LE LIVRE DE PIERRE
31 décembre 188...
Net mezzo del cammin di nostra vita...
Au milieu du chemin de la vie...
Ce vers, par lequel Dante commence la première cantate de La Divine Comédie, me
vient à la pensée, ce soir, pour la centième fois peut-être. Mais c'est la première fois
qu'il me touche.
Avec quel intérêt je le repasse en esprit, et comme je le trouve sérieux et plein! C'est
qu'à ce coup j'en puis faire l'application à moi-même. Je suis, à mon tour, au point où fut
Dante quand le vieux soleil marqua la première année du XIVe siècle. Je suis au milieu
du chemin de la vie, à supposer ce chemin égal pour tous et menant à la vieillesse.
Mon Dieu! je savais, il y a vingt ans, qu'il faudrait en arriver là : je le savais, mais je ne le
sentais pas. Je me souciais alors du milieu du chemin de la vie comme de la route de
Chicago. Maintenant que j'ai gravi la côte, je retourne la tête pour embrasser d'un regard
tout l'espace que j'ai traversé si vite, et le vers du poète florentin me remplit d'une telle
rêverie, que je passerais volontiers la nuit devant mon feu à soulever des fantômes. Les
morts sont si légers, hélas !