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 Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXII. SEPTIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LE BIJOU SUFFOQUÉ.

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MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXII. SEPTIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LE BIJOU SUFFOQUÉ.   Denis Diderot. (1713-1784)  CHAPITRE XXII.  SEPTIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.  LE BIJOU SUFFOQUÉ. Icon_minitimeLun 3 Sep - 10:56

CHAPITRE XXII.

SEPTIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.

LE BIJOU SUFFOQUÉ.


Quoique les bourgeoises de Banza se doutassent que les bijoux de leur
espèce n'auraient pas l'honneur de parler, toutes cependant se munirent
de muselières. On eut à Banza sa muselière, comme on prend ici le deuil
de cour.

En cet endroit, l'auteur africain remarque avec étonnement que la
modicité du prix et la roture des muselières n'en firent point cesser la
mode au sérail. «Pour cette fois, dit-il, l'utilité l'emporta sur le
préjugé.» Une réflexion aussi commune ne valait pas la peine qu'il se
répétât: mais il m'a semblé que c'était le défaut de tous les anciens
auteurs du Congo, de tomber dans des redites, soit qu'ils se fussent
proposé de donner ainsi un air de vraisemblance et de facilité à leurs
productions; soit qu'ils n'eussent pas, à beaucoup près, autant de
fécondité que leurs admirateurs le supposent.

Quoi qu'il en soit, un jour, Mangogul, se promenant dans ses jardins,
accompagné de toute sa cour, s'avisa de tourner sa bague sur Zélaïs.
Elle était jolie et soupçonnée de plusieurs aventures; cependant son
bijou ne fit que bégayer et ne proféra que quelques mots entrecoupés qui
ne signifiaient rien et que les persifleurs interprétèrent comme ils
voulurent... «Ouais, dit le sultan, voici un bijou qui a la parole bien
malaisée. Il faut qu'il y ait ici quelque chose qui lui gêne la
prononciation.» Il appliqua donc plus fortement son anneau. Le bijou fit
un second effort pour s'exprimer; et, surmontant en partie l'obstacle
qui lui fermait la bouche, on entendit très-distinctement: «Ahi...
ahi... J'ét... j'ét... j'étouffe. Je n'en puis plus... Ahi... ahi...
J'étouffe.»

Zélaïs se sentit aussitôt suffoquer: son visage pâlit, sa gorge s'enfla,
et elle tomba, les yeux fermés et la bouche entr'ouverte, entre les bras
de ceux qui l'environnaient.

Partout ailleurs Zélaïs eût été promptement soulagée. Il ne s'agissait
que de la débarrasser de sa muselière et de rendre à son bijou la
respiration; mais le moyen de lui porter une main secourable en présence
de Mangogul! «Vite, vite, des médecins, s'écriait le sultan; Zélaïs se
meurt.»

Des pages coururent au palais et revinrent, les docteurs s'avançant
gravement sur leurs traces; Orcotome était à leur tête. Les uns
opinèrent pour la saignée, les autres pour le kermès; mais le pénétrant
Orcotome fit transporter Zélaïs dans un cabinet voisin, la visita et
coupa les courroies de son caveçon. Ce bijou emmuselé fut un de ceux
qu'il se vanta d'avoir vu dans le paroxysme.

Cependant le gonflement était excessif, et Zélaïs eût continué de
souffrir si le sultan n'eût eu pitié de son état. Il retourna sa bague;
les humeurs se remirent en équilibre; Zélaïs revint, et Orcotome
s'attribua le miracle de cette cure.

L'accident de Zélaïs et l'indiscrétion de son médecin discréditèrent
beaucoup les muselières. Orcotome, sans égard pour les intérêts
d'Éolipile, se proposa d'élever sa fortune sur les débris de la sienne;
se fit annoncer pour médecin attitré des bijoux enrhumés; et l'on voit
encore son affiche dans les rues détournées. Il commença par gagner de
l'argent et finit par être méprisé. Le sultan s'était fait un plaisir de
rabattre la présomption de l'empirique. Orcotome se vantait-il d'avoir
réduit au silence quelque bijou qui n'avait jamais soufflé le mot?
Mangogul avait la cruauté de le faire parler. On en vint jusqu'à
remarquer que tout bijou qui s'ennuyait de se taire n'avait qu'à
recevoir deux ou trois visites d'Orcotome. Bientôt on le mit, avec
Éolipile, dans la classe des charlatans; et tous deux y demeureront
jusqu'à ce qu'il plaise à Brama de les en tirer.

On préféra la honte à l'apoplexie. «On meurt de celle-ci,» disait-on. On
renonça donc aux muselières; on laissa parler les bijoux, et personne
n'en mourut.



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Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXII. SEPTIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LE BIJOU SUFFOQUÉ.
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