PLUME DE POÉSIES
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 François-Thomas-Marie De Baculard D'Arnaud(1718-1805) ACTE 1 SCENE 9

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François-Thomas-Marie De Baculard D'Arnaud(1718-1805) ACTE 1 SCENE 9 Empty
MessageSujet: François-Thomas-Marie De Baculard D'Arnaud(1718-1805) ACTE 1 SCENE 9   François-Thomas-Marie De Baculard D'Arnaud(1718-1805) ACTE 1 SCENE 9 Icon_minitimeMar 23 Aoû - 0:23

ACTE 1 SCENE 9

La comtesse d'Orcé, Mélanie.
Mélanie s'asseyant aux côtés de la comtesse et
Serrant ses mains.

Madame.

La Comtesse D'Orcé toujours dans les sanglots,
et n'écoutant point Mélanie.
Quoi! C'est-là cette loi bienfaisante,
Cette religion douce et compatissante!
Où chercher la pitié? De qui l'attendre? ô ciel!

Mélanie.
De mon coeur. Croyez-moi, c'est aux pieds de l'autel
Que l'humanité pleure et gémit sans contrainte;
Dans l'ame de Cécile elle n'est point éteinte;

la comtesse leve la tête, s'aperçoit que Cécile
est retirée, et regarde Mélanie avec
attendrissement.

Daignez lui pardonner. Sa sombre piété
Paroît s'énorgueillir de sa sévérité;
Mais elle vous plaindra non, il n'est pas possible...
Qui pourroit vous entendre, et n'être pas sensible?

La Comtesse D'Orcé.
Je ne viens point, madame, implorer des secours,
Ni d'opprobres souiller le dernier de mes jours;
Car je sens qu'au tombeau je suis prête à descendre.
Puisse, ô dieu, ta rigueur s'arrêter à ma cendre!
Je connois les moyens de hâter ce moment,
De finir, en un mot, ma honte et mon tourment;
Mais Dieu seul, qui me frappe, a des droits sur ma vie;
Par ses coups seuls, il faut qu'elle me soit ravie.
Je dois donc m'abaisser sous le fléau vengeur;
Je dois boire à longs traits la coupe du malheur,
Pour obéir au ciel, supporter l'existence,
Faire plus, étouffer l'orgueil de ma naissance.
J'eus autrefois un rang, des biens, et des honneurs,
L'infortune a détruit tous ces songes flatteurs.
Et, qui m'a pu réduire à ce sort déplorable?...

Elle pleure.

Excusez ce désordre un trouble affreux m'accable;
Le malheur jusques-là peut-il humilier?
Je venois quel aveu! Je venois vous prier
De soutenir mes pas au bout de ma carrière...

Avec des sanglots:

De me placer enfin, pour traîner ma misère,
Au rang de domestique.

Mélanie avec des larmes.
Arrêtez vous, servir!
Non, madame à vos maux tout saura compatir;
C'est vous, qu'on servira. Je donnerois ma vie,
Pour dérober vos jours à cette ignominie.
L'amitié la tendresse on essuyera vos pleurs.
Qui ne s'attandriroit, hélas! Sur vos malheurs?

La Comtesse D'Orcé en l'embrassant.
Ah! Je vous dois déjà de la reconnaissance;
Mais, mon honneur s'oppose à votre bienfaisance;
Je saurai m'abaisser, servir enfin mourir,
Sans que mon infortune ait jamais à rougir.
Les dons, de quelque main qu'ils soient offerts, madame,
Offensent la noblesse et la fierté de l'ame.

Avec des pleurs:

J'expire et ce qui rend le trait plus assassin,
Madame, c'est un fils qui me perce le sein.

Mélanie avec un cri.
Un fils! Le monstre affreux! Et quelle ame assez dure
Peut trahir à ce point le sang et la nature?

La Comtesse D'Orcé.
Oui c'est un fils, un fils par ce sein allaité,
Madame; il fut à peine en mes bras apporté,
Qu'il réunit mes soins, mes craintes et mes caresses,
Le tendre amour de mère, et toutes ses faiblesses;
Je lui sacrifiai les plaisirs et les rangs,
Mon père, mon mari, tous mes autres enfants;
Pour un seul de ses jours je me fusse immolée,
Et mourant à ses yeux, j'eusse été consolée;
Je ne voyois, n'aimois, n'adorois que ce fils...
Ses frères, au tombeau, de mon époux suivis,
Lui laissèrent des droits qu'appuya ma tendresse;
De son seul intérêt je m'occupois sans cesse;
Que dis-je? Avec ces droits je cédai tous les miens,
Et maître de mon coeur, il le fut de mes biens.
Mes moindres revenus, tout devint son partage,
Tout; je ne demandois que l'unique avantage
De vivre près de lui, près de lui de mourir,
Et que ce fils si cher eut mon dernier soupir.
Les penchants trop marqués d'une ame corrompue
Sous des traits embellis se montroient à ma vue;
Envain tout m'éclairoit; j'aimois à m'abuser;
Tant l'amour maternel sait nous en imposer!
Je n'appercevois pas dans ma folle tendresse,
Que ce fils égaroit sa coupable jeunesse,
Qu'aux plus honteux excès de la perversité
Il joignoit l'avarice et l'inhumanité...
Qu'il étoit un ingrat. Enfin il se marie;
Une femme souvent, dans une ame endurcie,
Porte cette douceur, cet attendrissement,
Principe des vertus, source du sentiment;
Son épouse, au contraire encore plus inhumaine,
Échauffa contre moi les poisons de sa haine;
Ce fils, sur qui j'avois épuisé mes bontés,
M'accabla de mépris, d'horribles duretés,
Unit l'insulte amère au plus cruel outrage,
Des pleurs qu'il fit couler, détourne son visage...

