françois,
Et ne fait pas entendre une mortelle voix.
Crains Dieu, prince, dit-elle, et l'invoque à ton ayde,
C'est luy, qui de tous maux est l'unique remede,
C'est luy, qui, dans l'estat le plus desesperé,
Peut seul donner aux siens le salut desiré.
Son bras de plus en plus te devient necessaire,
Si grands sont les apprests de ton grand adversaire,
Si nombreux les secours, que, pour mieux t'acabler,
Il fait, de mille lieux, en un seul assembler.
Roüen, Beauvais, Chalons, Rheims, Sens, Chartres, Auxerre,
Se vuident pour remplir le camp de l'Angleterre;
Meaux pour luy se deserte, et de ses estendards
Paris mesme pour luy desarme ses remparts.



D'hommes et de chevaux la campagne fourmille;
Je descouvre leur fer, qui flamboye, et qui brille;
J'oy de leurs cris tonnans retentir les eclats,
Et je voy le terrain se cacher sous leurs pas.
N'en croy pas toutesfois leur perte moins certaine,
Leur nombre sera vain, leur force sera vaine,
Ils cederont au ciel, dont le juste courroux,
Par ses traits enflammés, les va ranger sous nous.
Là se calme, et finit le transport de la sainte;
À l'oüir, à la voir, tous fremissent de crainte;
Tous sont emerveillés d'un regard si perçant,
À qui rien n'est futur, à qui rien n'est absent.
Tous s'estonnent d'entendre une voix si sçavante,
Qui des lieux esloignés parle comme presente,
Godefroy, plus que tous, en est espouvanté,
Et ne la croit pas moins qu'une divinité.
Tandis que le long jour ainsi coule et se passe,
De tous les environs, un convoy se ramasse;
Pour l'aller recueillir, en cent endroits divers,
Les chemins sont, par tout, de charrettes couverts.
Mille officiers choisis, à bandes separées,
S'en vont porter la guerre aux despoüilles serrées,
Forcent, d'un choq aisé, les granges d'alentour,
Se chargent de leur proye, et hastent leur retour.
Ainsi, durant l'esté, les fourmis prevoyantes
Vont par mille sentiers, à files ondoyantes,
D'un courage bruslant au pillage du grain,
Qui doit, pendant l'hyver, les sauver de la faim.



Cette noire milice, entre les molles herbes,
Passe aux ardens sillons, y saccage les gerbes,
En retourne chargée, et va d'un pas leger
Dans les greniers communs son pillage loger.
Trente larges bateaux attachés au rivage,
Tous equipés de voile, et garnis de cordage,
Au monarque des lys sembloient offrir leur sein,
Pour luy faire, sans peine, accomplir son dessein.
À-l'envy, sans tarder, les trouppes assemblées
Tirent les sacs pesans, des charettes comblées;
On marche, à dos courbé, vers les amples vaisseaux,
Et chacun, tour à tour, y jette ses fardeaux.
L'un va, l'autre revient, et la rive en est pleine;
L'espoir d'un bon succés les tient tous en haleine;
Le travail est boüillant, et l'ouvrage pressé
Finit presqu'aussi-tost qu'on la veu commencé.
Les tenebres enfin rameinent le silence;
Tout succombe au sommeil, tout sent sa violence,
La sainte, moins que tous, luy sousmettant ses yeux,
S'esveille avant l'aurore, et revere les cieux.
Aux premiers rais du jour sa retraitte elle quite;
Charles quitte la sienne et les trouppes visite,
Y trouve la guerriere, et du pront armement
Defere à sa vertu le plein commandement.
Au fort du noble soin qui la tient occupée,
Arrive de Fierbois la foudroyante espée;
Chasteauroux s'agenoüille, en la luy presentant,
Et son bras, quoy que fort, est foible en la portant.



L'acier large et massif de la fatale lame,
Au travers du fourreau, fait reluire sa flamme,
Et son feu, que le temps ne sçauroit amortir,
Devore sa prison, et tasche d'en sortir.
J'ay veu, dit le guerrier, cét antre venerable,
Qui conservoit l'espée aux tirans formidable,
Et mon zele brûlant, de bonheur assisté,
A comme tu le vois, ton ordre executé.
J'arrive, au second jour, à la forest obscure,
Où je devois tenter cette sainte avanture,
Et, dés en l'abordant, je paslis, et je vois
Que ce n'est pas à tort qu'on la nomme Fierbois.
J'en perce l'ombre affreuse, et je trouve en son centre
Le vieux temple, qui couvre, et renferme cet antre;
Je me le fais ouvrir, et remply de terreur
M'engage, pas à pas, en sa devote horreur.
Je descens jusqu'au fond de cette sainte grotte,
Dont j'esprouve l'horreur encore plus devote,
Et demande soudain le coutelas sacré;
Mais ce que je demande est de tous ignoré.
Nul, en ce lieu de paix, n'a jamais veu d'espée;
Je ne puis cependant croire ma foy trompée,
Ny me persüader que ce fer glorieux
Soit une illusion de la fille des cieux.
Mon coeur triste s'adresse à l'arbitre du monde,
Afin qu'il l'illumine en cette nuit profonde,
Par mes cris, par mes pleurs, j'implore son secours,
Et sans fruit, en priant, je consomme trois jours.



Le ciel semble d'airain, semble sourd à ma plainte,
Et laisse à mon esprit moins d'espoir que de crainte,
Lors qu'un bruit de clairons, par la voute espandu,
Avec fremissement est de nous entendu.
Au pied du saint autel humblement je m'abaisse,
J'embrasse le terrain, des levres je le presse,
Le grand fer qu'il reserve à destruire l'anglois.
Succes miraculeux! Au moment que j'acheve,
Je sens que le terrain sous ma bouche s'esleve,
Je le voy qui s'entrouvre, et qui dans mille feux,
Expose à mes regards le sujet de mes voeux.
Je rens graces au ciel d'une faveur si rare,
Et ravis ce tresor à cette grotte avare,
Puis repars, sans tarder, et reviens, sur mes pas,
De cette ardente espée armer ton puissant bras.
La sainte prend le fer, par la superbe garde,
Et vers le firmament, d'un oeil ferme, regarde,
Haussant la main robuste, à qui l'acier luysant,
Malgré sa pesanteur, ne paroist point pesant.
Seigneur, dit-elle alors, si ta simple bergere
N'est point trop au dessous d'un si haut ministere,
Vueille l'accompagner de force et de bonheur,
Et rens ses actions dignes de ton honneur.
Fay croire son envoy par d'illustres miracles,
Fay ceder à ses coups les plus fermes obstacles,
Et par ce coutelas où reluit ton secours,
Fay que son roy prospere, et triomphe tousjours.



