La maison de Clotilde
9 juin 1906
A Clotilde PESTEL.
Dans une rue en pente et combien mal pavée
Se trouve une maison très en alignement
Qui passe aux yeux de tous ordinaire ignorée
Dont le style est pour moi aux autres, différent.
Elle s'élève haut et compte deux étages
Le premier composé de trois appartements
Pourrait au préalable abriter deux ménages
Mais entendons-nous bien sans compter les enfants.
Par un autre escalier on monte à la mansarde
Qui sert présentement de séchoir de grenier
Un chat tout ronronnant semble monter la garde
Et défendre les rats et les souris d'entrer.
Mais il me faut décrire et le rez de chaussée
Et l'arrière cuisine et le petit jardin
Où poussent aux saisons chaque fleur préférée
La rose parfumée ainsi que le jasmin.
Maintenant revenons à l'étrange façade
Qui du passant rêveur attire le regard
Une vigne courante et coupée en arcade
Donne à chaque fenêtre un baiser de son art.
D'un regard attristé elle embrasse l'église
Qui des appartements est le seul vis à vis
Elle a pour horizon les murs de pierre grise
Et le portail obscur aux fragiles lambris.
C'est dans cette maison modeste et solitaire
Que Clotilde à vingt ans voit s'écouler les jours
Dans ce temple sacré où se plaît sa chimère
Que son coeur a conçu ces premières amours.
Dans sa chambre isolée et simplement coquette
Aucune vanité pour singer les grandeurs
Pour tout ameublement un lit une tablette
Une chaise un tapis sur la table des fleurs.
Comme à cet inventaire on devine la femme
Qui dans tous les détails de la futilité
Concentre un peu de soi un rayon de son âme
Et chante la grandeur dans la simplicité.
C'est là que dans la nuit elle a dit sa souffrance
Quand dans son coeur meurtri l'espérance tremblait
C'est là que dans la l'ombre et le silence
En pleurant son passé elle se consolait.
Maintenant la maison semble plus souriante
La vigne pousse encor et mûrit ses raisins
L'Eglise à son regard se fait moins effrayante
Et le portail obscur a caché ses chagrins.
La chambre où s'abritaient tant de rêves moroses
A Clotilde sourit en ces jours bienheureux
Les fleurs qu'elle respire ont le parfum des roses
Et les pleurs sont taris dans l'azur de ses yeux.
Pourquoi ces changements cette métamorphose
Dans ces murs assombris au temps de la douleur
C'est l'oeuvre de l'amour et c'est l'apothéose
Qui brille éblouissante au fond de notre coeur.
Je reverrai toujours cette étrange façade
Qui du passant rêveur attire le regard
Je reverrai toujours cette vigne en arcade
Qui donne à la maison un baiser de son art.
Voyageur quand tu passeras dans cette rue en pente et mal pavée regardes la
maison de Clotilde et si tu as dans le coeur de la sensibilité tu sentiras comme
une tristesse heureuse monter à tes yeux ; tu pleureras de joie comme je l'ai
fait en voyant cette maison dans sa simplicité.
Honoré HARMAND