Le temps
21 septembre 1906
Craignez heureux mortels la trop douce caresse
Du fantôme qui passe et qu'on nomme le Temps
Le front qui l'a touché, la lèvre qui le presse
D'une étreinte cruelle embrassent leurs tourments
On l'aime, autour de lui, on se heurte on s'empresse
Les baisers qu'il prodigue ont des frissons troublants
Que restera-t-il donc d'une si grande ivresse
Quand la Mort comptera le nombre de nos ans
Rien qu'un regret perdu dans la nuit des chimères
Rien que le bruit confus de nos vaines colères
Qu'étouffera bientôt le baiser du Trépas
Ainsi tout passe et meurt dans nos affreux dédales
Qui cachent à nos yeux leurs ombres sépulcrales
Le Temps heurte à la Mort, mais ne l'embrasse pas.
C'est ainsi que nous demandons au Temps d'accélérer sa course, de nous conduire
à ce que nous nous sommes proposés d'atteindre mais les jours passent rapides
bons ou mauvais mais tous entraînés par un même courant vers un même but. Les
années s'écoulent longues dans leur masse mais combien courtes quand on les
compte divisées par les mois. Nous arrivons insensiblement au terme du voyage
n'ayant jamais eu la plénitude achevée, complète du plus petit de nos désirs. Le
Temps tue l'homme et la Mort reçoit son agonie.
Honoré HARMAND