À la fin de ces mots, on entend, sur sa teste,
Murmurer sourdement une douce tempeste,
On voit fendre la nüe, et, d'un foudre innocent,
Tomber sur elle à plomb le trait resplendissant.
Du prodige nouveau la forme surprenante,
Espouvante les chefs, les soldats espouvante;
Mais elle, qui de Dieu conçoit les volontés,
Par ce sacré signal, croit ses voeux escoutés.
Elle se sent, par luy, redoubler le courage,
Et d'un rouge embrasé s'allumant le visage,
Le front plein de lumiere, et les yeux flamboyans,
Parle aux guerriers esmus, en ces mots foudroyans.
Jugés mieux, compagnons, de ce signe celeste,
C'est l'ordre du treshaut, aux ennemis funeste,
Qui veut que nostre bras luy serve d'instrument,
Pour les precipiter au creux du monument.
Des crüels estrangers le renfort innombrable,
Vers le mur assailly, va d'un cours formidable,
Et leur barbare chef, sur nos foibles remparts,
Croit bien tost arborer ses heureux estandards.
Elle vouloit en suitte annoncer leur desfaitte,
Quand, poudreux et süant, arrive son trompette,
Et luy dit; les tirans du message offencés,
Nous ont du feu tous deux laschement menacés.
Ils ont fait de ta lettre une indigne risée,
Ils ont de tes avis la faveur mesprisée,
Et contre ton honneur, et contre ta raison,
N'ont versé qu'amertume, et vomy que poison.



N'attens des inhumains qu'une inhumaine guerre,
Et par ton seul courage affranchis nostre terre.
La sainte alors reprend; puisqu'il le veut ainsi,
Perisse en son orgueil le rebelle endurcy.
Que l'anglois insolent, pour sa perte incredule,
Juge mon entreprise, et vaine, et ridicule,
Et pense que le ciel, pour luy donner la mort,
Eust eu besoin d'un bras plus adroit et plus fort;
Il verra que souvent, l'ineffable sagesse
Prend pour les grands effets la plus grande foiblesse,
Et qu'un bras à houlette, une seconde fois,
Aura mis, par son ordre, un geant aux abois.
Allons du dieu jaloux faire voir la puissance,
Allons executer sa fatale ordonnance,
Allons justifier nostre celeste envoy,
Que tardons nous, soldats? Allons, secondés moy.
Comme un noble coursier, qui, sous un chef de guerre,
Au front des bataillons, gratte des pieds la terre,
N'entend pas le signal, qu'il va fougueux et pront,
Et veut se faire jour dans l'opposite front.
Ainsi Charles s'eschauffe, à cette voix ardente,
Et le premier de tous pour marcher se presente;
Mais il voit, par la fille, arrester son dessein,
Et moderer le feu, qui brusle dans son sein.
Non, dit-elle, grand prince, une chaleur si belle
Doit mieux se menager, pour vaincre le rebelle;
Tu te rendrois moins fort, tes forces conduisant;
L'anglois te craindra plus esloigné que present.



Il faut que, par ce camp, sa fureur reprimée
Apprehende le choq d'une nouvelle armée,
Et, qu'ayant reconnu le changement du sort,
Ton absence le trouble, autant que nostre effort.
La juste ambition de ton coeur magnanime
Demande des objets d'une plus haute estime;
Ton Paris, qui gemit sous un joug odieux,
Peut seul rendre assés bien ton bras victorieux.
Parois à la campagne, et recueille, sans peine,
Tous ceux qu'à ton party la fortune rameine;
Assemble un autre camp, digne du nom françois;
Pour ce coup, par nos mains, tu combatras l'anglois.
Charles reçoit cet ordre, et n'ose contredire;
De douleur toutesfois hautement il souspire,
Voit partir ses drapeaux d'un regard de courroux,
Et du moindre soldat se tesmoigne jaloux.
Apres avoir des cieux imploré l'assistance,
La sainte prend la teste, et marche en diligence;
Tous marchent sur ses pas, et, d'un rapide cours,
Aux boulevards pressés vont porter le secours.
L'oeil du monde sur eux ramasse sa lumiere,
Et de son plus bel or, peint leur verte carriere;
Ils brillent sans brusler, et, couverts de splendeur,
De ces feux eclatans n'esprouvent point l'ardeur.
D'un essaim de zephirs la fraische et douce haleine,
D'entre les monts voisins, se coule sur la plaine,
Tempere du soleil les rayons emflammés,
Et d'un soufle odorant tient les airs parfumés.



La marche est de six jours, et la septiesme aurore
Du sein de l'ocean se voit à peine eclôre,
Que le secours arrive, à pas precipité,
Où, d'un tertre eminent, il peut voir la cité.
Là, monstrant de la main, et l'anglois, et la place,
D'un ton qui, bien que ferme, a pourtant de la grace,
La fille dit aux siens; vous voyez ces remparts,
De bataillons sans nombre, enceints de toutes parts.
Vous voyés cette ville, en force sans egale,
Reduitte desormais à sa cheute fatale,
Et vous voyés conduits au dernier de leurs jours,
Les vaillans protecteurs de ses fideles tours.
Elle a neuf mois en vain disputé sa franchise,
Sans remede, à ce coup, elle se juge prise,
Et son peuple abatu n'atend, à tout moment,
Que la rigueur des fers, ou que l'embrasement.
Dunois, Dunois luy-mesme, apres tant de batailles,
Ne peut plus soustenir ces tremblantes murailles,
Il voit Betford tout prest de les assujettir,
Et songe à les brusler, plus qu'à les garentir.
Mais, dans ce desespoir, la sage providence
Vient, par nous maintenant, embrasser leur defense,
Vient, dans ce grand peril, leur servir de soustien,
Et monstrer en vos bras la puissance du sien.
Quelle gloire, ô guerriers, quel heur, quel avantage,
De pouvoir à ces murs espargner le servage,
De pouvoir à Dunois rendre la liberté,
À la France l'honneur, au roy la royauté.



