on eût dit qu' à plaisir il se retint de vivre.
Comme un enfant dormeur qui n' ouvre pas son livre,
je ne voulais rien lire à mon sort, j' attendais ;
et tous les jours levés sur moi, je les perdais.
Par ma ceinture noire à la terre arrêtée,
ma mère était partie et tout m' avait quittée :
le monde était trop grand, trop défait, trop désert ;
une voix seule éteinte en changeait le concert :
je voulais me sauver de ses dures contraintes,
j' avais peur de ses lois, de ses morts, de ses craintes,
et ne sachant où fuir ses échos durs et froids,
je me prenais tout haut à chanter mes effrois !
Mais quand tu dis : " je viens ! " quelle cloche de fête
fit bondir le sommeil attardé sur ma tête ;
quelle rapide étreinte attacha notre sort,
pour entre-ailer nos jours d' un fraternel essor !
Ma vie, elle avait froid, s' alluma dans la tienne,
et ma vie a brillé, comme on voit au soleil
se dresser une fleur sans que rien la soutienne,
rien qu' un baiser de l' air, rien qu' un rayon vermeil...
aussi, dès qu' en entier ton âme m' eut saisie,
tu fus ma piété ! Mon ciel ! Ma poésie !
Aussi, sans te parler, je te nomme souvent
mon frère devant Dieu ! Mon âme ! Ou mon enfant !
Tu ne sauras jamais, comme je sais moi-même,
à quelle profondeur je t' atteins et je t' aime !
Tu serais par la mort arraché de mes voeux,
que pour te ressaisir mon âme aurait des yeux,
des lueurs, des accents, des larmes, des prières,
qui forceraient la mort à rouvrir tes paupières !
Je sais de quels frissons ta mère a dû frémir
sur tes sommeils d' enfant : moi, je t' ai vu dormir...