ELEGIES LA DERNIERE FLEUR
Que ton coeur prenne ma défense,
Passant de mon dernier séjour !
Je mourus sans rendre une offense :
Mon sort fut une longue enfance,
Et ma pensée un long amour !
Sur moi lentement éveillée,
Femme, je n' ai pas fui mon sort ;
Et sous mes larmes effeuillée,
Dans mes doux sentiments raillée,
Je pleurais, et j' aimais encor !
Auprès de cette cendre éteinte
Demeure un instant par pitié !
Sous l' urne tiède et sans empreinte,
Que je rêve un moment la plainte
De l' amour ou de l' amitié.
Car on dit que longtemps encore
L' âme retourne au monument,
Glissant du ciel à chaque aurore,
Pour épier ce qu' elle adore...
Et que parfois c' est vainement !
Si l' attente, effroi de ma vie,
Doit aussi tourmenter ma mort,
Si pas un coeur ne m' a suivie,
Parle-moi, toi ! Je t' en supplie :
Dis mon nom et pleure mon sort.
Bon passant ! Si ta voix est tendre,
Jamais je n' oublierai ta voix.
Parle-moi ! Guéris-moi d' attendre ;
Dis mon nom : je croirai l' entendre
Comme on me l' a dit une fois !
Si tu vois une fleur sauvage
Croître et trembler sur mon tombeau,
Cueille à la mort son pâle hommage ;
Emporte cette frêle image
D' un être plus aimant que beau.
Prends-moi, sous ce fragile emblème,
Comme un talisman pour tes jours ;
S' il recèle un peu de moi-même,
Cache-le sur un coeur qui t' aime ;
Et ce coeur t' aimera toujours !
Jamais une main qui sépare
N' osera s' étendre entre vous ;
L' amour ne sera plus avare ;
Et si tout l' enfer ne t' égare,
Toi ! Tu ne seras point jaloux !
J' ai porté bonheur sur la terre
À ceux qui pleuraient devant moi :
Une larme est un saint mystère.
Va ! De ta pitié solitaire
Cette fleur m' acquitte envers toi !