Des monstres infernaux brisant tous les obstacles,
Dieu par vos seules mains produira ces miracles,
Et le monde estonné verra bientost sousmis,
À vostre illustre joug, ce monde d'ennemis.
Profités donc du bien que le ciel vous appreste,
Venés faire eclater sa divine tempeste,
Venés, par le milieu des escadrons espais,
Porter, dans ces remparts, la victoire et la paix.
Je vous y vay tracer un passage bien ample,
Suyvés moy seulement, imités mon exemple,
Je ne veux aujourd'huy, pour destruire l'anglois,
Sinon qu'à mes efforts vous joigniés vos exploits.
À ces mots, tous les siens, d'une voix eclatante,
Tesmoignent pour la suivre une chaleur ardente;
Elle part enflammée, et, comme un tourbillon,
Conduit aux boulevards son volant bataillon.
Betford, qui, dans Rouvroy, du salut de la France
Avoit veu, par l'anglois, enterrer l'esperance,
Vers les champs desormais ne craignant plus d'assauts,
Contre la ville seule elevoit ses travaux.
Mais au premier avis de la nouvelle trouppe,
Qui brilloit sur le tertre, et couronnoit sa crouppe,
Il fait qu'une brigade avance, pour sçavoir,
Qu'elle elle est, qui l'ameine, et quel est son pouvoir.
La sainte, qui descend, d'une sainte furie,
En commençant sa course, à haute voix s'escrie;
C'est la pucelle, anglois; vos crimes infinis
Par son tranchant acier enfin seront punis.



Et chargeant les soldats, qui plioient devant elle,
Donne, au seul qui resiste, une atteinte mortelle,
Et dit, je te presente, ô monarque eternel,
Les premices du sang de l'anglois criminel.
Tu fus, brave, Glifford, la premiere victime,
Qu'offrit au tout-puissant la fille magnanime,
Et mourus consolé, d'avoir veu, par son bras,
Du premier de ses coups honorer ton trespas.
Par dessus le vaincu dans le gros elle passe,
De la voix l'espouvante, et du fer le terrace;
Le françois suit ses pas, seconde ses efforts,
Et seme les guerets de blessés et de morts.
L'escadron tout entier succede en la meslée,
Et tasche à rassurer la brigade esbranslée;
Le bras de la guerriere y fait le mesme effet,
Et, presque au mesme instant, l'ataque et le desfait.
C'est ainsi que des cieux on voit tomber la foudre,
Embraser les forests, mettre les rocs en poudre,
Des sourcilleuses tours saper le fondement,
Et pour tous ces effets n'employer qu'un moment.
Aux brüissans eclats de cette main tonnante,
L'audacieux Betford sort du fond de sa tente,
Voit son mal, s'en afflige, et son aspre douleur
Resveille en son esprit la dormante valeur.
À la celeste main, sa fureur enflammée
Oppose tout le corps de son immense armée,
Et va de toutes parts d'un cours ardent et pront,
L'exhorter, à grands cris, à venger son affront.



Voyés dit-il, anglois, quel est vostre adversaire;
Il n'est pas courageux, il n'est que temeraire,
Ennuyé de la vie il cherche à la finir,
Et mesprise la mort, afin de l'obtenir.
Contre un si petit corps, vostre vaste puissance
N'aura besoin d'user que de peu de vaillance,
Que sous vous donc, amis, il rende les abois,
Et connoisse, en mourant, que vous estes anglois.
L'assiegeant innombrable, à cette voix ardente,
Sur une longue ligne au françois se presente;
La sainte qui poursuit son cours victorieux,
Reluit, en l'abordant, et du fer et des yeux.
Ses yeux, sources de flamme, à travers la visiere,
Jettent aux ennemis une affreuse lumiere,
Ils n'en peuvent souffrir l'espouvantable eclat,
Son regard les aveugle, et son fer les abat.
Il n'est acier si fort, qui ses forces arreste,
Candisque d'un revers sent mettre à bas sa teste,
Morgan d'un avantmain se voit trancher un bras,
Et Grey d'un coup de pointe endure le trepas.
Deux illustres jumeaux, Vindesore et Cecile,
S'unissent à sa perte, et l'esperent facile,
Ils l'attaquent ensemble, et chacun, de son dard,
Avecque mesme effort, tirent vers mesme part;
Mais leurs efforts sont vains, contre la forte sainte;
Chacun d'eux reçoit d'elle une semblable atteinte;
Ils nasquirent tous deux, sous un semblable sort,
Et moururent tous deux d'une semblable mort.



L'impitoyable fer, d'un mouvement rapide,
Tombe à chaque moment, et tousjours homicide;
Autour d'elle par tout le sang coule en ruisseaux,
Et de corps abatus s'eslevent des monceaux.
Ses soldats, animés par sa valeur divine,
Sur le mesme ennemy, font la mesme ruïne;
Leur foiblesse est vaillante, et l'anglois si puissant
Succombe sous l'effort de son bras languissant.
Sous le petit Rambert, le grand corps de Norgalle,
Parmy son sang fumeux, sa dure vie exhale;
Par le vieillard Imbauld, Seimore est transpercé,
Et Ralegue abatu, par le jeune Lussé.
Gontauld à Forbisher fait perdre la lumiere,
À Glocestre Foras, à Draque Lutumiere,
Anderson, Valsingame, Excestre et Cumberland,
Souffrent par d'autres mains un trespas violent.
Rodolfe, de sa soeur secondant le courage,
Dans ce sanglant mestier, fait son apprentissage;
Mais son foudre guerrier, bien que neuf aux combats,
N'estonne pas l'anglois par de communs eclats.
De cette ame heroïque imitateur fidelle,
Il n'est, en beaux efforts, surpassé que par elle,
Et contre les anglois, apres elle, entre tous,
S'acquiert, en combatant, l'honneur des premiers coups.
De ce fer redouté la fureur sanguinaire
N'estanche point sa soif dans un sang ordinaire,
Aux seuls chefs il s'atache, et de ses feux brillans
Fait mesurer la terre, à dix des plus vaillans.



