Ne cherchons pas
Viens sur les bords du lac tranquille où l'eau s'allonge,
Puisque déjà sur le vallon l'ombre descend;
Les bois sont recueillis et le ciel pur prolonge
Les restes d'un beau jour qui va s'affaiblissant.
Rien ne vaut les moments perdus dans ce silence;
Rien n'égale le charme apaisant de ce soir
Alors que la nature étend sa somnolence
Sur la berge où souvent nous vînmes nous asseoir.
C'est ici que l'été dernier nous nous aimâmes;
Un an s'est écoulé depuis, et nous sentons
Que cet an a suffi pour disjoindre nos âmes
Loin des sentiers chéris dont nous nous écartons.
Pourtant rien n'est changé, le même flot s'enlace
Autour de ton pied nu comme autrefois, le vent,
Le même vent léger, sur ton épaule lasse
Se joue et la caresse et lui rit comme avant.
Tout ce que nous aimions, les feuilles frémissantes,
Le torrent dévalant sous les pins toujours verts,
Les îles dont nos pieds foulent les fleurs naissantes,
Les nénuphars dont les étangs sont recouverts,
Les monts charnus, les champs marbrés, les libellules
Cousant d'un long fil d'or l'écharpe des soirs bleus,
Les matins embrumés et les clairs crépuscules
Qui retiennent le jour expirant sous nos yeux;
Tout ce que nous aimions revit, les mêmes choses
S'offrent à nos regards, à nos sens, à nos coeurs;
Plus près de nous encor l'encens des mêmes roses
S'exhale triomphant des calices vainqueurs.
Pourquoi donc sommes-nous dans tout ce qui persiste
Les seuls à ne plus être ainsi que nous étions?
Et qu'est-ce que la vie a fait qui nous attriste
Quand tout est joie et grâce et sourire et rayons?
Mes mains sont à tes mains désormais étrangères;
Tes yeux ne lisent plus dans mes yeux leur destin.
Pourquoi donc notre amour aux attaches légères
S'est-il, quand tout renaît, si brusquement éteint?
Ne cherchons pas, goûtons cette heure évocatrice
D'un passé dont la cendre est brûlante à demi,
Et laissons de ce qui fut peut-être un caprice
Flotter le cher parfum sur le lac endormi.