YAMBES
Contre une médisante de l' autheur.
Rouge Menade a la vineuse trongne,
Sale Circé, dont l' infecte charongne
Cerche bruslant d' un feu luxurieux
L' accouplement d' un lutin furieux.
Oze-tu bien effroyable meduse
Calomnier les mignons de la muse?
Ceux qu' Apollon comme ses nourriçons
Instruit luy mesme en ses doctes chansons?
Qui sur l' esmail des rives pegazides
Menent le bal des vierges castalides,
Poëtes sacrez, les delices des cieux,
Prophettes saincts, interpretés des dieux.
Respond moy donc, chétive creature,
Monstre engendré en dépit de nature,
Sale excrément du manoir stigieux?
Quel farfadet, quel demon envieux
Se va joüant dans ta cervelle creuse,
Quand contre moy ta langue injurieuse
À gros boüillons vomit tant de poison?
Mais sans sortir des gonds de la raison
Tu sentiras au courroux qui m' allume
Comme est pesant le foudre de ma plume,
Et comme sont d' un pouvoir plus qu' humain
Les vers traçez d' une maistresse main.
Grand front pelé, teste chauve, peau molle,
Vrays reliquats de la grosse verole,
Menton barbu, qui semble avec raison
Le croupion de quelque vieil oyson
Dont les tuyaux des plumes arrachées
Restent encor aux places écorchées,
Col de cigongne ou les nerfs sont tendus,
Tetins fletris en bezace pendus,
Jouë avallée en dogue d' Angleterre,
Ventre ridé, hanche faite en esquerre,
Teint basané comme un vieux manuscrit,
Bouche puante à baiser l' antechrist.
Quand je te voy quelquesfois attiffée
Pour prendre mieux le diable à la pipée,
Que tu te pare et que par vanité
(vieux cu rompu d' avoir tant culeté)
Tu contrefais encor la jeune fille:
Je pense voir un singe qu' on habille,
Une sorciere empezer son rabat
Pour mettre en rut le grand bouc du sabat,
Je pense encor voir une vieille rosse
Le dos er' né de tirer le carrosse
Qu' un maquignon pour s' en deffaire mieux
Va reparant d' un harnois precieux.
Non, tu n' est plus qu' une vieille alumelle,
Qu' un vieux fourreau, qu' une vieille aridelle,
Qu' un vieux chaland enfondré dedans l' eau,
Qu' un vieux fantosme à l' entour d' un tombeau,
Qu' un vieux cabas, qu' un vieux loudier à prestre,
Qu' un vieux mortier à piller du salpestre,
Qu' un galetas, qu' un vieux grenier à foin,
Qu' un vieux idole enfumé dans un coin,
Qu' un vieux chalit à gaigner chaudepisse,
Qu' un vieil égout ou tout le monde pisse,
Qu' un vieux fusil, qu' un vieux havre a tout vent,
Qu' une lanterne, ou lampe de convent,
Qu' un vieux plancher ou filent les araignes,
Bref, tu ressemble à ces juments brehagnes,
Qu' on ne met plus qu' a porter du fumier.
Bien que tenant ton galbe coustumier,
Chacun te void demarcher en triangle
Tordant le cul en mule que l' on sangle,
Le sein ouvert en rougeur surmontant
Le dos d' un gueu qu' un bourreau va fouëttant,
Le nez au vent comme une haquenée,
Les yeux flambants, bacchante forcenée,
Haute en la main, dédaigneuse en discours,
Fiere, superbe, et portant tous les jours
Tant d' affiquets, de noeuds et de dentelles,
Dessus ton col tout rongé d' escroüelles,
L' on diroit lors qu' il ne reste plus rien
Que tu ne sois une fille de bien,
Et que ton cu, tant tu fais de l' habille
Soit le faux-bourg de quelque bonne ville.
Quoy donc? Faut-il pour trois pipes de vin
Que des marchands tu empruntes, afin
D' entretenir ton cabaret infame?
Et pour avoir d' une impudique flame,
Ensorcelé le sac d' un chicaneur
Trencher ainsi de la fille d' honneur?
Non, non furie à la criniere éparse,
Souvienne toy que tu n' es qu' une garce,
L' ivroy', le son, la lie: et le rebut
De tout le peuple, et que ton dernier but
Apres avoir servy de maquerelle
Sera de vendre un jour de la chandelle.
Comme jadis la devotte Isabeau
Ne pouvant plus gaigner dans le bordeau
À culeter sa miserable vie,
À Sainct Aignen revendoit sa bougie,
Ne luy restant de son bien amassé
Que deux sabots, un vieux panier perçé,
Une quenoüille, une vieille bezace,
Un chappelet pour avoir bonne grace,
Un pelisson, un capot d' irlandois,
Un vieux flacon, une escuelle de bois,
Et les coipeaux d' un vieux manche d' estrille.
Cache toy donc au fond de ta coquille
Sale limace, et que jamais tes yeux
N' osent s' ouvrir pour regarder les cieux.
Dieu qu' est-ce cy! Quelle horreur, quelle rage,
Fuyez, voisins, fuyez, la chienne enrage,
La beste est folle et ne voyez-vous pas
Comme elle va le museau contre bas?
La gueule ouverte, et comment elle escume?
Voyez le feu qui dans ses yeux s' allume,
Oyez ses cris, ses hurlements affreux,
Comme elle mesme arrache ses cheveux,
Grince les dents et comme la mastine
Pousse dehors sa langue serpentine.
Sus qu' on la lie et l' embaillonne aussi,
Retire toy muse mon cher soucy,
Tu es trop douce et ton vers trop modeste
Pour chastier ceste maudite peste.
Venez fureurs, venez rages d' enfer,
Laissez un temps en repos Lucifer,
Que tardez vous bourrelles enragées?
Venez vanger les muses outragées,
Ou sont vos feux? Vos foüets et vos flambeaux?
Vos crins retors? Vos sifflants coulevreaux?
Sus freres soeurs, de vos rouges tenailles
À ceste louve arrachez les entrailles,
Ses membres soient en mille lieux espars,
Faictes jaillir son sang de toutes parts,
Déchirez luy d' une lame sanglante
En cent morceaux sa langue médisante.
Puisse elle avoir les avives, la toux,
Janvarts, surrots, les malandres, les cloux,
Antrax, charbons, la gourme, les trenchées,
Les espervains, le tic, les clavelées,
Le flux de sang, les mules aux talons,
Chancres, poulains, tophes, et durillons,
Lepre, saphirs, pelade, teigne, raffles,
(tous grains benits des pelerins de Naples)
Et tous les poulx qui sont a l' hospital.
Puis je souhaite au comble de son mal
Que chiens et loups en mourant de la sorte
S' aille paissants de sa charogne morte,
Et qu' a jamais sa grand' temerité
Soit en horreur à la posterité
D' avoir esté jadis tant indiscrette
Que d' offencer un si gentil poëte.