Alors du camp nombreux les orgueilleuses ailes
Marchent l'une vers l'autre, et se joignent entre elles;
L'invincible secours en est envelopé,
Et par tout, contre luy, leur bras est ocupé.
De lances en l'arrest, et de piques baissées,
Il voit, de toutes parts, ses brigades pressées,
Il voit fondre sur luy des nüages de traits,
Et voit voler la mort, et de loin, et de prés.
Mais contre tant d'assauts gardant son ordonnance,
Il fait de tous costés egale resistance,
Pousse mesme l'anglois, et de soy l'escartant
Poursuit tousjours sa marche, intrepide et constant.
Ainsi quand sous un toit, qui brusle et qui petille,
Un pere entend les cris de sa chere famille,
Et que, pour l'en tirer, son tendre sentiment
L'expose à la mercy du rouge embrasement;
Bien que du feu crüel l'horrible violence
Vers luy, deçà, delà, mille flammes eslance,
La peur de cette perte est si forte en son coeur,
Qu'au travers du feu mesme il peut aller sans peur.
Mais d'un cercle ennemy la sainte environnée
Alloit voir en ce lieu finir sa destinée;
Aux cieux, en ce peril, elle leve les yeux;
Son regard, parle, prie, et penetre les cieux.
Vers la maison celeste, où la vierge reside,
Un antre estincelant s'esleve en pyramide,
En qui de tous les feux est le feu le plus chaud,
Et qui sert d'arsenal aux armes du treshaut.



Là se gardent les traits, les lances, et les piques,
Par qui furent vainqueurs les esprits angeliques,
Lors que l'esprit d'orgueil, sur l'Aquilon monté,
Disputa le saint throsne à la divinité.
Là de pur diamant sont les massives bondes,
Dont les mers de là haut sentent brider leurs ondes,
Et qui, pour engloutir la race des pervers,
Leur firent, en s'ouvrant, submerger l'univers.
Là roulent, à grand bruit, les tourbillons de flammes,
Dont l'ardeur consuma tant de villes infames,
Et, vengeant le mespris des loix de l'eternel,
Brusla les messagers d'un prince criminel.
Là resplendit encor cette ondoyante espée,
Que dans un lac de sang Solyme vit trempée,
Quand, au peuple d'assur, l'ange exterminateur
Fit de ses coups mortels sentir la pesanteur.
On voit là les trois fleaux, guerre, peste, famine,
Instrumens plus communs de la fureur divine,
Dont le choix necessaire, au berger couronné,
Pour expier son crime, autresfois fut donné.
On y voit les trois dards, si connus de la terre,
Sous les surnoms d'esclair, de foudre et de tonnerre,
Par qui Dieu, dans son ire, avec ses propres mains,
Ou menace, ou punit les forfaits des humains.
Enfin là pend l'escu que la chrestienne France
Eut jadis pour enseigne, ainsi que pour defense,
Et mille autres encor, tous de forme pareils,
Tous brillans à-l'envy, comme autant de soleils.



À mille anges guerriers le seigneur les fait prendre,
Et par eux de Betford veut la sainte defendre;
Des anges partagés deux invisibles rangs,
D'un vol impetüeux, viennent couvrir ses flancs.
De ces luysans boucliers la solide muraille
Soustient, sans nul effort, l'effort de la bataille;
Cent traits, contre chacun, sont en vain decochés,
Et tombent sur le champ, rompus, ou rebouchés.
Du milieu des pavois une lüeur ardente
Sort, en serpens de feu, par les airs ondoyante;
Les airs sentent sa force, et l'anglois qu'elle atteint,
Plus que tous autres dards, et la sent, et la craint.
Il meurt peu de françois, sous cette aspre tempeste;
Mais un si rude obstacle à tous coups les arreste,
Culant et Godefroy, par leurs genereux cris,
À passer, ou mourir, confirment leurs esprits.
Bien que de tous costés la mort les environne,
Que leur fer, sous le fer, de toutes parts resonne,
En tous lieux ils font teste, et demeurent debout;
La fille seule attaque, et se fait jour par tout.
C'est ainsi qu'un torrent d'une chute subite,
Du sommet des rochers en bas se precipite,
Roule par les vallons, et d'un cours furieux
S'ouvre dans la campagne un chemin glorieux.
Betford de ses soldats voit le triste carnage,
En pleure de colere, en escume de rage,
Perd d'instant en instant l'espoir de s'en venger,
Et ne peut sa douleur sans vengeance alleger.



Infortuné, dit-il, quel gouffre si funeste
A vomy contre moy cette infernale peste,
Quel astre si malin, quel sort si malfaisant
A mis ma gloire en proye à ce feu destruisant?
Renforce toy ma main, renforce toy mon ame,
Estouffons cette peste, esteignons cette flamme,
Par le sang du françois lavons l'indigne affront,
Dont son heureuse audace a chargé nostre front.
De ses vaillans drappeaux il ramasse l'elite,
Et contre la guerriere à haute voix l'excite;
Tout l'effort du combat autour d'elle est reduit,
Mais plus l'obstacle est grand, plus sa vertu reluit.
Où pleuvent plus de morts, là d'une ardeur plus forte,
Son indontable coeur rapidement la porte,
Elle charge, elle entrouvre, elle perce, elle rompt,
Et de corps vers la ville elle se forme un pont.
Des dards qui de cent lieux viennent fondre sur elle,
Sa cuirasse s'embrase, et son casque estincelle,
Leurs flammes, d'un vray feu, semblent toutes brusler,
Et toutes par eslans aux ennemis voler.
Mais le fier bourguignon, que son sensible outrage
Avoit tousjours rongé d'une secrette rage,
Et qui n'attendoit plus qu'un propice moment,
Pour laisser le champ libre à son ressentiment;
Voyant l'occasion à ses voeux favorable,
Voyant du saint secours le succes admirable,
Voyant par le françois l'anglois demydonté,
Se resout d'accomplir ce qu'il a projeté.



