PLUME DE POÉSIES Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus. |
|
| Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE | |
| | |
Auteur | Message |
---|
James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:03 | |
| CHANT I LA TRAGEDIE
Peintre de la raison, toi, qui sur le Parnasse, Es l'oracle du goût, et le rival d'Horace; Dans l'art brillant des vers ta voix sut nous former. Ma main trace aujourd'hui l'art de les déclamer. Vous, qui voulez enfin sortir de vos ténebres, Et ceindre le laurier des actrices celebres, Renfermez ce desir, gardez de vous hâter: Connoissez le théatre, avant que d'y monter. Il faut, il faut long-tems, plus prudente et plus sage, Faire encor de votre art l'obscur apprentissage, Et pour vous épargner un triste repentir, Consulter la raison, et penser, et sentir. Dans ses jeux instructifs la fable respectée Nous vante les talens du mobile Prothée, Qui, possesseur adroit d'innombrables secrets, Changeoit, en se jouant, sa figure et ses traits; Tantôt, aigle-superbe, affrontoit le tonnerre; Tantôt, reptile impur, se traînoit sur la terre; Arbre, élevoit sa tige; onde ou feu dévorant, Pétilloit en phosphore, ou grondoit en torrent; Rouloit, tigre ou lion, sa prunelle enflammée, Et soudain dans les airs s'exhaloit en fumée; Le vrai vous est caché sous cette allégorie, J'y vois le grand acteur, qui toujours se varie, Imite d'un héros l'élan impétueux, Nous peint la politique et ses plis tortueux, D'un tendre sentiment développe les charmes, Là frémit de colere, ici verse des larmes, Par un jeu séduisant échappe à ses censeurs, Et gouverne à son gré l'ame des spectateurs. Soit fable ou vérité, cette métamorphose Indique les travaux que votre art vous impose, Quels divers sentimens vous doivent animer, Et sous combien d'aspects il faudra nous charmer. L'étranger plus avide, en sujets plus sterile, Vous appelle peut-être et vous offre un asyle. Ah! N'allez pas grossir, à la fleur de vos ans, Le servile troupeau de ces bouffons errans, Qu'adopte par ennui la province idolâtre, Et qui de cour en cour promenent leur théatre. Votre talent, qu'enfin on sait apprécier, À Paris est un art, et là n'est qu'un métier. Paris seul vous promet de rapides conquêtes, Et pour vos jeunes fronts des palmes toujours prêtes. | |
| | | James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Re: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:03 | |
| La critique éclairée y veille à vos succès, Et vous ouvre à la gloire un plus facile accès. L'actrice renommée y brille en souveraine; Ses droits sont dans nos coeurs, son trône est sur la scene. Mais détournez vos yeux de ces rians tableaux; Cette gloire tardive est le fruit des travaux. Le laurier ne croît point où s'endort la mollesse; Cultivez votre organe, exercez-le sans cesse; Sondez le coeur humain, parcourez ses détours: De la langue françoise étudiez les tours. L'actrice qui chérit sa superbe ignorance, Rampe, malgré tout l'or du Crésus qui l'encense. Paraît-elle? Aussi-tôt elle s'entend siffler. Avant de déclamer, on doit savoir parler. De l'art de prononcer faites-vous une étude: La voix est un ressort qui cede à l'habitude; C'est la route du coeur; sachez vous la frayer; Séduire mon oreille, et non pas l'effrayer. Je condamne au silence une actrice profane, Qui change en cris aigus les soupirs d'Ariane, Celle qui ne formant qu'un bruit vague et confus, Laisse expirer ses tons, avec peine entendus, Ou qui, les yeux en pleurs, de deuil enveloppée, Évoque, en grasseyant, les manes de Pompée. Tremblez, défiez-vous d'un instinct pétulant, Qui fait tout hasarder, et ressemble au talent. | |
| | | James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Re: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:04 | |
| Jugez-vous de sang-froid, et d'un regard sévere, Observez de vos traits quel est le caractere. On doit voir sur vos fronts respirer tour-à-tour, L'ambition, la rage, et la gloire et l'amour. Voulez-vous sur la scene exciter la tendresse? Il faut que votre abord, que votre air intéresse, Et puisse faire éclorre en nos coeurs agités, Toutes les passions que vous représentez. Sans ces charmes touchans, que d'abord l'oeil admire, Me rendrez-vous sensible aux douleurs de Zaïre, Qui, d'un culte nouveau craignant l'austérité, Pleure au sein de son dieu l'amant qu'elle a quitté? Ah, Gaussin, que j'aimois ta langueur et tes graces! Tu désarmois le tems enchaîné sur tes traces: Il sembloit à nos yeux t'embellir chaque jour, Et respecter en toi l'ouvrage de l'amour. Aux rôles furieux vous êtes-vous livrée? Qu'un oeil étincelant peigne une ame égarée. Ayez l'accent, le geste, et le port effrayant; Que tout un peuple ému frémisse en vous voyant; Qu'on reconnoisse en vous l'implacable Athalie, Et les sombres terreurs dont son ame est remplie; Que j'imagine entendre et voir Sémiramis, Bourreau de son époux, amante de son fils, Qui, dans un même coeur, vaste et profond abyme, Rassemble la vertu, le remords et le crime.
