PLUME DE POÉSIES
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 Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 8

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MessageSujet: Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 8   Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 8 Icon_minitimeMer 29 Fév 2012 - 23:12

EPISTRE 8



Au roy.
Grand roy, cesse de vaincre, ou je cesse d' écrire.
Tu sçais bien que mon stile est né pour la satire:
Mais mon esprit contraint de la desavoüer,
Sous ton règne étonnant ne veut plus que loüer.
Tantost dans les ardeurs de ce zele incommode,
Je songe à mesurer les syllabes d' une ode:
Tantost d' une eneïde auteur ambitieux,
Je m' en forme déja le plan audacieux.
Ainsi toûjours flatté d' une douce manie,
Je sens de jour en jour déperir mon genie,
Et mes vers en ce stile, ennuyeux, sans appas,
Deshonnorent ma plume, et ne t' honnorent pas.
Encor, si ta valeur à tout vaincre obstinée
Nous laissoit pour le moins respirer une année,
Peut-estre mon esprit prompt à ressusciter,
Du temps qu' il a perdu sçauroit se r' aquitter.
Le parnasse françois non exemt de tous crimes,
Offre encore à mes vers des sujets et des rimes,


Mais à peine Dinan et Limbourg sont forcez,
Qu' il faut chanter Bouchain et Condé terrassez.
Ton courage affammé de peril et de gloire
Court d' exploits en exploits, de victoire en victoire.
Souvent ce qu' un seul jour te voit executer,
Nous laisse pour un an d' actions à conter.
Que si quelquefois las de forcer des murailles,
Le soin de tes sujets te rappelle à Versailles,
Tu viens m' embarrasser de mille autres vertus;
Te voyant de plus près, je t' admire encore plus.
Dans les nobles douceurs d' un sejour plein de charmes,
Tu n' es pas moins heros qu' au milieu des alarmes.
De ton thrône agrandi portant seul tout le faix,
Tu cultives les arts, tu répans les bienfaits,
Tu sçais recompenser jusqu' aux muses critiques.
Ah! Croi-moy, c' en est trop. Nous autres satiriques
Propres à relever les sottises du temps,
Nous sommes un peu nés pour estre mécontens.
Nostre muse souvent paresseuse et sterile


A besoin, pour marcher, de colere et de bile.
Nostre stile languit dans un remerciment:
Mais, grand roy, nous sçavons nous plaindre élegamment.
Ô! Que si je vivois sous les regnes sinistres
De ces rois nés valets de leurs propres ministres,
Et qui jamais en main ne prenant le timon,
Aux exploits de leurs temps ne prêtoient que leur nom;
Que, sans les fatiguer d' une loüange vaine,
Aisément les bons mots couleroient de ma veine!
Mais, toûjours sous ton regne il faut se récrier.
Toûjours, les yeux au ciel, il faut remercier.
Sans cesse à t' admirer ma critique forcée,
N' a plus, en écrivant, de maligne pensée;
Et mes chagrins sans fiel et presque évanoüis,
Font grace à tout le siecle en faveur de Louis.
En tous lieux cependant la pharsale approuvée
Sans crainte de mes vers, va la teste levée.
La licence par tout regne dans les écrits.
Déja le mauvais sens reprenant ses esprits,
Songe à nous redonner des poëmes epiques,


S' empare des discours mêmes academiques.
Perrin a de ses vers obtenu le pardon:
Et la scene françoise est en proye à Pradon.
Et moy, sur ce sujet, loin d' exercer ma plume,
J' amasse de tes faits le penible volume,
Et ma muse occupée à cet unique employ,
Ne regarde, n' entend, ne connoist plus que toy.
Tu le sçais bien pourtant, cette ardeur empressée
N' est point en moy l' effet d' une ame interessée.
Avant que tes bienfaits courussent me chercher,
Mon zele impatient ne se pouvoit cacher,
Je n' admirois que toy. Le plaisir de le dire
Vint m' apprendre à loüer au sein de la satire.
Et depuis que tes dons sont venus m' accabler,
Loin de sentir mes vers avec eux redoubler,
Quelquefois, le dirai-je, un remords legitime
Au fort de mon ardeur, vient refroidir ma rime.
Il me semble, grand roi, dans mes nouveaux écrits,
Que mon encens payé n' est plus de mesme prix.


J' ay peur que l' univers, qui sçait ma récompense,
N' impute mes transports à ma reconnoissance,
Et que par tes presens mon vers décredité
N' ait moins de poids pour toy dans la posterité.
Toutefois je sçai vaincre un remords qui te blesse.
Si tout ce qui reçoit des fruits de ta largesse
À peindre tes exploits ne doit point s' engager,
Qui d' un si juste soin se pourra donc charger?
Ah! Plûtost de nos sons redoublons l' harmonie.
Le zele à mon esprit tiendra lieu de genie.
Horace tant de fois dans mes vers imité,
De vapeurs, en son temps, comme moy tourmenté,
Pour amortir le feu de sa ratte indocile,
Dans l' encre quelquefois sçeut égayer sa bile.
Mais de la mesme main qui peignit Tullius,
Qui d' affronts immortels couvrit Tigellius,
Il sçeut fléchir Glycere, il sçeut vanter Auguste,
Et marquer sur la lyre une cadence juste.
Suivons les pas fameux d' un si noble ecrivain.
À ces mots quelquefois prenant la lyre en main,
Au recit que pour toy je suis prest d' entreprendre,
Je croy voir les rochers accourir pour m' entendre,
Et déja mon vers coule à flots précipitez;
Quand j' entens le lecteur qui me crie, arrestez:


Horace eut cent talens; mais la nature avare
Ne vous a rien donné qu' un peu d' humeur bizarre:
Vous passez en audace et Perse et Juvenal:
Mais sur le ton flatteur Pinchesne est vostre égal.
À ce discours, grand roi, que pourrois-je répondre?
Je me sens sur ce point trop facile à confondre,
Et sans trop relever des reproches si vrais,
Je m' arreste à l' instant, j' admire, et je me tais.
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Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 8
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