III
Elle s'est arrêtée au pied d'un vaste chêne.
Son regard est sanglant; ses longs cheveux d'ébène
Couvrent presque en entier son large manteau gris.
Elle parle soudain, et sa voix monotone
Semble le grincement de la bise d'automne
Dans les vieux ormes rabougris:
« Ô lac qui, sous mes pieds, laisses dormir tes ondes!
Forêts dont j'aimai tant les retraites profondes!
Sentiers que tant de fois j'ai parcourus le soir!
Manitous qui gardez ces grèves solitaires!
Rochers silencieux! astres pleins de mystères!
Pour la dernière fois j'ai voulu vous revoir!
Vos maîtres ont passé comme l'onde qui coule,
Comme le vent des nuits qui, chaque soir roucoule
Sous les rameaux des verts sapins;
Comme un léger canot fuyant à la dérive...
Et mon oeil attristé cherche en vain sur la rive,
L'empreinte de leurs mocassins!
Ô lac! te souvient-il des jours de mon jeune âge,
Quand plaçant, au printemps, nos wigwams sur ta plage,
Nos guerriers, dans tes bois, venaient chasser le daim?
Te souvient-il encor de ces jours si paisibles
Où le vol cadencé des avirons flexibles
Emportait nos canots bondissant sur ton sein?
Te souvient-il encor de la brune Indienne
Dont la voix se mêlait, sonore, aérienne,
Aux mille murmures du soir,
Quand elle suspendait à la frêle liane
Et balançait au vent sa mouvante nâgane
Berçeau d'un guerrier à l'oeil noir?
Te souvient-il encor, quand, dans la forêt sombre,
Nos bandes poursuivaient de leurs flèches sans nombre
Les Algonquins fuyant, la rage dans le coeur;
Ou, sortant tout à coup de leurs mille embuscades,
Mêlaient leur cri de guerre au bruit de tes cascades
Et brandissaient dans l'ombre un tomahawk vengeur?
Hélas! ils ont passé comme l'onde qui coule,
Comme le vent des nuits qui chaque soir roucoule
Sous les mouvants arceaux des bois!
Et, pliés sous le joug d'une race étrangère,
Tes bords ont oublié le noble chant de guerre
Qu'ils répétèrent tant de fois!
Ah! mille fois malheur à ces Visages-Pâles
Dont les mains brandissant des foudres infernales
Ont fait de nos guerriers un ravage inouï!
Leurs victimes encore attendent la vengeance...
Puisse des assassins l'odieuse puissance
S'écrouler sous les coups du fier Areskouï!...
Puisse-t-il, dévastant leurs retraites impures,
Une torche à la main, scalper leurs chevelures,
Broyer leurs membres palpitants,
Entonner sur leurs corps l'hymne de la victoire,
Rougir ses mocassins dans leur sang et... le boire
Dans leurs crânes encor fumants!... »