| |
| | | James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Re: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:04 | |
| Le public, occupé de ces grands intérêts, Veut de l'illusion, et non pas des attraits. Pour graver ces tableaux dans le fond de notre ame, À de sombres dehors joignez un coeur de flame. Des masques, avec art adaptés aux discours, La tragédie antique empruntoit le secours. Dans un rôle emporté, l'acteur, d'après l'usage, D'un masque furibond surchargeoit son visage. Un masque larmoyant, lorsqu'il falloit des pleurs, Exprimoit et l'amour, et ses tendres douleurs. De chaque rôle au moins on conservoit l'idée; On ne confondoit plus Andromaque et Médée. Heureux ou malheureux, rois, sujets, et tyrans, S'offroient sous un aspect et des traits différens; Achille paroissoit enflammé de colere, Diomede fougueux, Nestor calme et sévere; Et ces masques frappans et caractérisés Valoient bien nos minois, toujours symmétrisés, Où chaque sentiment devient une grimace, Dont l'uniformité, dont la froideur me glace; Et qui, sur le théatre une fois réunis, Ont tous les mêmes traits sous le même vernis. Juges plus délicats, spectateurs moins commodes, Chassons loin de nos yeux ces tragiques pagodes, Qui, marchant par ressorts, et toujours se guindant, Soupirent avec art, pleurent en minaudant. | |
| | | James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Re: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:04 | |
| Telle est, dans son ivresse, une actrice arrogante, Qui sans cesse interroge une glace indulgente, Concerte ses regards, aligne tous ses pas, Applaudit à son jeu, sourit à ses appas. Cette froide méthode est pleine d'imposture. Votre ame est le miroir où se peint la nature. Dans une glace, où l'oeil s'abuse à tout moment, C'est l'orgueil qui vous juge, et non le sentiment. Vous y voyez un teint que le soir même efface, Et de votre beauté la magique surface: Sous ces habits flottans avec pompe étalés, C'est Flore, c'est Vénus que vous y contemplez. Mais y remarquez-vous, aveugle et complaisante, Ces pénibles ressorts d'une ame languissante, Vos gestes empruntés, ces yeux toujours muets, Qui peignent la douleur, et ne pleurent jamais? Chacun de vos défauts obtient votre suffrage: C'est ainsi que Narcisse adoroit son image. Consultez votre coeur: c'est là qu'il faut chercher Le secret de nous plaire, et l'art de nous toucher. Par une longue étude une fois enhardie, Alors suivez l'attrait et l'essor du génie; Le courage l'éleve, et la crainte l'abat; Du grand jour sans pâlir envisagez l'éclat. Paroissez, armez-vous d'une noble assurance, Et de cette fierté que permet la décence. | |
| | | James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Re: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:05 | |
| Que jamais vos regards n'aillent furtivement Mendier la faveur d'un applaudissement. Le public dédaigneux hait ce vain artifice; Il siffle la coquette, il applaudit l'actrice. Offrez-nous un maintien, un port majestueux; Que d'abord votre marche en impose à nos yeux: Au gré des mouvemens qui vous ont agitée, Qu'elle soit à propos lente ou précipitée. Que le geste facile et sans art déployé, Avec le sens des vers soit toujours marié. Songez à réprimer son emphase indiscrete; Qu'il soit des passions l'éloquent interprete, Développe à nos yeux leur flux et leur reflux, Et devienne pour l'ame un organe de plus. Des passages divers décidez les nuances; Ponctuez le repos, observez les silences. Le jeu muet encor veut une étude à part: Il est et le triomphe et le comble de l'art. C'est là que le talent paroît sans artifice, Et que toute la gloire appartient à l'actrice. Il faut, pour le saisir, savoir l'ouvrage entier, En suivre les ressorts, et les étudier; Réunir d'un coup-d'oeil tous les traits qu'il rassemble, Et ces effets cachés qui naissent de l'ensemble. Tel, dans tout ce qu'il trace, un peintre ingénieux Doit chercher des couleurs l'accord harmonieux. | |
| | | James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Re: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:05 | |
