Sur le pont d'Avignon
Sur le pont d'Avignon tout le monde y passe:
Choses, bêtes et gens.
Beaux et Belles, bras dessus, bras dessous.
Ah! je vous reconnais, Suzanne folle et fantastique, et
vous Élise aux cheveux blonds, Henriette, déjà menée par le
grand amour, Rose avec ton masque si pâle, Alice, rieuse et
taquine, etc. Elles sont vêtues de soie et de velours. Sur leur
tête un parasol minuscule nargue le soleil. Elles susurrent
plus qu'elles ne parlent: c'est un gazouillis de mots qui
sonnent comme l'eau sur des roches. Elles rient follement.
Bébé Rose se promène, culotte percée aux fesses. Elles rient,
car elles viennent d'apercevoir la chemise qui en sort. Et les
jeunes gens les pressent contre leur corps. On entend un bruit
de jupons, de robes et de pantalons qui craquent. On crie! On
chante! Le dieu Amour les conduit à la danse.
Ah! ce qu'on s'est amusé sur le pont d'Avignon!
Et puis, il y a mon coeur, éclatant dans sa prison de chair,
qui un jour y passa.
Dans l'eau dorée, le pont se mire. Poissons d'or et
poissons gris sont comme chez eux sur ce pont renversé dans
les vagues. L'eau murmure, jette son écume sur le sable de la
rive.
Terre, ciel et flots: éternel poème!
Sur le pont d'Avignon, tout le monde y passe.
Mais hélas! il y a tous ceux qui y passèrent et qui ne
reviendront plus.
Mon coeur, quand tu repasseras sur ce pont d'Avignon, tu
ne seras plus fol comme hier. Tu seras triste, mon coeur, à
cause de ceux-là qui, sur les ponts de la terre, ne passeront
jamais plus.