Fièvre
(Fragment)
Pourquoi, mon Dieu, pourquoi, dans mes nuits
d'insomnie,
Entendre à chaque instant cette étrange harmonie,
Vibrant comme un sarcasme et comme un glas d'enfer?
Pourquoi sentir toujours cette main de vampire
Qui pèse sur mon coeur, l'étreint et le déchire
De ses ongles de fer?
Pourquoi toujours souffrir sans relâche et sans trêve?
Pourquoi toujours trembler sous le poids de ce rêve
Qui me ronge le coeur et fait pâlir mon front?
Pourquoi sentir toujours mon cerveau qui s'allume,
Et mon sang qui bouillonne et mon crâne qui fume
Comme un volcan sans fond?
Pourquoi ce cauchemar? pourquoi ce spectre avide,
Au rire glapissant, à l'oeil morne et livide,
Qui, chaque soir, s'en vient s'asseoir à mon chevet?
Pourquoi ce râle affreux? pourquoi ce bruit de chaîne?
Faut-il vivre toujours comme un forçat qui traîne
Ses fers et son boulet?
Je ne demandais rien qu'un petit coin sur terre
Où j'aurais pu couler mes jours avec mystère,...
Ou, comme l'errant giaour,
J'aurais planté partout ma tente vagabonde,
N'enviant jamais rien aux puissants de ce monde
Qu'un peu de soleil et d'amour!
Jamais le doute affreux, jamais les froides haines,
Jamais la soif de l'or n'est venu, dans mes veines,
Infiltrer son mortel poison!
Je ne désirais rien qu'écouter en silence
Le farouche océan qui soulève et balance
Sa grande vague à l'horizon;
Rien que rêver, le soir, en suivant dans l'espace
Tous ces mondes brillants dont le cortège passe
Comme des tourbillons de feu;
En écoutant de loin les rumeurs de l'abîme,
Ou la voix des forêts dont la houle sublime
Chante les louanges de Dieu!
Un rêve! un rêve, hélas!... mais un rêve céleste...
Pourquoi m'avoir ôté, réalité funeste,
Mon rêve... mon rêve adoré?...
Adieu, mon rêve d'or!... Fatalité!... je souffre!...
Le damné qui se tord sur sa couche de soufre,
Mon Dieu! n'est pas plus torturé!