PARTIE I LETTRE LX
du chevalier, à Madame De Senanges.
oui, oui, l' amour est un dieu ; je n' ai qu' à
vous regarder pour le croire, et m' interroger
pour le sentir. Quoi, cette inquiétude, ce premier
avertissement de l' ame, ces émotions, ce
trouble que vous peignez avec des couleurs si
vraies, je suis le premier, je suis le seul qui les
aie fait naître en vous ! ... je jette des regards
de dédain sur tout ce qui m' environne, et je
sens, pour la premiere fois, que l' orgueil peut
être un plaisir. Je n' ai plus d' inquiétude, je n' en
eus jamais. Je connois, je respecte votre vertu ;
ce qui séduit tant de femmes, ce qui les éblouit,
les mouvemens de vanité qu' elles prennent si
souvent pour de l' amour, ne pouvoient agir
sur vous ; vous n' êtes point susceptible de ces
prestiges qui fascinent la raison, étourdissent sur
les risques, et nuisent presque toujours, sans
intéresser jamais ; c' est un coeur qu' il falloit au
vôtre. L' amant honnête et sensible que vous avez
daigné choisir, veut se croire supérieur à tout,
puisque vous l' avez préféré.