LE VIEUX MENETRIER
Novembre 1815.
Je ne suis qu'un vieux bon homme,
Ménétrier du hameau;
Mais pour sage on me renomme,
Et je bois mon vin sans eau.
Autour de moi sous l'ombrage
Accourez vous délasser.
Eh! Lon lan la, gens de village,
Sous mon vieux chêne il faut danser.
Oui, dansez sous mon vieux chêne;
C'est l'arbre du cabaret.
Au bon temps toujours la haine
Sous ses rameaux expirait.
Combien de fois son feuillage
Vit nos aïeux s'embrasser!
Sous mon vieux chêne il faut danser.
Du château plaignez le maître,
Quoiqu'il soit votre seigneur:
Il doit du calme champêtre
Vous envier le bonheur;
Triste au fond d'un équipage,
Quand là-bas il va passer,
Sous mon vieux chêne il faut danser.
Loin de maudire à l'église
Celui qui vit sans curé,
Priez que Dieu fertilise
Son grain, sa vigne, son pré.
Au plaisir s'il rend hommage,
Qu'il vienne ici l'encenser.
Sous mon vieux chêne il faut danser.
Quand d'une faible charmille
Votre héritage est fermé,
Ne portez plus la faucille
Au champ qu'un autre a semé.
Mais sûrs que cet héritage
À vos fils devra passer,
Sous mon vieux chêne il faut danser.
Quand la paix répand son baume
Sur les maux qu'on endura,
N'exilez point de son chaume
L'aveugle qui s'égara.
Rappelant après l'orage
Ceux qu'il a pu disperser,
Sous mon vieux chêne il faut danser.
Écoutez donc le bon homme:
Sous son chêne accourez tous.
De pardonner je vous somme:
Mes enfants, embrassez-vous.
Pour voir ainsi d'âge en âge
Chez nous la paix se fixer,
Sous mon vieux chêne il faut danser.