Il entend une voix aussi claire que forte,
Dont le son vigoureux au partement l'exhorte,
Et la voix est l'esprit, qui, pour le mesme anglois,
A desja, dans son sein, mis du trouble une fois.
Il est temps, il est temps, luy dit la voix de l'ange,
Que, du tort qu'on ta fait, ta sagesse te venge;
Il est temps de laisser ce barbare insolent,
Et de te descharger de son joug violent.
À quiter l'inhumain toute chose t'invite,
Tu le feras sans peine, et mesme avec merite,
Rien ne peut desormais empescher ton depart,
Au secours d'Orleans il te peut donner part.
En ne concourant plus à l'angloise entreprise,
Tu luy conserveras sa premiere franchise,
Et par un trait si beau, rendant Charles vainqueur,
Tu calmeras pour toy le courroux de son coeur.
Heureux, dans le malheur qui ta retraitte cause,
Si tu peux, de ton roy, meriter quelque chose.
Il fait, apres ce mot, la trompette sonner,
Et, par les bourguignons, l'anglois abandonner.
Betford voyant ce corps qui du sien se detache,
S'en outrage le front, les cheveux s'en arrache,
En accuse les cieux, et contre eux blasphemant,
Marque son desespoir, par son emportement.
Mesme horreur, mesme trouble, ocupent son armée;
Elle craint de se voir entre deux renfermée,
Songe à son salut propre, et suspendant ses traits,
Laisse au vaillant secours finir sa marche en paix.



Ainsi lors qu'aisement une machine joüe,
Que sur plus d'un pivot tourne plus d-une roüe,
Et que l'habile ouvrier, de leur cours satisfait,
S'assure avec plaisir de son prochain effet;
S'il avient qu'au moment d'estre mis en usage,
Le ressort principal abandonne l'ouvrage,
Le mouvement s'arreste, et l'effet attendu
Avec le mouvement, sans remede, est perdu.
Dunois qui, sur les tours à perir condannées,
Veilloit pour reculer leurs dures destinées,
De loin vit le secours, et lé crut un renfort,
Pour l'innombrable camp de l'orgueilleux Betford.
Cet objet, ce penser, affermissent son ame,
Dans le projet affreux de mettre tout en flamme,
À le faire il s'excite, et d'avoir differé,
Son magnanime coeur se tient deshonnoré.
Qu'attendons nous, dit-il, vertu peu resolüe,
Pour aller à la mort que nous avons elüe,
Et par quelle raison pouvons nous desormais
Suspendre, en nostre esprit, le plus beau de nos faits?
Ô valeur trop timide! ô desespoir trop sage!
Quoy! Mesme en la fureur nous manquons de courage,
Apres le coup mortel, nous pensons à guerir,
Et nous songeons à vivre, en parlant de mourir.
Dequoy sçaurions nous plus flater nostre esperance?
Nous croyons nous encore en estat de defence?
L'anglois est-il trop foible, et pour nous terracer
Faut il qu'un nouveau camp le vienne renforcer?



Et le voila ce camp; que doit-on plus attendre?
Que Betford soit celuy qui nous reduise en cendre?
Non, il faut prevenir ses flambeaux inhumains,
Et finir nos malheurs, avec nos propres mains.
Mais, contre sa creance, ayant veu cette armée,
En faveur des remparts, au combat animée,
Et luy voyant produire, en ce choq perilleux,
Tant de nobles exploits, tant de faits merveilleux;
Son ame, tout à coup, d'allegresse remplie,
Ses desplaisirs estouffe, et ses peines oublie;
Il ne veut plus mourir, et quitte le dessein,
Que l'horreur du servage avoit mis dans son sein.
Il pense desja voir de la ville esplorée
Par ces braves guerriers la franchise assurée,
Pretend part à leur gloire, et sort au mesme temps,
Entouré de soldats, et suyvi d'habitans.
Allons enfin, dit-il, apres tant de souffrance,
Donner à nos travaux leur juste recompense,
Allons, et qu'aujourd'huy ce camp soit consumé,
Du feu que pour nos toits nous avions allumé.
Allons, et que chacun sa puissance desploye,
Secourons le secours que le ciel nous envoye,
Joignons nos bras aux siens, et ne permettons pas
Que sa seule valeur nous sauve du trespas.
Par les gués reconnus ils passent tous la Loire,
Et marchent dans l'espoir d'une pronte victoire;
Mais ils trouvent leur cours par l'anglois traversé,
D'un haut retranchement, et d'un large fossé.



Le fer en mille endroits brille sur la terrace;
Ou ne voit pourtant point rallentir leur audace;
Tous montent d'un temps mesme, et d'une mesme ardeur,
Et chacun du peril mesprise la grandeur.
À ce nouvel assaut, Betford remply de trouble,
Partage sa pensée, et son soucy redouble,
Il renforce ce lieu de chefs et de soldats,
Et commet sa defense au fameux Glacidas.
Le françois et l'anglois, d'une egale vaillance,
Attaque d'un costé, d'autre fait resistance,
L'un sur l'autre s'acharne, et le retranchement
Du sang de deux partis se teint egalement.
Nargonne, Bevilliers, Soüillac et Chanterene,
De quatre coups divers, tombent morts sur l'arene,
Stafforde, Bulingam, Markenfeld et Houvart,
De quatre coups divers meurent sur le rempart.
Termes et Vestmorland, le bras haut, s'entremirent,
Tous deux, de mesme force, en mesme instant se tirent,
Et s'estant, l'un et l'autre, à la teste blessés,
L'un roule dans le camp, l'autre dans les fossés.
Mais le combat des chefs, plus qu'aucun est terrible,
Tous deux egalement ont le coeur invincible,
Tous deux, d'un mesme effort, se dardent à la fois,
Dunois vers Glacidas, Glacidas vers Dunois.
L'assaillant, l'assailly, dans sa main redoutable.
Porte et monstre chacun, la mort inevitable,
Chacun craint, et fait craindre, et nul ne peut juger,
Où la palme incertaine enfin se doit ranger.



