III. Chanson plaintive.
La complainte du coeur noyé
Y avait une fois un enfant d'choeur
Plein d'innocence et de douceur.
Par pieux zèle, ses parents
Avant d'naîtr' l'avaient voué au blanc.
Ils avaient fait brûler un cierge
Et l'avaient promis à la Vierge;
Lors, in nomine Domini,
Messir' curé l'avait béni.
Lui, pour accomplir la promesse,
Dévotement servait la messe.
Il s'appliquait à ses leçons,
Fuyant les autr's petits garçons.
Souvent, devant les imag's saintes,
On l'voyait priant, les mains jointes,
Et chaque soir, avec ferveur,
Disait: « Saint' Mèr', prenez mon coeur ».
Quand il eut grandi, solitaire,
Il s'enclôt dans un monastère.
Il épousa la Pauvreté,
L'Obéissance, la Chasteté.
Il garda, selon l'Évangile,
Les jeûn's, les fêt's et les vigiles,
Courbant, comm' Jésus sur le Mont,
Le mond', la chair et le démon.
Il habitait, loin du péché,
Une cellule au fond du clocher.
Là, chantait les dits du Psalmiste;
Et cependant il était triste.
Souvent, il songeait, abattu:
« Mon âm', pourquoi me troubles-tu? »
Car, tentant la foi qui délivre,
Pour son mal, il lisait des livres.
Un soir, il vit, du haut d'sa tour,
Une fill' qu'était bell' comm' le jour.
Ses ch'veux étaient d'or rayonnant,
Ses yeux bleus comm' le firmament.
Passant devant l'enfant si las,
Riante, ell' lui tendit les bras.
Alors, comm' voulut le Destin,
D'une flèch' sa beauté l'attint.
Il fut trouver son saint abbé,
Disant: « Pèr', vous m'avez trompé.
« L'amour, vrai Bien, ne nous leurr' pas;
Les ang's de Dieu sont ici-bas. »
« Or tout le désir de mon coeur
S'en va vers cette jeune soeur. »
Mais l'abbé lui dit en courroux:
« Satan! fais ta coulpe à genoux!
« Ton coeur appartient à la Vierge ».
Et céans le battit de verges.
Il fit mander ses chers parents:
« Las ! de m'avoir voué au blanc ! »
Mais ils lui dir'nt: « D'mand', si tu veux,
Ton coeur à la Reine des cieux. »
Il fut dans la chapell' fleurie
Et pour son coeur pria Marie.
Mais la Vierg' ne l'entendit point,
Car de saint-chrème on l'avait oint.
Lors, il rit: « J'quitt'rai ce séjour
Pour cell' qui m'a frappé d'amour ».
Mais son pèr', ses frèr's et ses soeurs
Par force ont arraché son coeur.
Pour le sauver d'impureté
L'ont dans la vaste mer jeté.
Le jeun' moin' s'en fut en pleurant
Trouver la dam' qu'il aimait tant.
Elle lui dit avec douceur:
« Si tu m'aim's, il me faut ton coeur ».
Lui docile, partit céans
Chercher son coeur dans l'Océan.
Il plongea sous les flots amers,
Cherchant son coeur par les sept mers;
Parmi l'horreur des gouffres noirs,
Soutenu par son seul espoir;
Sans lumière, ni sol ni ciel,
Mordu par les poissons cruels;
Sans halte ni trève, son sort
À chaque heur' défiant la mort.
Et toujours dans l'antre profond
Son coeur descendait plus au fond.
Il chercha pendant quarante ans,
Ivre, de fièvre palpitant.
Enfin, sous les vagues battu,
Il retrouva son coeur perdu.
Joyeux, le serra dans ses mains
Et de sa dam' prit le chemin.
Il frappa deux coups à sa porte:
« Voici mon coeur que j 'vous apporte.
« Douce mie, ah, j'ai bien souffert
Pour le saisir sous les flots verts! »
Mais ell', tout bas: « Mon cher amant,
Tu es ici pour mon tourment.
« Vois mes enfants et mon mari :
J'croyais que tu étais péri;
« J'ai remis à la Sainte Eglise
La foi que tu m'avais promise ».
Le mari dit: « Brave étranger,
Entrez, séchez-vous au foyer. »
La petit' fille au visage doux
S'en vint s'asseoir sur ses genoux.
L'autre, aux yeux emplis de rayons,
Souriant, le baisa au front.
Mais la dam', triste en sa pensée,
Toucha seul'ment sa main glacée,
Y glissant la bagu' qu'autrefois
Il avait passée à son doigt.
Alors à tous il dit adieu
Et repartit, seul avec Dieu.
Il s'en retourna vers la mer,
Il y lança son coeur amer.
Mais le coeur, à pein' quitté l'bord,
De fatigue et d'angoisse est mort.
Et parmi les flots tourmentés,
Il roul' pendant l'éternité.