A M.L.P.
Chacun vit de son mestier,
Peintre, chantre, sauetier,
L'escrimeur vit de sa brette,
Le forgeur de son marteau,
Le filou de son couteau,
Le ladre de sa cliquette.
Moy seul qui par les douceurs
Des melancholiques soeurs,
Peux former une peinture
De tous les objects diuers,
Qui brillent en l'uniuers,
Dans le sein de la nature.
Qui du stile le plus fort
Qu'ait jamais braué la mort,
Sur les aygles estouffées,
Ay fait reluyre vos lys,
Et chanté de vostre fils
La grandeur, et les trophées.
Apres auoir plus d'un mois
Rongé le bout de mes doigts,
Arraché de l'vranie
Plus d'espines que de fleurs,
Et conceu dans les douleurs
Les enfans de mon genie.
Enfin jarretay perdu les yeux,
Et dans mon sang bilieux,
Un chagrin melancholique,
D'auoir si bien excité;
Vostre liberalité
M'a fait deuenir étique.
En ce superbe embonpoint,
Ma fortune est en ce point
Si doucement poursuyuie,
Que si Iesus dés demain
Ne change la pierre en pain,
Je ne seray plus en vie.
Quand d'un magnifique trait
Je peignois le beau portraict
De vostre viuante image,
Prince je ne voyois pas
Que l'horreur et le trespas
Se peignoient sur mon visage.
Que ce fils de mon amour,
À qui je donnois le jour,
Plus cruel qu'une vipere,
Alors deschirer le flanc,
Et respandre tout le sang
De son miserable pere.
Vous dont le bien inconnu,
La rente, et le reuenu
Surpasse toute opulence,
Et dont le riche thresor
Enfle des montagnes d'or,
Par tous les coins de la France.
En qui la guerre, et la paix,
Ne consommeront jamais,
Tant de richesse amassée,
Laisserez-vous pour si peu,
Si proche d'un si beau feu
Ma pauure muse glacée.