Mais lors que la victoire est le plus en balance,
Un bruit la fait pancher du costé de la France;
Ce bruit vient du françois, qui, d'aise transporté,
S'est ouvert le passage aux murs de la cité.
Glacidas se retourne, et contre sa pensée,
Des bataillons anglois voit l'enceinte percée;
Il se trouve au milieu de deux foudres ardens,
Dela sainte au dehors, de Dunois au dedans.
L'infortuné guerrier, contre ce double orage,
Vainement, dans son sein, recherche du courage;
Il s'estonne, et Dunois redoublant son effort,
Le heurte, le renverse, et le laisse pour mort;
Puis va joindre, à grands pas, la glorieuse bande,
Qui vient d'executer une chose si grande,
Et court, loin devant tous, impatient de voir
Quels hommes, quels heros ont eu tant de pouvoir.
Comme lors que la lune, en la plaine estoillée,
A d'un sombre bandeau sa lumiere voilée,
Et qu'un rouge sanglant, espandu dans ses yeux,
D'un aspect infernal a contristé les cieux;
Aussi tost que l'horreur qui luy couvre la face,
Apres un long travail, se dissipe et s'efface,
Elle jette un eclat à nul autre pareil,
Et de ses rais fait honte aux rayons du soleil.
Ainsi lors que la fille, apres tant de carnage,
Eut enfin descouvert son celeste visage,
Elle brilla plus vive, et son front lumineux
Jetta plus de splendeur, et lança plus de feux.



Pour respirer à l'aise, au bout de la carriere,
Elle avoit, et fait alte, et levé la visiere,
Une vermeille flamme en son teint eclatoit,
Et sur luy la süeur en perles degoutoit.
De ses cheveux espars les tresses vagabondes
Formoient, au gré du vent, mille mouvantes ondes,
De semblable rosée on les voyoit moüillés,
Et d'obscure poussiere illustrement soüillés.
Ses plumes, à grands flots sur son dos espanchées,
Estoient de sang rebelle, en mille lieux, tachées,
Et de tout son harnois, l'or et l'argent brunis
Estoient, en mille lieux, du mesme sang ternis.
Dunois à cet objet, aussi noble qu'estrange,
Ne croit pas voir un homme, et pense voir un ange;
Soit aux traits de ses yeux, soit aux coups de sa main,
Ses sens esmerveillés ne trouvent rien d'humain.
Il l'aborde, et luy dit, d'un ton grave et modeste;
Guerrier, qui que tu sois, mais sans doute celeste,
Dont l'ardente valeur, malgré l'arrest du sort,
A garenty nos bras des chaisnes de Betford.
Par aucun sacrifice, et par aucune offrande,
Ne pouvant reconnoistre une faveur si grande,
Nous mettons à tes pieds la mesme liberté,
Que nous rend aujourd'huy ton courage indonté.
Ces heroiques mains, par tant d'exploits si braves,
En nous affranchissant, nous ont fait tes esclaves,
Comme tels nous rendrons ton triomphe plus beau,
Et porterons tes fers jusques dans le tombeau.



Nos hymnes à la terre apprendront ta victoire,
Plus haut que le soleil, esleveront ta gloire,
Et feront, que, par tout, le zele des mortels,
À l'honneur de ton nom dressera des autels.
La pucelle l'arreste, et d'une voix severe;
Exalte moins, dit-elle, une simple bergere;
Ton bonheur vient des cieux, et c'est d'eux seulement,
Que ton humilité doit parler hautement.
Donne loüange aux cieux, et non à ma bassesse,
Je n'agis point par moy, qui ne suis que foiblesse,
J'agis par l'eternel; c'est luy, par qui mon bras
Apporte aux uns la vie, aux autres le trespas.
Ne benis que sa grace à tes besoins propice,
N'offre qu'à ses bontés, ton coeur en sacrifice,
Ne rens qu'à son pouvoir, tes voeux reconnoissans,
Et pour son seul honneur reserve ton encens.
De son throsne d'azur la majesté divine,
En cet auguste estat contemplant l'heroine,
D'une oeillade parlante, où, c'est oüir que voir,
Au chef des seraphins expliqua son vouloir.
Dieu veut que, pour la fille, il remplisse de flammes
Tout ce que les françois ont de guerrieres ames,
Et, leur ostant le goust de tout autre plaisir,
En sa seule vertu renferme leur desir.
Sur tous, au grand Dunois, qu'un autre feu maistrise,
Il veut que, pour un temps, il rende la franchise,
Et qu'en suitte il allume, en son sein glorieux,
Un feu moins ordinaire, et plus digne des cieux.



Dieu veut ce changement, et ce nouveau servage,
Pour mieux à son saint but mener son saint ouvrage,
Et faire qu'entre tous, le grand coeur de Dunois
S'applique, tout entier, au salut des françois.
L'ange, qui n'est qu'ardeur, fond au milieu des armes,
Confirme la guerriere en ses antiques charmes,
Et dans tout son aspect, et tous ces mouvemens,
Met un nouvel amas de saints enchantemens.
De son modeste front, de sa douce paupiere,
S'eslance dans les coeurs une sainte lumiere,
Un feu saint, un feu pur, qui tout autre chassant
Pour elle seule y laisse un brasier innocent.
Tout le ciel y conspire, et fait briller en elle
Des rayons empruntés de la gloire eternelle,
Anime sa parole, et donne à ses accens
D'enchaisner les esprits, et d'asservir les sens.
À l'entendre, à le voir, il n'est point de courage,
Qui, d'un choix volontaire, en ses fers ne s'engage,
Et Dunois, plus que tous, à l'entendre, à la voir,
D'un volontaire choix, se met sous son pouvoir.
Cependant elle part, et va droit à la ville;
La terreur de ses coups rend son chemin facile;
À son bras desormais elle voit tout sousmis,
Et desormais pour elle, il n'est plus d'ennemis.
L'anglois ne la suit plus, et luy quitant la place,
Sent sa chaleur esteinte, et couvertie en glace;
Il rentre, dans ses forts, morne et descouragé,
Et d'assiegeant qu'il fut, se change en assiegé.



