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 Victor HUGO (1802-1885) Est-ce mon siècle, ou bien le vent? J'ai le frisson.

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Victor HUGO (1802-1885) Est-ce mon siècle, ou bien le vent? J'ai le frisson. Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Est-ce mon siècle, ou bien le vent? J'ai le frisson.   Victor HUGO (1802-1885) Est-ce mon siècle, ou bien le vent? J'ai le frisson. Icon_minitimeSam 31 Déc - 14:33

Est-ce mon siècle, ou bien le vent? J'ai le frisson.

.Du haut de mon rocher, derrière l'horizon,
J'entends confusément. des brouhahas hostiles;
LES' ANNÉES FUNESTES
Et j'écoute; et, moi-même en butte aux projectiles,
J'examine, rêveur, les insulteurs lointains. ,

Dans mes vers sur lesquels ont soufflé les destins
J'ai tort de me servir de ce grand mot: la Haine.
Peuple, la calomnie est aujourd'hui sereine '
Et bonne fille; -on a de nos jours inventé
La diffamation sanglante avec gaîté,
Une espèce de meurtre amusant pour les autres,
L'affront pour rire; ' hélas, oui,. ces moeurs sont les vôtres,
Et' je médite.

On sait qu'on ment, on en' convient,
On en joue; on ne veut qu'un succès, on l'obtient:
Être deux ou trois jours cru par les imbéciles.
L'exil; l'ombre, le deuil ne sont plus des. asiles; °
On lapide le crêpe au chapeau d'un proscrit. '
Que Jésus soit Jésus, bon! S'il devient lè Christ,
On le hue. Ah! faquin! tu. veux être' exemplaire!
On ajoute des clous à sa croix, sans colère:
La colère fatigue, on n'en a pas. Pourquoi?
Faut-il que le menteur dans son 'mensonge ait foi?

Cet homme m'est livré. Je demande sa tête,
Suis-je son ennemi ,pour cela? Pas si bête.
Je hurle, et crie: A bas! mort! il a trop vécu! -

Être acharné, c'est bien, mais être convaincu
C'est du luxe. On serait donc idiot soi-même.
Et d'ailleurs -avoir -foi, cela. rend triste. On sème
La ciguë et la mort, mais on' n'y goûte pas.
On est un bon enfant qui pour vivre est Judas,
Et ne prend pas la chose au sérieux. On. tâche
D'être tranquillement .et sans nuage; un lâche.
Si l'on voyait passer l'homme qu'on va demain
Poignarder par- derrière, on lui tendrait- la main,
Et l'on se vanterait de. ce contact auguste!
John Brown est un héros et Barbès est un juste;
On l'avoue entre soi; mais en public on dit:
Barbès est un niais, John Brown est un: bandit.
On l'affirme, et cela n'empêche pas de rire,
Ne pas le croire étant un motif pour le dire.

Çà, vivons, insultons, mais sans nous mettre en frais
D'inimitié, de bile et de fiel. Buvons frais!
Le tigre mord sans faim et Thersite " sans haine.
Les calomniateurs ne prennent pas la peine
D'abhorrer, même un. peu, ceux qu'ils veulent tuer.
La conscience étant bonne à prostituer,
On vend sa plume ainsi que l'on vendrait sa femme.
Cela s'offre, un esprit; cela. se paie, une âme.
XXVII EST-CE MON SIÈCLE... 741
L'affront décolleté, fardé, riant, banal,
Rôde sur ce trottoir qu'on appelle un journal,
Car il est une presse abordable à Javotte12,
Qui, certe, a le droit. d'être obscène, étant dévote.
On jette l'eau bénite et la boue au hasard;
On est indifférent, venimeux et poissard
On injurie à tant la ligne, à tant par tête;
On- dit: Léonidas est vil, Voltaire, est bête,
Tant on se fie, ainsi qu'aux ténèbres d'un bois,
A la stupidité profonde des bourgeois!
Qu'ils seraient furieux, ces gérontes qui bâillent,
S'ils savaient comme ceux qui les servent, les raillent!
S'ils entendaient les gens achetés parler d'eux!
S'ils savaient à quel point par ces moqueurs hideux,
L'épaisseur de leur âme obscure est exploitée!
Tel insulteur bigot est un farceur athée;
Il est épouvantable et doux, fait son métier,
Rit, et l'encre du diable est dans le bénitier.
Ne rien aimer, ne rien haïr; être des drôles;
Comme c'est simple! avoir un masque, avoir des rôles,
Les prendre, les quitter, être froid, être chaud,
Admirer tout bas ceux qu'on déchire tout haut,
Cela ne fait de mal à personne. On enseigne
Aux badauds qu'un titan sur la montagne saigne,
Mais qu'il le fait exprès; que Caton sans espoir
N'est qu'un ambitieux; que le soleil est noir,
Que partout le droit tombe et que la force monte;
On leur fait épeler l'A B C de la honte;
On ouvre école; on montre aux goîtreux l'alphabet
Expliquant le bûcher de Jean Huss, le gibet
De Coligny, la corde au cou de Galilée';
On suspend l'imposture à la voûte étoilée,
Et l'ombre qui descend de là change en baudets
Ceux qui viennent brûler un cierge sous ce dais;
On leur apprend qu'apprendre est mauvais, que se taire
C'est penser, et qu'un homme est leur propriétaire
S'il se nomme Habsbourg, Bonaparte ou Bourbon;
Et tout en s'écriant: Comme cela sent bon!
On leur penche le nez sur le fakir fétide;
On déclare à Prudhomme ébahi qu'Aristide
Fut un gueux, et qu'au fond Turgot est un escroc;
S'il s'étonne, on lui dit: Tais-toi. Ce serait trop,
O crétin, s'il fallait encor que tu comprisses!
On livre les Brutus au rire des Jocrisses;
On prouve la bonté du mal, du roi, du fer,
Du feu, de l'échafaud, du bagne et de l'enfer;
Et l'éducation des gens est reussie
Quand la méchanceté germe dans l'ineptie.
Puis on tend la sébile, et Pluche et Baculard "
Empochent.en louchant les gros sous; et c'est l'art
D'élever les bourgeois pour s'en faire des rentes.

Le songeur voit passer des bouches murmurantes -
Qui vont balbutiant des outrages confus.
On a l'iniquité comme on a le typhus;
Elle est dans l'air, on l'a respirée; un maroufle
Quelconque nous a mis sur les lèvres ce souffle;
Vous dites ce que dit ce rhéteur de l'égout,
Et lui qui ne croit rien, il vous fait croire tout.
Oh! qui pourra jamais, plongeur mélancolique,
Sonder cet affreux puits, la. bêtise publique!

Quel labeur! constater jusqu'au dernier bourgeois!
Conclure que cet âne est un âne par choix,
Qu'il s'y plaît, et qué c'est son goût d'être une brute!
Voir braire Aliboron que Zoïle recrute "!
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