Lucette
Comme au bain Suzanne la Juive,
Lucette, la perle des champs,
Au cristal d'une source vive
Mirait ses deux petits pieds blancs
Dont la belle était un peu vaine,
Ce que l'on pardonne sans peine
À toute fille de quinze ans.
Tandisque dans l'onde elle admire
L'essaim de ses jeunes attraits,
En ces termes sa voix soupire
Et ses désirs et ses regrets.
«-Au lieu de passer ma jeunesse
«Dans la gêne et l'obscurité,
«Si j'allais vivre à la cité,
«Et le bonheur et la richesse
«Seraient le prix de ma beauté.
«Si le sort me faisait duchesse!
«Oh! comble de félicité!»
Un bon vieillard qui d'aventure
De la source suivait le cours,
À notre duchesse future
En souriant tint ce discours:
«-Voyez-vous là-bas ce nuage
«Qui vole sur l'aile du vent,
«De vos beaux rêves c'est l'image;
«Fuyez l'empire décevant
«De leur trop dangereux mirage
«-Que Dieu vous garde, mon enfant!
«Non, ce n'est pas au sein des villes,
«Ivres de passions futiles,
«Qu'il vous faut chercher le bonheur;
«Mais il sourit à l'âme pure
«Dans le calme de la nature,
«Ce grand oeuvre du Créateur;
«Dans le cri de l'oiseau timide,
«Caché sous le feuillage humide,
«Gazouillant son refrain d'amour;
«Dans le murmure de Zéphire,
«Qui résonne comme une lyre
«À l'heure où s'annonce le jour.
«C'est de la cloche du village
«L'appel doux et mystérieux
«Que la brise apporte au rivage,
«Et qui remonte vers les cieux!»
«- Vieillard», dit Lucette en colère,
«De vos avis je n'ai que faire
«Passez, passez votre chemin.
«Vos plaisirs sont ceux d'un ermite;
«À d'autres plus gais tout m'invite
«Je n'entends pas votre latin.»
Jeune fille aux lèvres de rose,
Compagne des jeux et des ris,
Pourquoi faut-il qu'un sage avis
Pour vous souvent soit lettre close?