| Laissez donc la routine aux actrices frivoles; Sachez approfondir et raisonner vos rôles. Que l'étude pourtant se fasse peu sentir: À force d'art, craignez de vous appesantir. Loin du jeu théatral la triste symmétrie, Et le compas glacé de la géométrie. Des passions toujours suivez le mouvement; Trop de raison nous choque et nuit au sentiment. Il est d'heureux défauts, et des élans sublimes, Qu'il ne faut point soumettre à de froides maximes: Que tous vos sens alors soient saisis, transportés: Melpomene vous voit, vous entend: éclatez; Et dans le même instant, par un effet contraire, Sachez pâlir d'horreur, et rougir de colere. Oubliez, imitant le plus célebre acteur,
| |
| | | James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Re: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:05 | |
| Votre rôle, votre art, vous, et le spectateur. Tel l'illustre le Kain, dans sa fougue sublime, S'empare de notre ame, et ravit notre estime. Je crois toujours le voir, échevelé, tremblant, Du tombeau de Ninus s'élancer tout sanglant; Pousser du désespoir les cris sourds et funebres, S'agiter, se débattre à travers les ténebres, Plus terrible cent fois que les spectres, la nuit, Et les pâles éclairs, dont l'horreur le poursuit. Tel est encor Brizard, lorsque du vieil Horace Il peint l'ame romaine et l'héroïque audace, Et que perdant deux fils immolés à l'honneur, Dans le fils qui lui reste il embrasse un vainqueur. Quel feu! Quel naturel! Quel auguste langage! C'est le héros lui-même, et non le personnage. Soyez impétueuse et vive en vos récits: Les spectateurs soudain veulent être éclaircis. Là, qu'un art déplacé jamais ne nous étale Le traînant appareil d'une lente finale, Et par la pesanteur d'un jeu soporatif, N'aille point fatiguer le parterre attentif. D'un combat engagé dans une nuit obscure Venez-vous raconter l'effrayante aventure? | |
| | | James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Re: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:05 | |
| Que votre jeu rapide et vos sons éclatans Me retracent les cris, le choc des combattans; Que sur-tout la mémoire, en ces momens fidelle, Lorsque vous commandez, ne soit jamais rebelle, Et ne vous force point, glaçant votre chaleur, D'aller, à son défaut, consulter le souffleur. Pour fixer nos esprits, et plaire à Melpomene, Seule sachez remplir le vuide de la scene. Le public n'y voit plus, borné dans ses regards, Nos marquis y briller sur de triples remparts. Ils cessent d'embellir la cour de Pharasmane; Zaïre sans témoins entretient Orosmane. On n'y voit plus l'ennui de nos jeunes seigneurs Nonchalamment sourire à l'héroïne en pleurs. On ne les entend plus, du fond de la coulisse, Par leur caquet bruyant interrompre l'actrice, Persiffler Mithridate, et sans respect du nom, Apostropher César, ou tutoyer Néron. Si le succès enfin remplit votre espérance, On vous verra peut-être, avec trop d'assurance, Vous fiant au public, sans prévoir ses retours, Retomber mollement dans le sein des amours. De l'art de déclamer connoissez l'étendue: Telle l'ignore encor, qui s'y croit parvenue. Le premier feu produit ces succès éclatans; Mais la perfection est l'ouvrage du tems. L'amour-propre souvent, juge trop infidele, Du talent orgueilleux étouffe l'étincele. | |
| | | James FONDATEUR ADMINISTRATEUR
Nombre de messages : 152312 Age : 60 Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières Date d'inscription : 04/09/2007
| Sujet: Re: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE Lun 26 Nov - 20:06 | |
| Il est un lieu charmant, et toujours fréquenté Par ce folâtre essain qui poursuit la beauté. Là, dans les jours brillans, l'habitude rassemble Tous les états surpris de se trouver ensemble. Un plumet étourdi, de lui-même content, Se montre, disparoît, revient au même instant. Infectant ses voisins de l'ambre qu'il exhale, Le grave magistrat se rengorge et s'étale; Et l'heureux financier, dispensé des soupirs, Va toujours marchandant et payant ses plaisirs. De ces lieux enchanteurs redoutez le prestige; Bientôt votre talent y tiendra du prodige. N'entends-je point déjà de nos illustres fous L'essain tumultueux frémir autour de vous, Bourdonner en chorus, elle est, ma foi, divine, Et du théatre enfin vous nommer l'héroïne? Craignez ces vains transports qu'inspirent vos attraits. La vérité conseille, et ne vante jamais. Faites-vous, imitant nos célebres actrices, Admirer sur la scene, et non dans les coulisses. Exercez votre goût, don tardif et brillant; Il ajoute à l'esprit, et guide le talent. Comme une tendre fleur, il languit sans culture, S'augmente par l'étude, et vit par la lecture. | |
| | | | Claude-Joseph Dorat (1734-1780) CHANT I LA TRAGEDIE | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|