LETTRE XL.
de la marquise, à son amie.
qu'ai-je fait! Qu'est-ce que l'absence de
quelques jours contre une impression chere et
vainement combattue? Est-ce qu'on fuit son
amant? On le trouve par-tout, et son image
est aussi dangereuse que sa présence.
Mon amie, je lis ses lettres, je me rapelle
tout ce qu'il m'a dit; je prononce en tremblant
son nom... mais si bas qu'on ne peut m'entendre.
Je ne le prononce qu'avec un trouble
qui seroit apperçu. Que ce lieu est séduisant!
Que la nature y est fraîche et animée! Eh bien,
malgré tous les charmes que j'y trouve, mon
coeur revole vers Paris; tout me manque, et
je ne sais trop ce que je desire. Je suis bien
heureuse que le comte ne connoisse point le
maréchal... ce séjour embelli par mon amant,
seroit trop à craindre pour moi. Pourrai-je,
hélas! Lui résister toujours? Je frémis de ce qui
se passe dans mon coeur. Que mon sentiment
est tyrannique! Quelle puissance il exerce sur
mon ame! Avec quelle force il la maîtrise! Je
cherche en vain le repos: la retraite nourrit
mon agitation, le sommeil l'augmente. Mon
amie, ma tendre amie, je ressens une langueur,
un ennui de tout... une inquiétude qui m'alarme.
Quels sont donc ces élans secrets vers
un bonheur qu'on redoute, et qu'on expie d'avance
par les pleurs qui le précedent? Je me
sauve dans votre sein pour y rougir de cet
aveu: je trouverai grace devant l'amitié!...
quelles lettres il m'écrit, et combien les
miennes m'embarrassent! Je les recommence
dix fois, j'en suis toujours mécontente. La
crainte de me trahir, celle de l'affliger, tout me
désespere, tout jusqu'à l'excès de son amour;
et je me sens bien foible, hélas! Quand je pense
que peut-être il est malheureux.