Le quatroze-juillet
C'était le Quatorze juillet;
Le peuple, qui se réveillait
En transe,
Chassa les rois épouvantés
Et proclama tes libertés,
Ô France!
Depuis, sans jamais te lasser,
Sur le monde on te vit passer
Sereine,
Semant tous les progrès divers,
Et rayonnant sur l'univers,
Ô Reine !
À toi nos voeux les plus touchants,
Ô nation digne des chants
D'Homère!
Dans le deuil comme aux jours vainqueurs,
A toi tout l'amour de nos coeurs,
Ô Mère!
O Quatorze-Juillet! ô sublime réveil!
Les peuples affranchis acclament ton soleil
Dont la chaleur partout pénètre...
Soleil qui dissipa tant de brouillards épais :
Soleil de liberté, de justice et de paix;
Aurore des soleils à naître!
Quand brillèrent au ciel ses éclats fulgurants,
Comme à Sodome, on vit des antiques tyrans
Fondre les vieux donjons de pierre;
On vit surgir au jour tous les droits enfouis;
Et devant ses rayons, farouches, éblouis,
Dix siècles baisser la paupière!
Les hydres de la nuit, les larves du passé,
Cachots suintants et noirs, horribles in pace
Voués à d'horribles usages,
Tenailles, chevalets, formidables verrous,
Chaînes, haches, billots, lourds registres d'écrous,
Sombres attirails des vieux âges;
Massifs créneaux, murs sourds et muet souterrain,
Ais de chêne roulant sur triples gonds d'airain,
Coins obscurs où la mort fermente,
Seuils où l'on dit au jour un éternel adieu,
Tout, sous le bras du peuple et le souffle de Dieu,
Fut balayé dans la tourmente!
L'Ange de l'avenir avait choisi les siens.
La Bastille tomba comme les dieux anciens
Devant l'apôtre de Solyme;
Et, dans l'effondrement, le tumulte et les cris,
On vit l'humanité debout sur les débris,
Dans un embrassement sublime.
Un immense hosanna s'éleva dans les airs,
Et d'échos en échos alla jusqu'aux déserts
Annoncer qu'au beau ciel de France,
Effroi du despotisme à jamais confondu,
Brillait cet arc-en-ciel si longtemps attendu :
L'arc-en-ciel de la délivrance.
* * *
Ô Paris, grand semeur de l'immortel sillon!
Ô France, noble nef dont le fier pavillon
Vole sans cesse à la conquête
Des mondes inconnus perdus dans l'avenir,
Ce jour entre tous cher à votre souvenir,
Vous l'avez pris pour votre fête!
France, ce que tu fais, tu le fais toujours grand.
Vers les plus hauts sentiers, toujours au premier rang,
Tu prends le monde pour domaine;
Et s'il faut une fête à ta virilité,
C'est la fête du Peuple et de la Liberté,
La fête de la race humaine !
Ah! si partout où luit l'éclat de tes bienfaits,
Où l'on bénit ton nom, où l'on sent les effets
- Aux palais ou dans les chaumières -
De tout ce que tu fis pour notre humanité;
En tous lieux où quelqu'un vit libre, racheté
Par ton sang ou par tes lumières;
En tous lieux où ton nom brisa quelque lien,
Où ton ardent esprit a semé quelque bien,
Comme soldat ou comme apôtre,
Noble bilan d'honneur, tout devait se compter,
On verrait aujourd'hui tes étendards flotter,
France, d'un bout du monde à l'autre!
Mais qu'importe à ton coeur, la tourbe des ingrats,
Si l'on trouve toujours ton génie et ton bras
Au service des saintes causes!
Laisse dans l'univers chacun suivre sa loi;
Laisse mordre ou ramper; ta mission, à toi!
C'est d'accomplir de grandes choses!
Et vous, ses ennemis toujours prêts à sévir,
Si vous avez jamais rêvé de l'asservir,
Vous ne savez ce que vous faites;
Malgré tous vos efforts, vous la verrez toujours
Vous dominer d'en haut, grande dans ses beaux jours,
Plus grande encor dans ses défaites!
La France est au-dessus de vos lazzi moqueurs!
Un poète l'a dit : - Vous vous croirez vainqueurs;
Vous croirez l'avoir poignardée;
Au droit substituant la torche et le canon,
Vous vous direz : - Enfin, la France est morte! - Non!
Elle vous vaincra par l'idée!
Elle entrera chez vous - non pas par trahisons -
Mais pour briser les fers et rouvrir les prisons.
Versant du miel dans votre absinthe,
Le pardon sur la lèvre et le livre à la main,
Frères, vous la verrez passer par le chemin
Prêchant la fraternité sainte.
* * *
Et vous serez vaincus! - Mais ses enfants, mais nous,
Nous ses fils éloignés qui l'aimons à genoux,
A quoi devons-nous nous attendre?
À nous les méconnus, à nous les oubliés,
La France tend au loin ses bras hospitaliers;
Disons-lui donc d'une voix tendre :
- O France, ô notre mère adorée à jamais!
Amour à toi qui fis luire à tous les sommets
La grande liberté chrétienne!
Ta gloire rejaillit sur nous, car - Dieu merci! -
Le Quatorze-Juillet, c'est notre fête aussi,
O France, puisque c'est la tienne!
Mère, va ton chemin! Dieu, l'auteur du progrès,
Du haut du ciel profond sourit quand tu parais
Pour dénouer quelque servage;
Oui, Dieu sourit là-haut, car ils ont blasphémé,
Ceux qui jamais ont dit que son Fils bien-aimé,
Jésus bénissait l'esclavage!
Qui donc, parmi tous ceux que tu nommes tes fils,
Pourraient, lançant au ciel leurs aveugles défis,
Entraver ta marche féconde?
Quels guides imprudents pourraient te dévoyer,
Astre générateur, dont le puissant foyer
Verse tant d'éclat sur le monde?
Non, non! tu dois toujours l'exemple aux nations!
Après avoir vaincu toutes les factions,
A tout injuste joug rebelle,
Qu'il monte de la plèbe ou descende des rois,
Tu sauras marcher, libre et chrétienne à la fois,
Dans la carrière où Dieu t'appelle!
Avec toi le passé s'écroule,
Sublime Quatorze-Juillet,
Avant ton aurore, la foule
Dans l'abjection sommeillait.
Tu parais, et soudain la France
Donne à la pauvre humanité
Ce gage de sa délivrance :
L'Égalité!
Ô date d'immortels présages,
Avant toi que de maux soufferts!
Les peuples allaient par les âges
Traînant leur opprobre et leurs fers.
Tu brillas, et, brisant ses chaînes,
L'homme vit luire en sa fierté,
Au reflet des aubes prochaines,
La Liberté!
C'est toi, France, mère féconde
Qu'on ne saurait assez bénir,
Qui souffles ainsi sur le monde
Les effluves de l'avenir.
Quelle nation s'y dérobe,
Quand ta suprême autorité
Crie à tous les enfants du globe :
Fraternité !
Fraternité, divine flamme
Égalité, source du droit!
Ô Liberté, toi que proclame
Toute âme qui pense et qui croit!
Aux plis du drapeau tricolore,
Ô sainte et grande trinité!
Gloire au jour où vous vit éclore
L'humanité!