LETTRE XLI.
de Madame De Syrcé, au comte De Mirbelle.
je ne m'arrêterai point, monsieur, sur les motifs
de mon départ; je ne sens pas la nécessité
de vous en instruire. Je vous répete ce que je
vous ai déjà dit; j'avois un desir de repos qui
me tourmentoit depuis quelques jours...
chacun sait ses besoins. Vos lettres au reste
m'occupent bien agréablement, à l'amour près,
que je n'ai garde d'approuver; je les lis avec
plaisir, et ce plaisir du moins n'est point mêlé
d'effroi: ici tout me plaît, rien ne me fait peur.
Je jouis de la plus grande liberté. Le maréchal
a été bien-aise de me voir: il n'a chez lui que
quelques hommes qui lui viennent des campagnes
voisines, et la duchesse De.
Malgré son asthme qui la rend la plus aigre
personne du monde, elle me contrarie toute la
journée avec ce qui lui reste de respiration; elle
fait toujours l'éloge des femmes de son tems,
et cet éloge est une satyre amere de celles du
nôtre: mais je suis douce, trop peut-être...
je la laisse dire, je joue le soir à la comete, elle
y est d'un bonheur inoui, je ne gagne jamais,
et cette attention la désarme; elle me trouve
délicieuse... à la comete.
J'habite le plus beau lieu du monde. La peinture
qu'on en feroit auroit l'air d'une féerie.
Tantôt c'est la nature parée de la main des hommes,
et embellie des richesses de l'art; tantôt
c'est cette même nature abandonnée à ses caprices.
Les eaux, comme dans la plupart de nos
parcs, n'y sont point enchaînées dans des bassins
étroits; c'est une riviere qui traverse les
jardins, et sur laquelle des gondoles nous promenent.
J'oubliois un labyrinthe presque magique;
il faut ma prudence pour ne pas s'y égarer.
Toutes les fleurs du printems sont là, et
tous les oiseaux qui chantent bien s'y rassemblent.
Les routes en sont bordées d'un double
rang de rocailles, où serpente une eau vive sur
un sable coloré. Les statues n'y représentent
que des fictions; car ce sont des femmes qui
cedent, et je n'aime point cela. On consacre
nos foiblesses; où sont les monumens érigés à
nos vertus? C'est le tort des hommes, non le
nôtre. Où en étois-je? Je n'en sais rien...
Dieu me préserve de mettre de l'ordre dans ce
que j'écris! Je me dépêche d'arriver à la grotte
charmante qui termine le labyrinthe. Quand
on y est, il semble qu'on soit séparé de l'univers;
on y marche sur les roses, et on en est
couronné. J'y vais souvent, sur-tout quand le
soleil se couche. L'attrait y mene, l'enchantement
y retient; on y rêve... à ce qu'on veut.
à propos de rêves, il faut que je vous raconte
celui que j'ai fait cette nuit; je l'attribue aux
idées volatiles qui m'occupent le jour. Je rêvois
donc que j'étois dans un bosquet sombre; j'y
pensois à bien des choses, j'y faisois des réflexions;
elles m'amenerent à souhaiter un silphe...
mais un vrai silphe. Soudain il m'en
apparut un: il sortoit d'un nuage d'or, il avoit
un vêtement bleu céleste, et une figure... que
je n'ai point oubliée. Ses regards étoient pleins
de tendresse, et non d'une ardeur inquiétante;
le son de sa voix pénétroit jusqu'au coeur; il ne
demandoit rien, il ne vouloit qu'aimer. Il commençoit
à m'entretenir des moeurs des silphes,
de la pureté de leurs feux, je crois même qu'il
me disoit du mal des hommes; je l'écoutois,
j'avois du plaisir à l'entendre... quand une de
mes femmes vint m'éveiller. Adieu mon silphe,
et vraiment je le regrette.
Ps. Vous me demandez le tems de mon
retour à Paris. Je ne le sais pas moi-même...
j'attends que vous ayez de la raison.