Un long frisson émut le cadavre; la fange,
Pleine de monstres morts, fit une plainte étrange;
Et le spectre se mit à parler dans les vents :
Il a pu noyer l'homme et les êtres vivants,
Mais il n'a pu tuer l'airain, le bois, la pierre.
Or, nature qui viens de fermer la paupière,
Ecoute, écoutez-moi, flots, rochers, vents du ciel,
Car, ô témoins pensifs du deuil universel,
Il faut que vous sachiez ces sombres aventures :
Lorsque Caïn, l'aïeul des noires créatures,
Eut terrassé son frère, Abel au front serein,
Il le frappa d'abord avec un clou d'airain,
Puis avec un bâton, puis avec une pierre;
Puis il cacha ses trois complices sous la terre
Où ma main qui s'ouvrait dans l'ombre les a pris.
Je les ai. Sachez donc ceci, vents, flots, esprits,
Tant qu'il me restera dans les mains ces trois armes,
Je vaincrai Dieu; matin, tu verseras des larmes!
L'être qui vit sous terre et moi, nous lutterons.
Si Dieu veut sous les eaux engloutir les affronts,
Les haines, les forfaits, le meurtre, la démence,
Les fureurs, il faudra toujours qu'il recommence.
Oui, les déluges noirs, pareils aux chiens grondants
Qui veulent qu'on les lâche et qui montrent les dents,
Tant que le vieux Caïn vivra sous ces trois formes,
Pourront à l'horizon gonfler leurs flots énormes.