V'là l'bon vent
V'là l'bon vent, et caressant aussi.
Ma mie m'appelle, mais irai-je? Non, je resterai là, sur le
bord de la route; je rêverai que je suis près d'elle et que je
vais ouvrir les bras pour qu'elle s'y réfugie.
...Je n'irai pas. Tant de fois j'y suis allé, et mon coeur
autant que mes sens furent déçus. Ah je mourrai d'envie de
courir vers elle, mais peut-être ne toucherais-je qu'un front
glacé, des lèvres sans accent. Quel accueil me ferait-elle? Il
serait moins frais qu'aux premiers jours, moins enivrant. Ses
yeux, déjà contemplés avec ferveur, me renverraient une
image fatiguée par la connaissance de la caresse, de m'avoir
souri et qui sait? aimé vraiment.
Je suis dans l'ombre et j'attends; je guette l'heure.
...Vos pas tremblent dans l'obscurité: vous me cherchez
en me fuyant! Et moi, je suis là, exalté par mon mal, frayant
un passage à travers les arbres avec des mains ivres, et cette
folie des sens qui court, ainsi qu'un poison, le long de mes
veines.
Le soir cache, aux yeux de tous, mon trouble, cette grande
espérance qui brûle ma tête et me fait presque défaillir sous
ces arbres où je presse votre image diminuée, idéale.
V'là le bon vent. Le joli vent évente un front rongé de
fièvre; sa caresse, c'est une présence aérienne dont en partie
mon rêve est fait. Le joli vent entre dans ma narine
frémissante.
Je poursuis une course affolante et vaine, mais soudain,
dans l'ombre complice, c'est un corps sur lequel se
promènent mes doigts.