En pleurant:

Il me chasse, quel mot! De ce même château,
Séjour de mes ayeux, notre commun berceau;
J'embrasse ses génoux; éplorée et mourante
Je m'écrie; " ô mon fils! Une mère expirante,
Une mère à vos pieds n'implore qu'un bienfait;
Seul prix de cet amour, qui pour vous a tout fait;
Le trépas va bientôt terminer mes misères;
Que je meure du moins dans le lit de mes pères! "
Il ne m'écoute pas; " vous, qu'a nourri mon sein,
Vous voulez donc, mon fils que j'expire de faim!
Je vous ai donné tout, en proye à l'amertume,
Je n'ai gardé qu'un coeur que le chagrin consume.
Vous aurez des enfants; je devrois souhaiter...
Ah! Puissent-ils, cruel, ne vous pas imiter! "
Sa femme, en ce moment, plus barbare peut-être,
Me force de quitter les lieux qui m'ont vu naître,
Où s'attachoient encore mes regards expirants...
Ciel! Et j'ai pu survivre à ces coups accablants!
Que vous dirai-je, enfin? Tout s'éclipse à ma vue;
Je cours chez une amie, et je suis méconnue;
Traînant envain partout les horreurs de mon sort.
J'arrive en ce séjour pour y trouver la mort!

Mélanie.
Vos jours nous seront chers; vous aurez deux amies,
Que pour vous consoler le ciel a réunies;
La comtesse pleure avec plus d'amertume.
Vous gémissez! Vos pleurs, en repoussant ma main,
Avec plus d'amertume inondent votre sein!

La Comtesse D'Orcé.
Ah! Madame, la source en doit être éternelle.
Vous connaissez mes maux et ma douleur mortelle;
Apprenez donc mon crime, et jugez si je puis
Mettre fin à mes pleurs, à mes cruels ennuis;
Ce fils ce même enfant, qui m'arrache la vie...
Eut une soeur...

Mélanie avec un nouvel intérêt.
Parlez.

La Comtesse D'Orcé.
Elle étoit embellie
De tous ces agréments, dont l'assemblage heureux
Touche encor plus le coeur, qu'il ne séduit les yeux;
Pour me plaire, grand dieu, tes mains l'avoient formée;
Je lui fermois mon sein, et j'en étois aimée;
Ma fille, à mes rigueurs opposant son amour,
Plus soumise à mes loix, plus tendre chaque jour,
Sembloit me pardonner, ignorer que son frère
Emportoit tous les soins de son injuste mère;
Un jeune homme modeste, aimable, vertueux,
D'un rang égal au sien, fit éclatter ses feux,
Demanda que l'hymen l'unit à ma famille;
Ils s'aimoient; insensible aux larmes de ma fille,
Je l'immole à son frère, éloigne son amant,
Dans le cloître l'entraîne, y presse son tourment,
L'affreux lien qui doit la tenir enchaînée,
Bien différent des noeuds d'un flatteur hymenée!

Mélanie troublée, à part.
De semblables revers...

La Comtesse D'Orcé.
Pour décider son sort,
J'allai de son amant lui confirmer la mort;
Sa douleur à ces coups succombe; une parente
Accourt, de son couvent la retire expirante;
Cette parente meurt, et je ne puis savoir
Où ma fille a porté ses pas, son désespoir;
Ma fille est dans la tombe et c'est moi, malheureuse!...
J'ai rendu pour un fils, sa destinée affreuse.

Mélanie encore plus troublée.
J'ai peine à résister et plus je vous entends...
Madame, en ce séjour depuis près de dix ans...

La Comtesse D'Orcé vivement.
Depuis dix ans eh bien!

Mélanie.
J'ai la plus tendre amie;
D'une mère qu'elle aime elle fut peu chérie.

La Comtesse D'Orcé.
Poursuivez une mère...

Mélanie, rapidement.
A causé son malheur;
Un sort aussi funeste entretient sa douleur;
Elle sait respecter l'infortune timide;
Souvent dans cet asyle elle lui sert de guide;
Son sein compatissant à vos pleurs s'ouvrira;
Elle plaindra vos maux elle vous chérira.

Elle se leve avec empressement.

Madame il faut la voir, vous l'aimerez, madame,

La Comtesse D'Orcé, se levant avec la même
Vivacité.
Ô ciel! Il se pourroit que vous troublez mon ame!
Guidez mes pas vers elle; au comble du malheur,
Grand dieu, tu permettrois...
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