PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE III. QU'ON PEUT REGARDER COMME LE PREMIER DE CETTE HISTOIRE.

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE III.  QU'ON PEUT REGARDER COMME LE PREMIER DE CETTE HISTOIRE. Empty
MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE III. QU'ON PEUT REGARDER COMME LE PREMIER DE CETTE HISTOIRE.   Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE III.  QU'ON PEUT REGARDER COMME LE PREMIER DE CETTE HISTOIRE. Icon_minitimeLun 3 Sep - 10:36

CHAPITRE III.

QU'ON PEUT REGARDER COMME LE PREMIER DE CETTE HISTOIRE.

Mirzoza fixait Mangogul depuis plusieurs années. Ces amants s'étaient
dit et répété mille fois tout ce qu'une passion violente suggère aux
personnes qui ont le plus d'esprit. Ils en étaient venus aux
confidences; et ils se seraient fait un crime de se dérober la
circonstance de leur vie la plus minutieuse. Ces suppositions
singulières: «Si le ciel qui m'a placé sur le trône m'eût fait naître
dans un état obscur, eussiez-vous daigné descendre jusqu'à moi, Mirzoza
m'eût-elle couronné?... Si Mirzoza venait à perdre le peu de charmes
qu'on lui trouve, Mangogul l'aimerait-il toujours?» ces suppositions,
dis-je, qui exercent les amants ingénieux, brouillent quelquefois les
amants délicats, et font mentir si souvent les amants les plus sincères,
étaient usées pour eux.

La favorite, qui possédait au souverain degré le talent si nécessaire et
si rare de bien narrer, avait épuisé l'histoire scandaleuse de Banza.
Comme elle avait peu de tempérament(13), elle n'était pas toujours
disposée à recevoir les caresses du sultan, ni le sultan toujours
d'humeur à lui en proposer. Enfin il y avait des jours où Mangogul et
Mirzoza avaient peu de choses à dire, presque rien à faire, et où, sans
s'aimer moins, ils ne s'amusaient guère. Ces jours étaient rares; mais
il y en avait, et il en vint un.

(13: On sait que Mme de Pompadour n'hésita pas, pour
conserver son influence, à se faire représenter, auprès de son royal
amant, par des remplaçantes choisies par elle.)

Le sultan était étendu nonchalamment sur une duchesse, vis-à-vis de la
favorite qui faisait des noeuds sans dire mot. Le temps ne permettait
pas de se promener. Mangogul n'osait proposer un piquet; il y avait près
d'un quart d'heure que cette situation maussade durait, lorsque le
sultan dit en bâillant à plusieurs reprises:

«Il faut avouer que Géliote(14) a chanté comme un ange...

(14: Chanteur de l'Opéra très-recherché des dames. Son nom
s'écrit régulièrement Jeliotte.)

-Et que Votre Hautesse s'ennuie à périr, ajouta la favorite.

-Non, madame, reprit Mangogul en bâillant à demi; le moment où l'on
vous voit n'est jamais celui de l'ennui.

-Il ne tenait qu'à vous que cela fût galant, répliqua Mirzoza; mais
vous rêvez, vous êtes distrait, vous bâillez. Prince, qu'avez-vous?

-Je ne sais, dit le sultan.

-Et moi je devine, continua la favorite. J'avais dix-huit ans lorsque
j'eus le bonheur de vous plaire. Il y a quatre ans que vous m'aimez.
Dix-huit et quatre font vingt-deux. Me voilà bien vieille.»

Mangogul sourit de ce calcul.

«Mais si je ne vaux plus rien pour le plaisir, ajouta Mirzoza, je veux
vous faire voir du moins que je suis très-bonne pour le conseil. La
variété des amusements qui vous suivent n'a pu vous garantir du dégoût.
Vous êtes dégoûté. Voilà, prince, votre maladie.

-Je ne conviens pas que vous ayez rencontré, dit Mangogul; mais en cas
que cela fût, y sauriez-vous quelque remède?»

Mirzoza répondit au sultan, après avoir rêvé un moment, que Sa Hautesse
lui avait paru prendre tant de plaisir au récit qu'elle lui faisait des
aventures galantes de la ville, qu'elle regrettait de n'en plus avoir à
lui raconter, ou de n'être pas mieux instruite de celles de sa cour;
qu'elle aurait essayé cet expédient, en attendant qu'elle imaginât
mieux.

«Je le crois bon, dit Mangogul; mais qui sait les histoires de toutes
ces folles? et quand on les saurait, qui me les réciterait comme vous?

-Sachons-les toujours, reprit Mirzoza. Qui que ce soit qui vous les
raconte, je suis sûre que Votre Hautesse gagnera plus par le fond
qu'elle ne perdra par la forme.

-J'imaginerai avec vous, si vous voulez, les aventures des femmes de ma
cour, fort plaisantes, dit Mangogul; mais le fussent-elles cent fois
davantage, qu'importe, s'il est impossible de les apprendre?

-Il pourrait y avoir de la difficulté, répondit Mirzoza: mais je pense
que c'est tout. Le génie Cucufa, votre parent et votre ami, a fait des
choses plus fortes. Que ne le consultez-vous?

-Ah! joie de mon coeur, s'écria le sultan, vous êtes admirable! Je ne
doute point que le génie n'emploie tout son pouvoir en ma faveur. Je
vais de ce pas m'enfermer dans mon cabinet, et l'évoquer.»

Alors Mangogul se leva, baisa la favorite sur l'oeil gauche, selon la
coutume du Congo, et partit.




Revenir en haut Aller en bas
 
Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE III. QU'ON PEUT REGARDER COMME LE PREMIER DE CETTE HISTOIRE.
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXXII. LE MEILLEUR PEUT-ÊTRE, ET LE MOINS LU DE CETTE HISTOIRE.
» Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE VI. PREMIER ESSAI DE L'ANNEAU. ALCINE
» Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XLIV. HISTOIRE DES VOYAGES DE SÉLIM.
» Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXIX.
» Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XV. LES BRAMINES.

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: