Trop Belle
8 mai 1907
Elle avait des yeux d'un bleu pur
De la couleur d'un ciel d'azur
Une taille fine, élégante
Elle avait un costume noir
Un regard plein de désespoir
Une mine pâle et souffrante
Elle avait un pied si mutin
Qu'il eût tenu dans une main
Une marche lente et lascive
Un corps fait pour la volupté
Et plus d'un coeur était troublé
Devant son ombre fugitive
Elle avait dans un magasin
L'emploi modeste de trottin
Mais elle aimait trop la toilette
Autour d'elle dans l'atelier
On craignait de la voir tourner
Comme une vulgaire grisette
Un soir son coeur grisé d'amour
Du bien et du mal tour à tour
Envisagea toutes les phases
Mais le Dieu malin à l'excès
A ses yeux jaloux de succès
Fît briller ses folles extases
Elle écouta des séducteurs
Les mots doux, troublants et menteurs
Et son âme se livra toute
Elle abandonna le foyer
Où sa mère sût la choyer
Et partit sur la grande route
Au bras d'un jeune homme élégant
Le trottin passe maintenant
Ses yeux bleus ne sont plus moroses
Elle fréquente les cafés
Où les ravissantes beautés
Se fanent ainsi que les roses
Quand elle passe près de moi
Mon coeur tremble comme en émoi
Et ma pauvre raison chancelle
Mais je ne saurais la blâmer
Je n'ai le droit que d'accuser
Le destin qui la fît trop belle
Honoré HARMAND