IV
«Quand au sommet d'un mont stérile,
«Le royal habitant des airs,
«Loin des sentiers de l'univers
«A su se choisir un asile,
«Ce n'est pas que des aquilons
«Le cortége ait pour lui des charmes;
«Mais il ressent moins d'alarmes
«Pour l'avenir de ses aiglons.
«Tel, de l'heureuse Normandie
«Quittant la rive en soupirant,
«Aux bords lointains du Saint-Laurent
«Champlain fonde une autre patrie.
«Ce n'est pas l'exil de la cour
«Qui le pousse vers cette plage;
«Non, son coeur y voit l'héritage
«Des Français qui viendront un jour!
«Ainsi commença l'épopée
«Qu'au prix de son sang généreux
«La France grava dans ces lieux
«Avec la hache, avec l'épée;
«Ce fut une oeuvre de géant!
«Qui nous rendra nos jours de gloire?
«Pourquoi faut-il que la victoire
«Nous ait trahis au dernier chant!
«D'Israël le bras tutélaire
«Succombe aux coups de Dalila;
«Montcalm que, seul, Wolfe égala,
«Cède à la fortune arbitraire!
«Mourons! pour la dernière fois
«Sur nos drapeaux a lui l'aurore.
«Vivons! si Dieu nous laisse encore
«L'honneur, notre langue et nos lois!
«Dépôt sacré, pour ta défense,
«Nos fils, quand nous ne serons plus,
«S'armeront de mâles vertus,
«Seuls dons que nous laisse la France!
«Mais si par le sort envieux
«Leur âme, aux faux dieux asservie,
«Sur leurs autels te sacrifie,
« Viens, viens nous retrouver aux cieux!»
Vos voeux s'accompliront: dormez, ombres chéries,
Dormez; nous le jurons par l'immortel Cartier!
Ce dépôt illustré par vos mains aguerries,
Gardé par notre amour depuis un siècle entier,
Cet auguste héritage, aujourd'hui que nous sommes,
Éprouvés par la lutte, un demi-million d'hommes,
Qui songe à le sacrifier?
Le trahir? nous! comment? par peur? comme le lâche
Tout couvert de mépris justement prodigué!
Comme le serf obscur qui, courbé sur sa tâche,
Se plie au joug honteux de père en fils légué!
Par un sordide espoir? comme le mercenaire
Qui livrerait son Dieu pour un hideux salaire!
Mais nous étions à Châteauguay!
Nous n'étions que trois cents à notre Thermopyle:
Pour défendre nos droits, nous serions trois cent mille
Invoquant la foi des traités;
Et votre sang soudain, s'allumant dans nos veines,
Déroberait encore au Parques inhumaines
Nos immuables libertés!
Tels, des nochers rivaux que la discorde anime,
Unissent leurs efforts pour soustraire à l'abîme
Les débris de leur seul vaisseau:
Les torts sont oubliés, le péril les efface;
De leurs divisions s'évanouit la trace,
Comme celle des vents sur l'eau.