Épître
À mademoiselle Anna***
Cédant à l'aimable prière
D'un ami, le vôtre et le mien,
Ma muse badine et légère,
Comme à la reine de Cythère
Dont on aime le doux lien,
Vous offre les sons de sa lyre.
Mais que dis-je? ce beau délire,
Ce n'est pas la voix de l'ami,
C'est le dieu d'amour qui l'inspire;
Cru mort, il n'était qu'endormi.
Je ne sais si c'est un mensonge,
Toujours est-il qu'à son réveil,
L'espiègle m'a conté ce songe
Qui l'a charmé dans son sommeil.
«Sur un lit de fleurs et de mousse
«Je reposais,» dit-il, « un soir
«Je cru entendre une voix douce
«M'appeler, et je vis s'asseoir
«À mes côtés une Sylphide
«Au front si pur! à l'air candide,
«Au teint de lis, au grand oeil noir,
«L'ébène de sa chevelure
«En bandeaux formait sa coiffure,
«Et lorsqu'un sourire enchanteur
«Entrouvrit ses lèvres divines,
«Un double rang de perles fines,
«Me fit tressaillir de bonheur!
«Son cou d'ivoire, sa main blanche,
«Son pied mignon, sa mine franche,
«Sa taille aux contours arrondis,
«Sa grâce à la fois vive et tendre,
«Son geste que nul ne peut rendre
«Frappèrent mes regards surpris.
«Le succès me riant d'avance,
«Dans mon ivresse je m'élance
«Je veux lui ravir un baiser
«Mais déjà la belle inhumaine
«Sans se soucier de ma peine,
«S'enfuit comme un songe léger.»
Il dit, en séchant quelques larmes,
Le coquin brandissant ses armes,
Vers les nuages s'éleva
«Arrête,» lui dis je, « et révèle
«Au moins le nom de cette belle»
«Son nom,» cria-t-il, « c'est Anna!»
Depuis ce moment, je supplie
Tous les devins des alentours
De m'expliquer cette folie
Du dieu qui préside aux amours,
Et bannit la mélancolie.
Suivant eux, cette fiction
Peint parmi nous votre passage,
Si court, qu'il suggère l'image
D'une charmante illusion.