Elle, sans s'arrester, va vers le mur fidele;
Le haut retranchement s'abaisse devant elle;
Elle va triomphante, et Dunois enchanté
Accompagne ses pas, et marche à son costé.
Ils arrivent au fleuve, et sur le fleuve mesme,
Descouvrent leurs bateaux en un peril extreme,
Par un vent orgueilleux vers le bas repoussés,
Et de bateaux anglois assaillis et pressés.
Ce malheur, plus que tous, inquiete la sainte;
En ce moment son ame est capable de crainte,
Car, les grains se perdant, elle voit que la faim,
L'aura, pour ces remparts, fait travailler en vain.
Grand dieu, dit-elle alors, si ta bonté propice
A voulu d'Orleans estre la protectrice;
Si de toy, si des cieux, j'ay vanté mon envoy,
Sans avoir abusé, ny des cieux, ny de toy;
Accorde à ma requeste un visible miracle,
Affranchis nos vaisseaux de ce crüel obstacle,
Et que ce vent superbe, à leur cours opposé,
En faveur de ce mur soit soudain appaisé.
Elle acheve ces mots, et les acheve à peine,
Que le vent ennemy sent calmer son haleine,
Et qu'un contraire vent, par le ciel suscité,
Emporte le convoy vers la forte cité.
Ô merveille adorable! Une foy vive et pure
Seule peut renverser les loix de la nature,
Peut faire violence à tous les elemens,
Et de tout l'univers changer les mouvemens.



De chacun des vaisseaux la voile rehaussée,
Par un souffle puissant, contremont est poussée,
Et, d'un rapide cours evitant mille dards,
Va surgir, sans dommage, au pied des boulevards.
Loüange à toy, seigneur, crie alors la pucelle,
Qui joins à tes bontés cette bonté nouvelle,
Et qui si pleinement par ce dernier effet,
Envers ce triste peuple accomplis ton bienfait.
En parlant elle marche, et couverte de gloire,
Traverse lentement les ondes de la Loire,
Le mobile gravier s'affermit sous ses pas,
L'eau respand sous ses yeux de lumineux eclats.
Hors des murs secourus, sur le bord du rivage,
Le nombreux habitant de tout sexe et tout âge,
La reçoit plein de joye, et de ravissement,
Et fait voler son nom jusques au firmament.
Cent tambours resonnans, cent trompettes aigües,
Se meslent à leurs cris, et penetrent les nües;
De ce son, en tous lieux, confusement volé,
La terre semble esmüe, et le ciel esbranslé.
Entre un monde infiny, l'invincible guerriere
Fournit dans la cité son illustre carriere;
Elle y passe en triomphe, et son front glorieux
Sur luy de toutes parts, attire tous les yeux.
Le chemin s'estrecit, et mesme enfin se bouche;
Bien-heureux qui la voit, plus heureux qui la touche;
On la presse, et Dunois à peine, en s'efforçant,
Du peuple transporté soustient le flot puissant.



De branchages feüillus on jonche son passage,
De fleurs sur son armet on respand un nüage,
On celebre sa grace, on benit sa valeur,
Et sa veüe en plaisir transforme la douleur.
Mais ny pour cet amour, ny pour cette loüange,
Ne s'enfle sa vertu, sa pudeur ne se change,
Son regard immobile est aux cieux attaché,
Et d'aucun autre objet son esprit n'est touché.
Dunois, qui mieux que tous la fille considere,
Tousjours, de plus en plus, l'estime et la revere,
Et dans ses yeux de feu, son brasier allumant,
Tousjours de plus en plus, se connoist son amant.
Ainsi le fer obscur, jetté dans la fournaise,
Perd d'abord sa froideur, au milieu de la braise;
Puis s'eschauffe, rougit, et tousjours s'enflammant,
Devient tousjours plus chaud, de moment en moment.
À lents et graves pas, la guerriere divine
En militaire pompe, au temple s'achemine,
Entre mille drappeaux, entre mille estandards,
Et dans un bois touffu de lances, et de dards.
De si loin qu'elle voit la demeure sacrée,
Un saint contentement sa sainte ame recrée;
La selle elle abandonne, et par le lieu pressé,
S'avance l'oeil modeste, et le front abaissé.
D'un ordre alternatif, sous les larges portiques,
Un double choeur de voix entonne des cantiques,
Et de ces saints accords les sons harmonieux
Redoublent en son sein les mouvemens pieux.



Elle entre, et de la foule en entrant est suyvie;
Puis, comme dans les cieux, par son zele ravie,
Humblement se prosterne au venerable autel,
Et prononce ces mots, d'un ton plus que mortel.
Grand dieu, dieu des combats, dont la toutepuissance
A reprimé le cours des malheurs de la France,
Nous te glorifions, dans l'admirable effet,
Qu'avec nos foibles mains ta seule dextre a fait.
Ce mur, prest à tomber sous le joug du rebelle,
Reconnoist son salut de ta grace immortelle,
Et, remply d'une sainte et devote ferveur,
Exalte dans ses chants, cette immense faveur.
Ce visible secours de ton bras adorable
À jamais, ô seigneur, luy sera memorable,
Et ce bienheureux jour, à ses saints habitans,
Sera saint et sacré, jusqu'à la fin des temps.
Mais il ne suffit pas d'une seule victoire,
Pour remettre la France au comble de sa gloire;
L'anglois est trop puissant, pour succomber d'abord,
Pour terracer ce monstre, il faut plus d'un effort.
Tant que l'usurpateur de ces belles provinces
Les pourra contester aux legitimes princes,
Tant qu'un sujet perfide y pourra commander,
Nous devons le combatre, et tu nous dois ayder.
Paris, le grand Paris, le siege de l'empire,
Sous les loix du tiran, plus que jamais, souspire,
Finis donc, ô seigneur, l'ouvrage commencé,
Par l'affranchissement de Paris oppressé.



