ACTE 5 SCENE 5
Valerie, Servilius.
Valerie.
Je vay voir éclater, sur moy, vôtre colere :
mais la plus prompte mort me sera la plus chere,
et je viens me livrer à vos justes transports,
prés d' un pere endurci, j' ay fait de vains efforts.
Mes pleurs...
Servilius.
Je le sçavois ; mais enfin, Valerie,
de mes ressentimens ne craint plus la furie.
J' ay fléchi Manlius, mon crime étoit le tien,
et tu dois partager le pardon que j' obtien.
Je rends grace aux efforts que, sur le coeur d' un pere,
pour sauver cet ami, ton zele vient de faire,
daigne excuser aussi l' éclat de mes fureurs.
Tu le vois, le destin a pouvoir sur les coeurs.
Il sçait, des plus unis troublant l' intelligence,
leur faire, quand il veut, sentir leur dépendance.
Mais de tes pleurs enfin, retiens icy le cours,
d' une ame r' affermie, écoute mon discours.
Montre un courage icy digne de ta naissance.
Valerie.
Je vous obéiray, s' il est en ma puissance.
Parlez.
Servilius.
Ressouvien toy de ce malheureux jour,
où la haine des dieux alluma nôtre amour.
Valerie.
Malheureux ! Juste ciel !
Servilius.
Quoy ? Déja ton courage... ?
Valerie.
Et puis-je avec constance écouter ce langage ?
Ainsi ce jour, témoin de ma félicité,
est un jour malheureux, et par vous détesté ?
Que vôtre amour, seigneur, dans ses transports sincéres,
s' en souvenoit hélas ! Sous des noms bien contraires !
Servilius.
Cet amour insensé ne regardoit que soy
il ne prévoyoit pas les malheurs que sur toy,
déploiroient les destins, depuis ce jour sinistre,
et qu' il devoit luy-même en être le ministre,
qu' il te feroit quitter un sort tranquile, heureux,
pour attacher tes jours à mon sort rigoureux ;
que par luy, que pour luy, tu te verrois réduite
aux affronts de l' exil, aux travaux de la fuite,
et qu' enfin aujourd' huy des transports inhumains,
contre ton propre sang, exciteroient mes mains.
Valerie.
Ciel ! Où tend ce discours ? Pourquoy dans ma pensée
rapeller vainement cette image effacée ?
Servilius.
D' un malheureux ami tu comprens le danger,
le conseil des tribuns est prêt à le juger
je vais, aux yeux de tous, y prendre sa deffence.
Mais si l' événement trompe mon esperance,
c' est à toy, Valerie, aprés tant de travaux,
à perdre, sans regret, l' auteur de tous tes maux.
Adieu.