A mes amis
Sans éveiller d'écho sonore
J'ai haussé ma voix faible encore.
(Le dernier chant.) V. H.
Parce que mes mains enfantines
Jadis, imprudentes encor,
En touchant aux cordes divines
Ont fait ouïr un vague accord.
Amis, avec un doux sourire,
Vous dites: « Crains notre courroux,
« Si déjà tu suspends ta lyre;
« Garde-la, mais chante pour nous. »
Non, non, qu'elle reste muette
Je briserais ce luth sacré.
Si j'ai dit que j'étais poète,
Muse, tu m'avais enivré!
Ah ! chanter, chanter... Dieu que n'ai-je
L'ivresse du cygne un moment;
Il chante, et tout son corps de neige
Résonne sur l'eau doucement.
Ou que n'ai je, don plus céleste,
L'aile et la voix du rossignol,
Je suivrais au vallon agreste
Vos pas en chantant dans mon vol.
Oui, - barde ailé de la nature -
La nuit, dans le calme des bois
Tout pénétrés de lune pure,
Je voudrais élever la voix.
Tantôt molle, enchantant l'oreille
Comme une flûte de métal,
Ou tantôt bruyante et pareille
À des flots roulants de cristal.
Elle flotterait sur la plaine
Et les ondes et les côteaux,
Mêlée à la nocturne haleine
Des feuilles vertes et des eaux.
Et votre groupe errant dans l'ombre
Dirait: « Avançons, avançons
« Sans bruit sous le bocage sombre.
« Ah! quelle âme exhale ces sons! »
Soudain, chassant la branche inerte
Sous ses pieds, et gonflant son col
En se dressant, l'aile entr'ouverte,
Comme pour reprendre son vol,
Le noble oiseau, hors de lui-même,
Poussant jusqu'aux cieux allumés
Sa voix, chanterait ce qu'il aime:
Mes amis, ce que vous aimez.
Toi, d'abord, ô mer de feuillages,
Mer glauque aux fraîches profondeurs,
Forêt, forêt que les orages
Jettent dans de blanches fureurs.
Comme il fait beau sous tes grands arbres
Quand l'été brûle les halliers;
Tes bouleaux, aux longs fûts de marbre,
À l'aube ont l'odeur des rosiers.
Puis le lac, que rasent folâtres
Mille oiseaux, légers tourbillons;
Le lac, vaste urne aux bords bleuâtres
Tout semés d'incrustations;
Le lac peint de mirages calmes,
Que l'on va voir le long des eaux,
Le soir, en écartant les palmes
Des fougères, - ou les roseaux.
La cascade croulante écume
Que voile une pâle vapeur.
Un rayon luit, elle s'allume.
Quel prisme égale sa splendeur?
Et les fleurs sans nombre: les unes
Rougissant l'herbe des vallons;
D'autres jonchant les mares brunes,
Ou les ruisseaux, de blancs flocons;
Celles dont le feu des étoiles,
La rosée, un souffle moelleux,
Peuvent la nuit ouvrir les voiles,
Pleins alors d'un parfum mielleux.
Et la fleur que j'ai rencontrée
Dans nos monts: beau lotus changeant,
Clos, c'est une boule dorée,
Ouvert, une rose d'argent...
Ainsi, souverain virtuose,
Enivrant l'âme de chacun
De quelque merveilleuse chose:
Forme, son, couleur ou parfum.
De la nature gracieuse
Célébrant par un chant nouveau
La théorie harmonieuse,
Je vous dirais l'hymne du Beau.
Mais, pardon, pardon, ce vain rêve,
Amis, m'a fait tout oublier.
Comme une hirondelle de grève,
Ma pensée est prompte à jouer.
Ah! pourquoi dans mes doigts la lyre
Est-elle sans vibration?
Et ma lèvre, où le souffle expire,
Pourquoi ne rend-elle aucun son?
Pourquoi sur sa rive infinie
La mer, qui pourtant sent frémir
En elle une étrange harmonie,
Ne sait-elle encor que gémir?
Pourquoi l'enfant qui balbutie
Vers l'archet d'or tend-il les bras?
Sa langue à peine se délie,
Il gazouille, il ne chante pas;
Seigneur - puisque mon âme est telle -
Si quelque luth vient à vibrer,
Pourquoi se passionne-t-elle?
Et le chant me fait-il pleurer?
En vain je brise à ma pensée
Les ailes, sitôt que le vent
Soupire, la pauvre blessée
Volète et crie en s'élevant.
Elle fuit alors loin de terre,
Triste, de soleils en soleils,
Et baigne sa blessure amère
À tous ces océans vermeils.
La fière hirondelle qui pose
Son nid aux murs de nos maisons,
Est comme elle, souvent elle ose
Courir aussi dans les rayons.
On s'écrie: « O la voyageuse!
Et l'on aime à la regarder
Fendre l'air d'une aile joyeuse,
Lui demande-t-on de chanter?
Amis, je suis cette hirondelle
Qui s'est attachée à vos toits:
Voyez, je voltige, j'ai l'aile;
Mais, hélas je n'ai pas la voix.