ACTE 1 SCENE 4
Servilius, Valerius.
Valerius.
Que me veut ce perfide ?
Servilius.
Seigneur, si vôtre aspect m' étonne et m' intimide,
je sçais trop à quel point je vous suis odieux.
J' en fait tout mon malheur, j' en atteste les dieux.
Pour en finir le cours je viens icy me rendre.
Sans colere un moment, voulez-vous bien m' entendre ?
Valerius.
Et quel est ton espoir ? Qu' oses-tu souhaiter ?
Moy, que tranquilement je puisse t' écouter ?
Moy, j' oublirois ce jour, où, préparant ta fuite,
trop seur d' être avoué de ma fille séduite,
jusqu' aux pieds des autels, ton amour furieux
vint, des bras d' un epoux l' enlever à mes yeux ?
Par quel ressentiment, par quel cruel suplice
devrois-je...
Servilius.
Hé ! Pouviez-vous, avec quelque justice,
de mon rival, seigneur, recompenser la foy
d' un prix, que vous sçaviez qui n' étoit dû qu' à moy ?
Daignez mieux consulter, et mes droits et ma gloire.
Et si ce jour fatal frape vôtre memoire,
souvenez-vous aussi de cette horrible nuit,
où parmy le carnage, et la flâme et le bruit,
à vos yeux éperdus, les gaulois en furie
chargeoient déja de fers les mains de Valerie.
Que faisoit mon rival, en ce moment affreux ?
Il servoit Rome ailleurs. Je servois tous les deux.
Je combatis pour l' une, et je vous sauvay l' autre,
tout couvert de mon sang, répandu pour le vôtre,
j' osay de mes travaux vous demander le fruit,
et par vôtre refus au desespoir réduit,
mon bras, contre un rival superbe et téméraire,
fit ce que les gaulois contre eux m' avoient vû faire.
Valerius.
Ainsi donc tu croyois, la sauvant des gaulois,
te faire une raison de m' imposer des loix.
Tu prétendois, en eux, triompher de moy-même,
et sur mes droits détruits fonder ton droit suprême.
Car enfin de quel fruit tes soins sont-ils pour moy ?
Je la perdois par eux, et je la pers par toy.
Aux voeux d' un autre en vain ma foy l' avoit promise.
Sur eux comme sur moy tu crois l' avoir conquise.
Tu me traites enfin en ennemy vaincu.
Pour me donner ce nom, que me reproches-tu ?
Si ma promesse ailleurs engageant Valerie,
donne un sujet de plainte à ta flâme trahie,
sa soeur que je t' offrois, mon appuy, mes bienfaits,
de mes mépris pour toy sont-ils donc les effets ?
Servilius.
Ah ! Sur moy vos bienfaits avoient beau se répandre.
Vous m' ôtiez plus, seigneur, qu' ils ne pouvoient me rendre.
Valerie avoit seule, et mon coeur, et mes voeux.
Ce qui n' étoit point elle étoit au dessous d' eux.
Sans elle, tous vos dons, loin de me satisfaire,
n' étoient... mais où m' emporte une ardeur téméraire ?
Tous mes raisonnemens ne font que vous aigrir.
Hé-bien, ce n' est qu' à vous que je veux recourir.
Pour ne devoir qu' à vous ma grace toute entiére,
j' implore icy pour moy vôtre bonté premiére.
Plus je parois, seigneur, criminel à vos yeux,
plus l' oubli de mon crime est pour vous glorieux.
Vos ayeux et les miens, que cet hymen assemble
peuvent sans honte...
Valerius.
Hé-bien ? Parlons d' accord ensemble.
Veux-tu faire un effort digne de m' appaiser ?
Servilius.
Pour un bonheur si grand, que puis-je refuser ?
Parlez, seigneur, parlez.
Valerius.
Ta valeur, ta naissance,
peuvent faire, il est vray, chérir ton alliance.
Mais je la tiens coupable, et ne te connois plus,
depuis que l' amitié t' unit à Manlius,
à ce superbe esprit, suspect à sa patrie,
sois si tu veux fidéle à flatter sa furie :
mais dégage mon sang du sort, et des forfaits,
où pourroient quelque jour t' entraîner ses projets.
Romps aujourd' huy de gré, ce que tu fis de force.
Entre ma fille et toy, souffre enfin un divorce :
ou pour mieux m' expliquer, choisi dés aujourd' huy
Manlius sans ma fille, ou ma fille sans luy.
Voy de ces deux partis celui qui te peut plaire.
Tu ne peux qu' à ce prix desarmer ma colere.
Servilius.
Si vôtre offre un moment avoit pû m' ébranler,
de ce fer, à vos yeux, je voudrois m' immoler.
Valerius.
C' en est assez. Adieu.