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 Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE VIII. TROISIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LE PETIT SOUPER.

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Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE VIII.  TROISIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.  LE PETIT SOUPER. Empty
MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE VIII. TROISIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LE PETIT SOUPER.   Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE VIII.  TROISIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.  LE PETIT SOUPER. Icon_minitimeLun 3 Sep - 10:41

CHAPITRE VIII.

TROISIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.

LE PETIT SOUPER.


On servit, on soupa, on s'amusa d'abord aux dépens de Monima: toutes les
femmes accusaient unanimement son bijou d'avoir parlé le premier; et
elle aurait succombé sous cette ligue, si le sultan n'eût pris sa
défense.

«Je ne prétends point, disait-il, que Monima soit moins galante que
Zelmaïde, mais je crois son bijou plus discret. D'ailleurs, lorsque la
bouche et le bijou d'une femme se contredisent, lequel croire?

-Seigneur, répondit un courtisan, j'ignore ce que les bijoux diront par
la suite; mais jusqu'à présent ils ne se sont expliqués que sur un
chapitre qui leur est très-familier. Tant qu'ils auront la prudence de
ne parler que de ce qu'ils entendent, je les croirai comme des oracles.

-On pourrait, dit Mirzoza, en consulter de plus sûrs.

-Madame, reprit Mangogul, quel intérêt auraient ceux-ci de déguiser la
vérité? Il n'y aurait qu'une chimère d'honneur qui pût les y porter;
mais un bijou n'a point de ces chimères: ce n'est pas là le lieu des
préjugés.

-Une chimère d'honneur! dit Mirzoza; des préjugés! si Votre Hautesse
était exposée aux mêmes inconvénients que nous, elle sentirait que ce
qui intéresse la vertu n'est rien moins que chimérique.»

Toutes les dames, enhardies par la réponse de la sultane, soutinrent
qu'il était superflu de les mettre à de certaines épreuves; et Mangogul
qu'au moins ces épreuves étaient presque toujours dangereuses.

Ces propos conduisirent au vin de Champagne; on s'y livra, on se mit en
pointe; et les bijoux s'échauffèrent: c'était l'instant où Mangogul
s'était proposé de recommencer ses malices. Il tourna sa bague sur une
jeune femme fort enjouée, assise assez proche de lui et placée en face
de son époux; et l'on entendit s'élever de dessous la table un bruit
plaintif, une voix faible et languissante qui disait:

«Ah! que je suis harassé! je n'en puis plus, je suis sur les dents.

-Comment, de par la Pagode Pongo Sabiam, s'écria Husseim, le bijou de
ma femme parle; et que peut-il dire?

-Nous allons entendre, répondit le sultan...

-Prince, vous me permettrez de n'être pas du nombre de ses auditeurs,
répliqua Husseim; et s'il lui échappait quelques sottises, Votre
Hautesse pense-t-elle?...

-Je pense que vous êtes fou, répondit le sultan, de vous alarmer pour
le caquet d'un bijou: ne sait-on pas une bonne partie de ce qu'il pourra
dire, et ne devine-t-on pas le reste? Asseyez-vous donc, et tâchez de
vous amuser.»

Husseim s'assit, et le bijou de sa femme se mit à jaser comme une pie.

«Aurai-je toujours ce grand flandrin de Valanto? s'écria-t-il, j'en ai
vu qui finissaient, mais celui-ci...»

A ces mots, Husseim se leva comme un furieux, se saisit d'un couteau,
s'élança à l'autre bord de la table, et perçait le sein de sa femme si
ses voisins ne l'eussent retenu.

«Husseim, lui dit le sultan, vous faites trop de bruit; on n'entend
rien. Ne dirait-on pas que le bijou de votre femme soit le seul qui
n'ait pas le sens commun? Et où en seraient ces dames si leurs maris
étaient de votre humeur? Comment, vous voilà désespéré pour une
misérable petite aventure d'un Valanto, qui ne finissait pas!
Remettez-vous à votre place, prenez votre parti en galant homme, songez
à vous observer, et à ne pas manquer une seconde fois à un prince qui
vous admet à ses plaisirs.»

Tandis qu'Husseim, dissimulant sa rage, s'appuyait sur le dos d'une
chaise, les yeux fermés et la main appliquée sur le front, le sultan
tournait subitement son anneau, et le bijou continuait: «Je
m'accommoderais assez du jeune page de Valanto; mais je ne sais quand il
commencera. En attendant que l'un commence et que l'autre finisse, je
prends patience avec le bramine Egon. Il est hideux, il faut en
convenir; mais son talent est de finir et de recommencer. Oh, qu'un
bramine est un grand homme!»

Le bijou en était à cette exclamation, lorsqu'Husseim rougit de
s'affliger pour une femme qui n'en valait pas la peine, et se mit à rire
comme le reste de la compagnie; mais il la gardait bonne à son épouse.
Le souper fini, chacun reprit la route de son hôtel, excepté Husseim,
qui conduisit sa femme dans une maison de filles voilées, et l'y
enferma. Mangogul, instruit de sa disgrâce, la visita. Il trouva toute
la maison occupée à la consoler, mais plus encore à lui tirer le sujet
de son exil.

«C'est pour une vétille, leur disait-elle, que je suis ici. Hier à
souper chez le sultan, on avait fouetté le champagne, sablé le tokai; on
ne savait plus guère ce qu'on disait, lorsque mon bijou s'est avisé de
babiller. Je ne sais quels ont été ses propos; mais mon époux en a pris
de l'humeur.

-Assurément, madame, il a tort, lui répondaient les nonnains; on ne se
fâche point ainsi pour des bagatelles...

-Comment, votre bijou a parlé! Mais parle-t-il encore? Ah! que nous
serions charmées de l'entendre! Il ne peut s'exprimer qu'avec esprit et
grâce.»

Elles furent satisfaites, car le sultan tourna son anneau sur la pauvre
recluse, et son bijou les remercia de leurs politesses, leur protestant,
au demeurant, que, quelque charmé qu'il fût de leur compagnie, il
s'accommoderait mieux de celle d'un bramine.

Le sultan profita de l'occasion pour apprendre quelques particularités
de la vie de ces filles. Sa bague interrogea le bijou d'une jeune
recluse nommée Cléanthis; et le bijou prétendu virginal confessa deux
jardiniers, un bramine et trois cavaliers; et raconta comme quoi, à
l'aide d'une médecine et de deux saignées, elle avait évité de donner du
scandale. Zéphirine avoua, par l'organe de son bijou, qu'elle devait au
petit commissionnaire de la maison le titre honorable de mère. Mais une
chose qui étonna le sultan, c'est que quoique ces bijoux séquestrés
s'expliquassent en termes fort indécents, les vierges à qui ils
appartenaient les écoutaient sans rougir; ce qui lui fit conjecturer
que, si l'on manquait d'exercice dans ces retraites, on y avait en
revanche beaucoup de spéculation.

Pour s'en éclaircir, il tourna son anneau sur une novice de quinze à
seize ans. «Flora, répondit son bijou, a lorgné plus d'une fois à
travers la grille un jeune officier. Je suis sûr qu'elle avait du goût
pour lui: son petit doigt me l'a dit.» Mal en prit à Flora. Les
anciennes la condamnèrent à deux mois de prière et de discipline; et
ordonnèrent des prières pour que les bijoux de la communauté
demeurassent muets.





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