À l'envy de son roy, son peuple et sa milice
Le viennent demander à ta sainte justice,
Et, si de tout leur sang il doit estre acheté,
Veulent de tout leur sang payer sa liberté.
La Pucelle, à ce mot, fond en pleurs, et s'arreste;
Tous, par leurs voeux ardens, secondent sa requeste,
Et, meslant à leurs voeux leurs larmes et leurs voix,
Conjurent l'eternel de destruire l'anglois.
Alors un bruit semblable à celuy du tonnerre,
Murmure sous le temple, et fait trembler la terre;
Chacun en a d'horreur les cheveux herissés,
Le coeur saisi de crainte, et les esprits glacés.
L'autel, au mesme temps, sur la trouppe guerriere,
Jette de tous costés, une vive lumiere;
Un plus grand bruit s'esleve, et dans ce nouveau bruit,
On entend prononcer, l'anglois sera détruit.
Et l'ange du Seigneur, embouchant sa trompette,
Confirme de l'anglois la future desfaite,
L'airain en resplendit au milieu d'un eclair,
Et le son par trois fois en eclate dans l'air.
À ce divin signal d'assauts et de batailles,
Tous sentent, jusqu'au fond, emouvoir leurs entrailles;
Tous bruslent de combatre, et pensent desja voir
Le superbe estranger sousmis à leur pouvoir.
Transportés d'une ardeur, qui tient de la furie;
Guerre et mort à l'anglois, chacun alors s'escrie;
La voute du lieu saint, à cette fiere voix,
Respond d'un ton plus fier, guerre et mort à l'anglois.



La sainte, contre luy, d'un saint zele embrasée,
En jure la ruine, et la promet aisée,
Ne pouvant, qu'avec peine, attendre au lendemain,
À luy faire esprouver sa foudroyante main.
Sur la tour elle monte, et de l'angloise armée
Ne voit pas, sans fureur, la campagne semée,
Contre elle elle s'esbransle, et veut quitter la tour,
Puis remet sa desfaitte aux premiers feux du jour.
Le valeureux Dunois qui la fille accompagne,
Comme elle, tout autour, descouvrant la campagne,
Regardez, luy dit-il, le cercle de ces forts,
Et combien peu d'espace il laisse à nos dehors.
Ils renferment les champs, ils embrassent les isles;
Les grands sont dix en nombre, et paroissent dix villes;
De ceux qui sont petits le nombre est infiny,
Et d'hommes et de traits chacun d'eux est muny.
Suffort et Glacidas, à la gauche commandent
En ceux qui vers le nord d'un long ordre s'estendent;
Umford et Rameston commandent, en suyvant,
Ceux que l'on voit regner du costé de levant.
Sur tout ce rang d'apres, que le midy regarde,
Descalles et Fascot veillent, et font leur garde,
Et Talbot nous resserre, et nous tient prisonniers,
Avec ceux que le jour esclaire les derniers.
Mais voyés, entre tous, s'eslever les tournelles,
Voyés ce grand quartier du grand chef des rebelles;
Cette orgueilleuse masse estoit l'horrible escueil,
Qui, sans vostre secours, nous eust mis au cercueil.



Dunois voulant poursuyvre, et declarer sa flamme,
Sent sa voix enchaisnée au profond de son ame;
Et la crainte en son sein, estouffant le desir,
Sa bouche, au lieu de voix, ne pousse qu'un souspir.
La sainte luy respond, sans remarquer sa peine;
Dans le second soleil cette captive plaine
Sera libre de forts, sera libre d'anglois,
Par l'ayde du seigneur, et par vos grands exploits.
Le ciel, et vostre bras luy rendront la franchise,
Et le mien aura part à la belle entreprise;
Cependant, pour l'aurore, allés tout preparer.
Et ces mots achevés il la voit retirer.
Le char de la clarté, sous l'hemisphere passe,
Et la volante nuit vient occuper sa place;
Alors dans un lieu saint de vierges habité,
La sainte se desrobe aux yeux de la cité.
Dunois demeure seul, et, contre le barbare,
Actif et diligent toutes choses prepare,
D'eschelles et d'escus fait un nombreux amas,
Et, pour l'assaut prochain, les divise aux soldats.
Puis, sur le tour des murs, il va faire sa ronde,
Ayant le coeur blessé d'une atteinte profonde,
Et nourrissant deslors, avec estonnement,
Pour la sainte Pucelle, un saint embrasement.
Tant d'efforts de valeur, tant de traits de prudence,
Cette masle beauté, cette auguste presence,
Et cet air de vertu, que respire sa voix,
L'ont d'abord asservy sous le joug de ses loix.



Il paroist que les cieux, par ces hautes merveilles,
Enchantant du guerrier les yeux et les oreilles,
De son antique ardeur blasment la fermeté,
Et l'obligent à faire une infidelité.
La sainte desormais est toute sa pensée,
De tout son souvenir Marie est effacée,
Il change sa princesse, et ne sçauroit juger
Quel violent destin le force à la changer.
Par quel ordre, dit-il, par quel prodige estrange,
Ainsi dans un instant, puis-je courir au change?
Quel caprice du sort, ainsi dans un instant,
Rend, malgré mon vouloir, mon esprit inconstant?
Mais, ô belle Marie, une telle inconstance,
À sainement parler, n'est rien moins qu'une offence;
Je sors de vos liens, sans haine et sans mespris,
Et sçay que des beautés vous remportés le prix.
À vous, rien de mortel n'est egal en merite,
Aussi rien de mortel ne fait que je vous quite;
Ce qui m'arrache à vous, merite des autels,
Et peut pretendre place entre les immortels.
J'ayme, ou plustost j'adore une sainte guerriere,
Qui des cieux est venüe, à mon heure derniere,
Pardon, si je prefere à l'eclat de vos yeux,
Le beau feu que les siens ont apporté des cieux.
Mais quel est ce brasier qu'il excite en mon ame?
L'oserois-je nommer une amoureuse flamme?
Est-ce avoir de l'amour, que d'aimer sans dessein,
Et d'un ferme propos vouloir servir en vain.



Pour ces celestes yeux, et ce front magnanime,
Je n'ay que du respect, je n'ay que de l'estime,
Je n'en souhaite rien, et, si j'en suis amant,
D'un amour sans desir, je le suis seulement.
De ce feu toutesfois que me sert l'innocence?
Si, tout sage qu'il est, il me fait violence;
Helas! Il me devore, et mon coeur embrasé,
Desja, par sa chaleur, est de force espuisé.
Et soit, consumons nous d'une flamme si belle,
Bruslons en holocauste, au feu de la Pucelle,
Laissons nous pour sa gloire en cendres convertir,
Et tenons à bonheur d'en estre le martyr.
De semblables discours il entretient sa peine,
Elle le suit par tout, par tout elle le meine,
L'amour le fait veiller, autant que le devoir,
Et le sommeil sur luy voit manquer son pouvoir.
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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 2
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