II
France, recueille-toi! France, l'heure est sacrée!
L'humanité n'est plus la lourde barque ancrée
Où les marins, croyant leurs labeurs achevés,
S'endormaient au soleil ou chantaient aux étoiles:
Désormais le vaisseau navigue à pleines voiles
Vers les grands horizons rêvés.
Timorés, faites place! en arrière les lâches!
Voici pour les vaillants le jour des fières tâches.
Le dix-neuvième siècle est un vaste tournant
Où, presque épouvantés des étapes franchies,
Les peuples voient, au front des aubes rafraîchies,
Poindre l'avenir rayonnant.
Oui, tout droit devant nous l'astre promis flamboie;
Jusqu'au fond du chenil où la routine aboie
Vont luire ses rayons si longtemps attendus.
Mais, hélas! face à face avec d'autres problèmes,
Que d'hommes vont encor, groupes mornes et blêmes,
S'entre-regarder éperdus !
Comme pour transformer il faut souvent dissoudre,
Le nouvel avatar aura des coups de foudre,
Des chocs inattendus; et, spectacle inouï,
Peut-être verra-t-on les nations sans nombre,
Qui se heurtaient naguère en trébuchant dans l'ombre,
Tâtonner le front ébloui.
Qui sera le sauveur? quel bras puissant et libre,
De l'immense bascule assurant l'équilibre,
Saura maintenir l'ordre en ce fatal milieu?
Quel timonier serein guidera le navire?
Quelle main forcera l'Europe qui chavire
À servir les desseins de Dieu?
Ô France, c'est à toi qu'incombe ce grand rôle.
Ton nom a résonné de l'un à l'autre pôle;
Sous tous les cieux connus tes généreux enfants.
Fondant et délivrant par la croix ou l'épée,
Glorieux précurseurs d'une ère émancipée,
Se sont promenés triomphants.
Tes hauts faits ont rempli les annales humaines;
Des sciences, des arts les plus secrets domaines
À tes hardis chercheurs n'ont plus rien à céler;
Et si ton coeur palpite, et si ton front remue,
Troublée en son ennui, notre planète émue
Croit sentir son axe osciller.
Oui, ton passé fut beau; superbe est ton histoire;
Bien des siècles verront de ton ancienne gloire
Le socle à l'horizon du monde se dresser;
Tes fils ont éclipsé tous les héros d'Homère...
Mais tout cela n'est rien; c'est maintenant, ô mère!
Que ta tâche va commencer.
Tu seras - et c'est Dieu lui-même qui t'y pousse -
La pacificatrice irrésistible et douce.
Tu prendras par la main la pauvre humanité
Trop longtemps asservie à la haine ou la crainte,
Et tu la sauveras par la concorde sainte,
Par la sainte fraternité!
Aux sentiers belliqueux tu sus battre la marche,
France; sois maintenant la colombe de l'arche,
Porte à tous l'olivier, c'est là ta mission;
Calme, guéris, cimente, harmonise, illumine;
Et par un sceau d'amour scelle l'oeuvre divine
De la civilisation!