IDYL. L'ARBRISSEAU
À Monsieur le dr Alibert
La tristesse est rêveuse, et je rêve souvent ;
La nature m' y porte, on la trompe avec peine ;
Je rêve au bruit de l' eau qui se promène,
Au murmure du saule agité par le vent.
J' écoute : un souvenir répond à ma tristesse ;
Un autre souvenir s' éveille dans mon coeur ;
Chaque objet me pénètre, et répand sa couleur
Sur le sentiment qui m' oppresse.
Ainsi le nuage s' enfuit,
Pressé par un autre nuage ;
Ainsi le flot fuit le rivage,
Cédant au flot qui le poursuit.
J' ai vu languir, au fond de la vallée,
Un arbrisseau qu' oubliait le bonheur ;
L' aurore se levait sans éclairer sa fleur,
Et pour lui la nature était sombre et voilée.
Ses printemps ignorés s' écoulaient dans la nuit ;
L' amour jamais d' une fraîche guirlande
À ses rameaux n' avait laissé l' offrande :
Il fait froid aux lieux qu' amour fuit.
L' ombre humide éteignait sa force languissante ;
Son front pour s' élever faisait un vain effort ;
Un éternel hiver, une eau triste et dormante
Jusque dans sa racine allaient porter la mort.
" Hélas ! Faut-il mourir sans connaître la vie !
" Sans avoir vu des cieux briller les doux flambeaux !
" Je n' atteindrai jamais de ces arbres si beaux
" La couronne verte et fleurie !
" Ils dominent au loin sur les champs d' alentour ;
" On dit que le soleil dore leur beau feuillage,
" Et moi, sous leur impénétrable ombrage,
" Je devine à peine le jour !
" Vallon où je me meurs, votre triste influence
" A préparé ma chute auprès de ma naissance.
" Bientôt, hélas ! Je ne dois plus gémir !
" Déjà ma feuille a cessé de frémir...
" Je meurs, je meurs ! " ce douloureux murmure
Toucha le dieu protecteur du vallon.
C' était le temps où le noir aquilon
Laisse, en fuyant, respirer la nature.
" Non ! Dit le dieu ; qu' un souffle de chaleur
" Pénètre au sein de ta tige glacée !
" Ta vie heureuse est enfin commencée ;
" Relève-toi, j' ai ranimé ta fleur.
" Je te consacre aux nymphes des bocages ;
" À mes lauriers tes rameaux vont s' unir,
" Et j' irai quelque jour sous leurs jeunes ombrages
" Chercher un souvenir. "
L' arbrisseau, faible encor, tressaillit d' espérance ;
Dans le pressentiment il goûta l' existence.
Comme l' aveugle-né, saisi d' un doux transport,
Voit fuir sa longue nuit, image de la mort,
Quand une main divine entr' ouvre sa paupière,
Et conduit à son âme un rayon de lumière :
L' air qu' il respire alors est un bienfait nouveau ;
Il est plus pur ! Il vient d' un ciel si beau !