EPISTRE 2
À Monsieur L' Abbé Des Roches.
À quoi bon réveiller mes muses endormies,
Pour tracer aux auteurs des regles ennemies?
Penses-tu qu' aucun d' eux veüille subir mes loix,
Ni suivre une raison qui parle par ma voix?
Ô le plaisant docteur, qui sur les pas d' Horace,
Vient prêcher, diront-ils, la reforme au Parnasse!
Nos écrits sont mauvais, les siens valent-ils mieux?
J' entens déja d' ici Liniere furieux
Qui m' appelle au combat, sans prendre un plus long terme.
De l' encre, du papier, dit-il, qu' on nous enferme.
Voyons qui de nous deux plus aisé dans ses vers,
Aura plûtost rempli la page et le revers?
Moy donc qui suis peu fait à ce genre d' escrime,
Je le laisse tout seul verser rime sur rime,
Et souvent de dépit contre moy s' exerçant,
Punir de mes defauts le papier innocent.
Mais toy qui ne crains point qu' un rimeur te noircisse,
Que fais-tu cependant seul en ton benefice?
Attens-tu qu' un fermier payant, quoiqu' un peu tard,
De ton bien pour le moins, daigne te faire part?
Vas-tu, grand deffenseur des droits de ton eglise,
De tes moines mutins reprimer l' entreprise?
Croy-moy, dût Ausanet t' assurer du succés,
Abbé, n' entrepren point mesme un juste procés.
N' imite point ces fous dont la sotte avarice
Va de ses revenus engraisser la justice,
Qui toûjours assignans, et toûjours assignez,
Souvent demeurent gueux de vingt procés gagnez.
Soûtenons bien nos droits. Sot est celui qui donne;
C' est ainsi devers Caen que tout normand raisonne.
Ce sont là les leçons, dont un pere Manceau
Instruit son fils novice au sortir du berceau.
Mais pour toy qui nouri bien en deça de l' Oise,
As sucé la vertu picarde et champenoise,
Non, non, tu n' iras point, ardent beneficier,
Faire enroüer pour toy Corbin ni Le Mazier.
Toutefois, si jamais quelque ardeur bilieuse
Allumoit dans ton coeur l' humeur litigieuse;
Consulte-moy d' abord; et pour la reprimer,
Retien bien la leçon que je te vais rimer.
Un jour, dit un auteur, n' importe en quel chapitre,
Deux voyageurs à jeun rencontrerent une huistre.
Tous deux la contestoient, lors que dans leur chemin
La justice passa, la balance à la main.
Devant elle à grand bruit ils expliquent la chose.
Tous deux avec dépens veulent gagner leur cause.
La justice pesant ce droit litigieux,
Demande l' huistre, l' ouvre, et l' avale à leurs yeux,
Et par ce bel arrest terminant la bataille:
Tenez, voilà, dit-elle, à chacun une écaille.
Des sottises d' autrui nous vivons au palais:
Messieurs, l' huistre estoit bonne. Adieu. Vivez en
Paix.