V
Cependant sur le lac s'épaississent les ombres;
Le ciel voile ses feux sous des nuages sombres;
Le vent dans les grands pins a sifflé sourdement;
La cime des forêts se courbe et se relève,
Et le lac qui mugit vient balayer la grève
De son flot naguère dormant.
La tempête partout jette son cri sublime;
Le tonnerre roulant au-dessus de l'abîme,
Comme un boulet d'airain sur un dôme de fer,
Éclate et, tout à coup, d'un jet de flamme horrible,
Embrase un vieux tronc sec dont la lueur terrible
Éclaire un spectacle d'enfer!
L'Iroquoise était là, comme un sombre génie
Que l'on croit voir parfois dans les nuits d'insomnie;
Ses cheveux hérissés se tordaient sous le vent;
L'enfant paralysé sous son affreuse étreinte,
Immobile semblait l'oiseau saisi de crainte
Que fascine l'oeil du serpent.
Longtemps son oeil hagard que la démence anime
Fixe avec volupté l'innocente victime
Et savoure à longs traits sa profonde terreur;
Puis soudain, l'élevant au-dessus de sa tête,
Pousse un cri... mais en vain, la voix de la tempête
Est plus forte que sa clameur.
Ombres de ses guerriers, manitous de la plage,
Esprits, éveillez-vous; c'est vous que, dans sa rage,
Elle veut pour témoins de son acte sanglant!
Elle veut sous vos yeux finir son existence,
En vous offrant, au moins, pour dernière vengeance,
Le sang d'un jeune guerrier blanc!
Voyez-là soutenant sa victime éperdue!
Elle s'arme et la flèche un instant suspendue
En frémissant se plonge au coeur de l'innocent.
Le voile du trépas couvre son oeil limpide,
Et son âme d'enfant, bel ange au vol rapide,
Monte vers le ciel en chantant.
Puis la fureur du monstre atteint son apogée;
En un délire affreux sa rage s'est changée;
Son oeil fauve et sanglant lance un horrible éclair;
Elle pousse un éclat d'un rire sardonique,
Et danse en écumant la ronde satanique
Que dansent les damnés d'enfer!
Comme un vent tournoyant au-dessus de l'abîme,
L'Iroquoise tournait autour de sa victime
Aux lueurs du flambeau par la foudre allumé
Quand saisissant enfin la frêle créature,
Elle scalpe en hurlant sa blonde chevelure
De son poignard envenimé.
Et, se ruant encor sur la froide dépouille,
La meurtrit, la déchire, et dans sa rage fouille
Dans la blessure affreuse ouverte dans son flanc;
Puis, semblable au vautour, aux entrailles s'attache,
Lui découvre le coeur, de ses ongles l'arrache
Et... le dévore tout sanglant...