XII
Pauvre amie, je vous ai encore bien tourmentée et bien inquiétée! Mais c'est la
dernière fois. Quand je vous verrai ainsi, froide et contrainte, je comprendrai
bien qu'il existe une de ces raisons dont nous avons parlé à voix basse et que
votre coeur se resserre à l'approche du mien, comme une fleur craintive. Mon
Dieu! ne craignez rien; je me fais à cette idée, si pénible qu'elle puisse être.
Que vous m'aimez plus qu'un autre, je ne puis en vouloir plus. Oh! nous sommes
fiancés dans la vie et dans la mort! Qu'importent les hommes et les indignes
obligations de l'existence? Une heure de liberté entre nous, de baisers doux et
brûlants, d'effusions célestes, et tout le reste est oublié! Dans les
concessions où votre amour m'entraîne, j'abdique volontiers ma fierté d'homme et
mes prétentions d'amant, mais de votre côté prenez un peu pitié de mes peines
mortelles et de cette terrible exaltation, dont je ne puis répondre toujours!
Songez qu'elle vient moins de la jalousie que de la crainte d'être abusé...
Aujourd'hui, cette crainte est moins forte: je crois en vos paroles. La
permission que vous m'avez donnée de me regarder du moins comme ayant tout
obtenu de vous, en attendant l'instant de votre bon vouloir, tout cela me
rassure: car vous ne pouvez plus revenir là-dessus; car vous savez bien qu'il y
a votre parole dans un des plateaux de la balance, et dans l'autre toute ma vie,
tout l'effort d'une âme énergique qui, du point où vous lui avez permis
d'atteindre, ne peut tomber qu'en se brisant en entraînant peut-être quelque
destinée avec la sienne. Eh bien! maintenant, rassurez-vous donc! Je vous ai
demandé une heure aujourd'hui, vous me l'auriez peut-être...